La guerre américano-mexicaine de 1846-1848, qui permit aux Etats-Unis de prendre possession de la moitié du territoire du Mexique, servira par la suite de modèle aux futurs conflits menés par les Etats-Unis dans le monde, en entourant le bellicisme américain de certaines apparences morales, le laissant toujours apparaître comme la riposte à une agression ou à des attaques injustifiées, menée au nom de la défense de la liberté ou du principe abstrait de la démocratie.
Par Dr Mounir Hanablia *
La guerre américano-mexicaine de 1846-1848 a abouti à la perte de plus de la moitié du territoire mexicain au profit des Etats-Unis. Pourtant elle avait en réalité débuté à partir des années 1830 avec l’afflux au Texas sous souveraineté mexicaine des irréguliers américains. Prétendre que les relations entre les deux communautés hispanique et anglo-saxonne aient été, dès le début, problématiques serait pourtant contraire à la réalité.
Les Mexicains, peu nombreux, avaient d’abord accueilli les nouveaux venus sans hostilité. Ceux-ci avaient acquis des terres et s’étaient engagés à respecter les lois du pays. Les familles, comme celle des Austin, avaient naturellement établi des liens économiques avec les Tejanos, et certains de ses membres avaient épousé des femmes autochtones. Les Américains s’étaient engagés dans les milices chargées de traquer les tribus indiennes hostiles qui faisaient planer une menace permanente sur les communautés rurales, quelques-uns avaient même présenté des doléances au nom de leurs concitoyens mexicains à Mexico et avaient été emprisonnés pour cela.
Pro ou anti esclavagistes
Néanmoins ceux des Américains venus ultérieurement s’établir au Texas ne s’étaient pas sentis tenus de respecter les accords établis entre les communautés ou avec l’Etat. Cela, ajouté à l’anarchie qui régnait au Mexique et aux luttes entre les partisans d’un Etat, fédéral d’un côté, centralisé de l’autre, et aux abus d’une administration autoritaire, avait contribué au développement autant chez les Tejanos que les Américains d’un sentiment d’injustice et d’un désir de changement. Mais l’accession au pouvoir du dictateur Santa Anna n’avait pas arrangé les choses et des actes insurrectionnels avaient été commis contre les représentants de l’Etat Mexicain.
Les nouveaux venus américains voulaient se lancer dans la culture du coton mais les lois Mexicaines interdisaient l’emploi d’esclaves, et ceux qui s’y essayèrent furent de ce fait emprisonnés. Qui plus est, ces immigrants nourrissaient un sentiment de supériorité raciste vis-à-vis de leurs hôtes. Et le contexte politique international n’en posait pas moins problème.
Les Américains avaient arraché la Floride à l’Espagne en 1818, et ils avaient conquis la république séminole qui accueillait les esclaves en fuite et où l’égalité raciale était assurée. Cette conquête faisait suite à l’échec lamentable faute d’organisation suffisante de la guerre de 1812 menée contre l’Angleterre dans le but d’annexer le Canada, au cours de laquelle la capitale Washington fut prise par l’armée britannique et incendiée.
Il y avait aussi la question de l’équilibre au sein de l’Union entre les Etats pro ou anti esclavagistes. Beaucoup d’Américains voyaient avec inquiétude la perspective d’annexer de nouveaux territoires dans le Sud qui romprait l’équilibre établi autour de la question raciale. Or l’élection du président Polk, un riche propriétaire du Sud, marqua le début d’une nouvelle politique visant délibérément à l’annexion des territoires mexicains situés entre le Mississippi et la côte Pacifique. L’épisode de Los Alamos où des Américains, dont le célèbre Davy Crockett, avaient été massacrés par l’armée mexicaine de Santa Anna, fut délibérément utilisé pour créer un état d’esprit belliciste contre le Mexique.
La supériorité des armes américaines
Ce qu’on omit alors de dire, comme le feraient plus tard les films hollywoodiens traitant de l’affaire, c’est que beaucoup de Tejanos ayant également combattu contre l’armée mexicaine à Los Alamos furent tués.
En 1836, après un soulèvement armé appuyé par des «volontaires» américains et la défaite et la capture de Santa Anna, le Texas devint une république indépendante sans pour autant être incorporée dans un premier temps dans l’Union et la frontière se situait sur le Rio Grande. Et trois années plus tard, cette république choisit de s’intégrer aux Etats-Unis d’Amérique dans un geste de provocation délibérée dont l’objectif était de pousser le Mexique à déclarer la guerre.
Entretemps, le président Polk avait installé 5000 familles dans l’Oregon, ce territoire de la côte pacifique secrètement exploré et cartographié par des espions de l’armée US, revendiqué également par le Canada anglais, et dont la frontière fut fixée en accord avec le gouvernement britannique.
C’est dans ce contexte tendu que des troubles éclatèrent en Californie, fomentés par des agents secrets américains dont un certain Frémont, et un drapeau figurant un ours fut brandi contre le pouvoir mexicain dans un remake de ce qui s’était auparavant passé au Texas. Et lorsque l’armée mexicaine reprit le contrôle de la situation, les agitateurs s’enfuirent en Oregon.
Quoiqu’il en soit, l’incorporation du Texas aux Etats-Unis eut bien l’effet voulu puisque le Mexique déclara la guerre que le président Polk souhaitait et à laquelle il s’était préparé. Les marines débarquèrent en Californie et en occupèrent la capitale Monterey tandis que les colonnes de l’armée venues par la piste de Santa Fe et dirigées par Kearney les rejoignaient. Et les unités de Zachary Taylor franchissaient le Rio Grande, et s’enfonçaient dans les régions arides du Nuevo Leon jusqu’à Monterrey, et dans le Coahuila sur des centaines de kilomètres.
Il y eut bien quelques batailles, mais la supériorité des armes américaines en particulier les fusils et l’utilisation de l’artillerie mobile firent presque toujours la différence en faveur des Américains.
Cette guerre fut marquée par les atrocités commises par les miliciens irréguliers américains contre les populations civiles, en particulier les Texas Rangers qui acquirent une sinistre réputation et dont même les militaires américains finirent par s’émouvoir. Mais le fait le plus important de la guerre fut la prise du port de Veracruz qui permit aux unités de l’armée américaine dirigée par Winfield Scott de disposer d’une base arrière à partir de laquelle elle entreprit sa marche de six mois pour finir par occuper la capitale Mexico.
Dettes contre territoires
Lorsque les négociations de paix s’ouvrirent, le président Polk avait revu ses revendications territoriales à la hausse en réclamant aussi la Californie du Sud que l’armée américaine n’avait pourtant pas réussi à conquérir. Mais les négociateurs américains désobéirent aux ordres s’en tinrent aux demandes initiales. Le Congrès mexicain finit par accepter les propositions américaines sur l’argument selon lequel les négociateurs étaient sur le départ et que les nouvelles propositions risquaient d’être beaucoup plus dures, ce qui n’était pas faux, puisque certains sudistes proposaient l’annexion pure et simple de la totalité du Mexique, mais en réalité les congressistes mexicains craignaient que la poursuite de la guerre n’aboutisse dans leur pays à une explosion sociale menée par les peones, les paysans.
C’est ainsi que tout le territoire à l’Ouest du Texas jusqu’à l’océan pacifique fut perdu par le Mexique, ce qui représentait plus de la moitié de son territoire, contre une compensation 18 millions de dollars et l’annulation de la dette mexicaine.
Les pertes américaines atteignirent un millier de morts, environ le double de blessés, et près de 8000 malades victimes des rudes conditions climatiques et de la précarité de l’hygiène.
Compte tenu de ce que le président Polk avait été prêt à payer ces territoires 30 millions de dollars avant la guerre, les Etats-Unis avaient réalisé une bonne affaire avec relativement des pertes en vies humaines peu élevées.
Les accords établis par traité de Guadalupe Hidalgo de 1848 prévoyaient que les habitants mexicains des territoires rattachés aux Etats-Unis seraient considérés comme des blancs et jouiraient de la nationalité américaine, mais le Sénat américain les modifia, et les Mexicains demeurèrent pendant longtemps des citoyens de seconde classe aux Etats-Unis. Le président Polk ne se représenta pas aux élections pour des raisons de santé. Il mourut 3 mois après l’accession à la présidence du général Zachary Taylor, qui avait tiré sa renommée (injustement) de cette guerre du Mexique. Tous les généraux de l’armée américaine qui devaient participer à la guerre de sécession, dans les troupes de l’Union ou de la Confédération, firent leurs premières classes dans cette campagne du Mexique. Le Général Santa Anna qui avait été sorti de sa retraite pour semer la zizanie dans son pays repartit une nouvelle fois en exil.
Aux sources de l’impérialisme français
Ce conflit eut néanmoins plusieurs conséquences. En empêchant l’ingérence des puissances européennes, il mit en pratique ce qu’on allait qualifier de doctrine Monroe, l’interdiction de toute intervention militaire dans le continent américain pour toute puissance autre que les Etats-Unis. Il fixa la frontière ouest des Etats-Unis sur la côte pacifique, en vertu du principe messianique de la «destinée manifeste» de l’Amérique et régla définitivement le contentieux territorial avec le Mexique. Il aboutit au déséquilibre redouté entre le Nord et le Sud des Etats-Unis et à la guerre de sécession que certains Américains considérèrent non sans raisons pour une punition de la guerre menée au Mexique, un pays qui avait prohibé l’esclavage depuis longtemps.
Ce conflit servit également de modèle aux futurs conflits menés par les Etats-Unis dans le monde, en entourant le bellicisme américain de certaines apparences morales, le laissant toujours apparaître comme la riposte à une agression ou à des attaques injustifiées, menée au nom de la défense de la liberté ou du principe abstrait de la démocratie. Les guerres en Afghanistan, en Irak, et l’actuelle guerre en Ukraine en constituent des exemples typiques.
Enfin, le conflit militaire, une fois ses objectifs atteints, se clôturait toujours par des accords politiques et économiques ainsi qu’un traité de paix avec l’élite du pays ou ses représentants. Pour le Mexique cette guerre a laissé un ressentiment durable contre les Américains qualifiés de «gringos», en établissant le mythe de la nation mexicaine unie qui s’était soulevée pour repousser victorieusement les envahisseurs, alors qu’en réalité les congressistes mexicains, en refusant d’engager leur pays dans une guerre de guérilla contre des troupes américaines peu nombreuses et sévèrement handicapées par le climat et la maladie, avaient été plus soucieux de préserver leurs privilèges de classe en s’arrimant au capitalisme yankee, ainsi que l’ordre social profondément inégalitaire établi au détriment des paysans et des indiens et qui continue de prévaloir et de se manifester dans la pauvreté, la violence meurtrière, le trafic de drogue et l’immigration clandestine qui jusqu’à aujourd’hui font le quotidien de ce pays.
‘‘Sale guerre. L’invasion du Mexique par les Etats-Unis’’, de Eric Taladoire, Edition du Cerf, 208 pages, Paris octobre 2021.
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