Début 2021, le FMI a refusé de renouer avec la Tunisie. Il avait des doutes sur la capacité du gouvernement à gérer l’économie. En juin dernier, il a exigé pour valider son aide, chose inhabituelle, l’accord supplémentaire des partenaires sociaux du pays (syndicats ouvriers et patronaux, société civile)… C’était une façon indirecte de dire non, car le FMI savait que le gouvernement était incapable de réaliser cette prouesse (un consensus autour d’un programme de réformes)…
Par Samir Gharbi
Six mois après, le 25 juillet, tous les pouvoirs ont été accaparés par un seul homme (Kaïs Saïed) afin, dit-il, de sauver le pays d’«un péril imminent» (ce qui était le cas). A peine désigné, le nouveau gouvernement s’est trouvé face à une gigantesque impasse financière… Déficit des entreprises publiques, déficit de la balance commerciale, déficit de la balance des paiements (causée par le gonflement des importations) et déficit budgétaire (causé par une masse salariale démesurée, suite au recrutement, depuis 2011, de plus de 300 000 employés dans la fonction publique et parapublique).
Que faire, comme dirait Lénine (le vrai) ?
La Tunisie aux bons soins du «sapeur-pompier» de la finance mondiale
D’autres comme la Tunisie ont dû, malgré eux, s’adresser au «gendarme» de la finance mondiale : le Fonds monétaire international !
Je citerai, comme premier exemple, la Grèce qui a frappé à la porte du FMI pour ouvrir les vannes de l’aide européenne : le FMI lui a versé en quatre ans près de 28 milliards de DTS (unité monétaire composite du FMI, valant 1,41 $US, ou 1 $US = 0,712 DTS, cours du 11 novembre).
Autres exemples illustres : celui de l’Argentine, en crise depuis 1985, qui doit au FMI 30,5 milliards de DTS au 31 octobre 2021. Et celui, plus proche de nous, de l’Égypte, qui doit au FMI la coquette somme de 14,2 milliards de DTS.
La Tunisie doit aujourd’hui au FMI un total de 1,7 milliard de DTS, un peu plus que la dette comparée du Maroc à l’égard du même FMI (1,5 milliard).
L’Algérie n’a plus aucune dette avec le FMI, exactement comme l’était la Tunisie à la fin du règne de Zine El Abidine Ben Ali.
En dix ans, les gouvernements successifs qui ont régné sur la Kasbah avaient toqué trois fois à la porte du FMI, contre 1 seule fois, en 1986, durant le long règne de Habib Bourguiba (1956-1987) et deux fois, en 1988 et 1992, durant celui de Ben Ali (1987-2010). En 2011, le compteur du FMI était à zéro.
Les trois fois du régime qui a régné de février 2011 au 25 juillet 2021 :
- En juin 2013, le gouvernement demande l’aide du FMI et signe un accord «stand by» pour 1 146 millions de DTS. L’accord expire le 31 décembre 2015, avec un reliquat non consommé de 143 millions. Net : la Tunisie a reçu 1 003 millions… 1er signe d’une mauvaise gestion du dossier FMI.
- En mai 2016, le gouvernement demande au FMI «une facilité supplémentaire» : le FMI lui accorde 1 952 millions de DTS sur quatre ans. Mais, faute de réformes, le FMI suspend ses décaissements début 2020, le montant perdu par la Tunisie s’élève à 790 millions de DTS, le FMI n’ayant versé que 1 162 millions. Cette fois l’accroc est sérieux. C’est quasiment la rupture.
- Mais, en avril 2020, le sapeur-pompier est obligé d’intervenir pour éviter une catastrophe «sanitaire» (en plein Covid). Il débloque une «aide rapide», en un seul versement, de 545,2 millions de DTS afin de renflouer les caisses de l’État.
L’histoire ne s’arrête jamais… Le nouveau gouvernement, sous la houlette Najla Bouden, ne trouve pas d’autres issue que de prier le FMI de venir à son aide, avec un montant esquissé autour de 2,8 milliards de DTS (soit 4 milliards de dollars), un record historique pour la Tunisie.
Rappel : la Tunisie a adhéré au FMI en avril 1958. Donc, bien avant la création de la Banque centrale de Tunisie (septembre 1958) et du dinar tunisien (octobre 1958).
Mais il faudra attendre 1986 pour que les Tunisiens entendent parler d’un «programme» avec le FMI. C’était la conséquence de la crise économique (1983-1986) qui a fait chuter le gouvernement de Mohamed Mzali, remplacé par Rachid Sfar. Ce dernier a réussi rapidement à enclencher un plan de sauvetage avec l’aide du FMI (1986-1987).
Chaque fois qu’un gouvernement frappe à la porte du FMI, les opposants et les médias crient au scandale. Certes, le FMI n’a pas bonne presse, mais est-ce lui le fautif ?
Un surveillant général… du système capitaliste
Le FMI est, qu’on le veuille ou non, le «sapeur-pompier» unique pour n’importe quel pays plongé dans un grave «incendie» (crise financière). Avec la Tunisie, ce sera, pour le FMI, un de plus ou un de moins. Mais pour la Tunisie, ce sera crucial : car un accord avec le FMI marquera pour tous les opérateurs économiques et financiers – tunisiens et étrangers – l’entrée du gouvernement tunisien dans un cycle de «bonne gouvernance» et de «respect des engagements». Les marchés financiers internationaux (prêteurs de liquidités) seront à nouveau ouverts (avec des taux d’intérêt abordables), les agences de notations pourront réviser leurs calculs (qui mesurent les risques-pays), les banquiers seront mieux à l’écoute et les investisseurs plus tranquilles…
Mais qu’est-ce que le FMI ?
Le FMI a été établi en 1945, au sortir de la Seconde guerre mondiale. Les grandes puissances victorieuses ont réuni une quarantaine d’autres pays pour le créer et lui donner pour objectifs de prévenir, d’éviter ou d’atténuer les crises financières mondiales (du genre de celle de 1929) et de répondre aux besoins ponctuels des pays membres.
Aujourd’hui, le FMI regroupe 190 pays, contre 44 en 1945. Seuls cinq pays ne sont pas membres : Cuba, Corée du Nord, Taïwan (bloqué par la Chine) et, deux micro-Etats, Le Liechtenstein (38 000 hab. et 160 km²) et Monaco (2 km², 40 000 habitants).
Le FMI emploie 2 700 personnes, issues de 150 nationalités. Il mène une politique permanente de surveillance globale (taux d’intérêt, inflation, monnaies, déficits budgétaires et de paiements). C’est comme un surveillant général… du système capitaliste.
Mais il n’intervient dans la politique économique d’un pays que si le gouvernement de ce pays vient toquer à sa porte.
Il prodigue des conseils ou des conditions (évidemment en faveur du libéralisme économique et de la stabilité monétaire), conformément à sa charte officielle et aux directives des principaux pays qui le financent (États-Unis, Royaume-Uni, Union européenne et Japon). Sachant cela, le pays demandeur sait à quoi s’en tenir…
Infographies
Versements du FMI à la Tunisie (en millions de DTS).
Dette de la Tunisie auprès du FMI (en millions de DTS).
Droits de vote au FMI en %.
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