Ahmed Laghmani est l’un des poètes tunisiens les plus originaux et les plus incompris de la seconde moitié du XXe siècle. Puriste, très imbu de poésie arabe classique, son œuvre n’en porte pas moins une touche de modernité dans la forme et le contenu. Elle mérite, en tout cas, d’être mieux connue.
La place d’Ahmed Laghmani dans la poésie tunisienne est à part, tant sa proximité avec l’ancien président Bourguiba (1903-2000) était notoire. Poésie de circonstances, relatant des événements officiels, patriotiques, nationaux ou arabes, sociaux ou politiques. Toujours avec sincérité et conviction personnelles. Cependant, son écriture la plus émouvante reste, celle intime, où il chante et déplore son éloignement de sa palmeraie natale, Zarat, aux environs de Gabès, où il est né en 1923. Son écriture est marquée par la rigueur métrique classique, maîtrisant les genres traditionnels, qu’il réécrit sans lourdeur. Outre la forme classique, sa poésie est traversée, ici ou là, par des poèmes en vers libres, dans une langue empreinte de lyrisme, transparent et accessible.
Ahmed Laghmani fut inspecteur de l’enseignement primaire (1961-1966), directeur de la Radio Tunisienne (1970-1981) puis membre de l’Alecso. Il décède en 2015.
Ses recueils (en arabe): Un cœur sur une lèvre, 1966; Une pincée de sel sur une blessure, 2001, Si El Habib; L’œuvre poétique complète (Académie Beit Al Hikma, 2017).
Tahar Bekri
Ils étaient étrangers, je les ai vus loin des palmeraies du sud, tremblant par un jour d’hiver et de tempête.
Deux palmiers se dressent ici sur mon chemin
Jetés par les palmeraies, étrangers
Deux palmiers, plutôt deux âmes de mon pays, ici !
Enlacés dans ces contrées glaciales
Je les croise au matin et me crois
Dans la palmeraie de Zarat à huit ans
Jouant avec mes proches sous les hauts palmiers
Élancés lâchant la bride vers le cœur du ciel
Le ruisseau coulant et chantonnant
Par en-dessous dandinant comme ivre
Nous grimpions compétitifs aux palmiers difficiles
Faisant ravage de leurs régimes festifs
Nous nous jetions les dattes rassemblées
Guerre allumée sans rancunes
Combien de fois n’étais-je revenu à ma grand-mère
Les lèvres en sang les paupières enflées
Me serre entre ses bras sa tendresse
Je ressens son cœur battant à mon secours
2.
Je vous rencontre -mes amis- et retrouve
Les souvenirs illuminant mes obscurités
Je revois les bien-aimés sur les terrains
De notre quartier mes proches familles et voisins
Je vous retrouve -mes amis- avec une âme
Qui va vers vous et un cœur affectueux
Nous trois ici en exil
Jetés par les palmeraies pour l’oubli
Le destin nous éloigna de notre paradis
Forêt de palmiers et théâtre de gazelles
3.
Deux palmiers se dressent ici sur mon chemin
Gémissent de douleur et se tordent
Ils sont stériles et la verdure couvre alentour
Les cimes des collines de son herbe épanouie
Ils ne sont pas féconds la stérilité est un mal
A l’étincelle allumée par le manque
Ils ont soif d’une source qui coule et se faufile
Sous les palmiers comme serpente le reptile
Ils ont soif du sable avec lequel le souffle
Du vent construit les hautes dunes
Ils ont soif de l’éclat de la lumière du matin
Du coucher du soleil aiguisant les tristesses
Des nuits blanches remplies d’éclairs
Du matin et de sa magie ensorceleuse
Des visages bruns édifiant les déserts
Gens de fierté descendants des Bédouins
Ils ont soif des palmeraies comme moi : Ah mes amis
Si nous avons pour ce que nous aimons les bras longs !
Février 1953
Trad. de l’arabe par Tahar Bekri
Le poème du dimanche : ‘‘Cesse mon cœur’’ de Aboulkacem Chebbi
Le poème du dimanche : ‘‘Me voici devant vous’’ de Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed
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