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Tunisie, le pays où les mafieux jubilent !

Tunisie-Mafias

Sans un combat structuré et ferme contre les mafias du terrorisme, de la contrebande et de la corruption politique, la Tunisie aura beaucoup de mal à se redresser.  

Par Hédi Sraieb *

Comme le relate la mythologie, tomber de Charybde en Scylla signifie «aller de mal en pis». Plus précisément Charybde symbolise le «tout ou rien», la mort pour tous ou la vie pour tous, selon un jeu de probabilité. Scylla incarne la mort certaine pour une partie de l’équipage, mais la vie pour les autres. Il s’agit d’un choix entre le sacrifice calculé ou l’avenir aléatoire de la vie de tous (Wikipédia).

C’est, pour ainsi dire, ce sentiment diffus – les choses iraient de mal en pis –, qui semble s’être emparé de fractions croissantes de l’opinion. Après la promesse d’une sortie honorable et d’un redressement, le marasme ambiant perdure et s’étend. Une désorganisation générale qui n’en finit pas de se propager à tout le corps social, dans le moindre de ses interstices. Un Etat de plus en plus déliquescent, pour reprendre une formule à la mode. Ce qui pouvait, un temps, passer pour des réglages administratifs ou des ajustements ministériels ressemble à s’y méprendre à une incapacité à enrayer la spirale récessive et sa nuée de conséquences dangereuses, pour ne pas dire alarmantes. Bref, une usure prématurée du pouvoir se fait sentir!

La majorité pilote à vue

Le président comme le Premier ministre concèdent dans le plus grand désarroi ne pas disposer d’une «baguette magique», s’agissant du sous-emploi et du chômage, notamment des diplômés. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) avoue devoir de nouveau emprunter pour pouvoir rembourser.

Comme en écho, de présumés experts en rajoutent une couche. Qui de dénoncer l’incurie manifeste des douanes, qui de fustiger le laisser-aller général des administrations et des services publics, qui enfin de condamner la dissémination grandissante des pratiques putrescibles et vénales mais le plus souvent sans la moindre preuve formelle ou l’évidence d’une culpabilité… De facto, les appels à témoignage ou à délation ni feront rien. Une cacophonie dissonante et discordante à souhait, que la presse et des médias amplifie !

La majorité parlementaire et sa traduction gouvernementale donnent donc l’impression de piloter à vue, de naviguer au gré des événements et des circonstances, sans véritable cap ni ambition, mais d’éviter soigneusement les questions qui fâchent: des trafiquants libres de leurs mouvements !

Tout se passe comme si les nouveaux venus aux affaires publiques s’imaginaient pouvoir diriger le pays par les outils habituels de la gouvernabilité, alors même que les conditions d’exercice de ce pouvoir ont radicalement changé.

La recrudescence du terrorisme, tant intérieur qu’aux frontières, qui menace la paix civile, l’extraordinaire prolifération des pratiques illicites en tous genres qui sapent les fondements du vivre ensemble, dénaturent la relation à l’Etat et à ses représentants. Une défiance d’autant plus installée que les corps constitués (douanes, police, justice), un temps réactif, semblent désormais totalement impuissants à juguler la moindre dérive.

Sans pouvoir trouver une explication unique et exhaustive à ce recul de l’autorité, pourtant légitimée par les urnes, on peut tenter d’esquisser quelques éléments d’analyse.

L’exemple des voisins italiens

Reconnaissons que s’agissant du surgissement de la question terroriste, les réponses à apporter ne sont pas simples. Les appareils judicaire et policier y sont d’autant moins bien préparés qu’eux-mêmes sont l’objet de troubles internes puissants. Un phénomène d’autant plus difficile à combattre qu’il se régénère sur le terreau du «déclassement social» sous toutes ses formes et manifestations.

La question des pratiques de contrebande et de corruption active comme passive, qui parasitent de plus en plus les activités formelles et dissuadent toute initiative d’entreprendre, pourrait cependant trouver un début de solution si les autorités en place voulaient bien s’y prendre autrement. Une solution qui demande cependant volonté indéfectible et courage inébranlable. Une approche inspirée de celle mise en œuvre par nos voisins italiens – vers la fin des années 80 –, voisins connaissant eux-aussi ces fléaux qui gangrènent et minent les fondements des sociétés.

Rappelons-nous, l’opération Mani Pulite, «Mains propres», précédée par celle spectaculaire des Maxi Processo, «Maxi Procès», menée contre la mafia. Une poignée de juges du parquet de Palerme puis de Milan se sont vus confier des enquêtes relatives à diverses activités criminelles et illicites. Enquêtes qui ont fini par déboucher sur de nombreuses inculpations et un ensemble de sanctions: emprisonnements, récupération de biens spoliés, expropriations, réparations diverses…

De fait l’ile de Sicile n’est plus aujourd’hui menacée comme avant par le racket, les marchés publics truqués et le crime organisé. L’omerta a de plus été vaincue et les siciliens en sont fiers.

Des opérations qui se sont par la suite prolongées vers l’argent sale en politique. Cinq ans durant, des juges incorruptibles ont instruit des dossiers contre de nombreux dirigeants dont ceux de la Démocratie Chrétienne, parti inamovible, mais aussi d’autres formations comme le Parti socialiste de Bettino Craxi, qui finira en exil en Tunisie. La vie politique italienne s’en est trouvée radicalement changée. Les historiens et chercheurs en la matière montrent que ces opérations «mains propres» se sont soldées par plusieurs milliers d’arrestations puis d’incarcérations (suite aux procédures d’appel). Mieux encore de nombreux biens ont fini par être restituées à leurs détenteurs initiaux.

Alors posons-nous la question des conditions préalables à la réussite d’une telle opération chez nous (fusse-t-elle partielle et incomplète) éminemment et irréductiblement dangereuse.

Rappelons qu’à toute fins utiles que les juges Falcone et Borsellino et le général Dalla Chiesa ont été assassinés lors d’attentats spectaculaires et que bien d’autres victimes anonymes (carabinieri ou témoins) ou moins connues (députés et préfets) ont payé un lourd tribu à cette lutte contre la corruption et la prédation.

Un combat, trois conditions

Reprenons ! Il faut en tout premier lieu une indéfectible détermination politique à engager ce combat. Une volonté inflexible à la poursuivre quoiqu’il en coûte avec le soutien constant de la population.

Il convient dans un deuxième temps d’organiser un pool de juges d’instruction et de policiers financier, intraitables et incorruptibles, dont le seul objectif est d’instruire et de présenter des prévenus à la justice.

Enfin, dans un troisième temps, il est de mise de proposer le statut de «repenti» à toute personne incriminée mais prête à dénoncer ses associés ou d’autres trafiquants.

Trois conditions, on le voit, interdépendantes, intrinsèquement liées, la plus importante étant bien entendu la «volonté politique». C’est sans aucun doute à ce prix que le pays fera notablement reculer la corruption, le trafic d’influence et le marché envahissant de la contrebande.

D’aucuns diront que nous en sommes fort éloignés compte tenu de la frilosité du pouvoir, et sans doute aussi du nombre de partis et d’associations. Pire encore, la justice étant manifestement en crise profonde, il y a tout lieu de penser que l’on ne trouvera pas, non plus, de candidats juges à prendre à bras le corps ce sujet au péril de leur carrière sinon de leur vie.

Les temps actuels sont d’évidence toujours aux accommodements et aux arrangements… Patientons !

* Docteur d’Etat en économie du développement.

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