On a assisté hier, samedi 25 février 2023, à deux soulèvements, le premier contre le racisme anti-subsaharien, le second contre le drapeau noir de Hizb Ettahrir. Deux manifestations à Tunis qui se voulaient pacifiques, dont le seul dénominateur commun est le qualificatif noir, qui mettent en exergue les différentes appréciations que les Tunisiens ont de la situation qui prévaut dans le pays et qui mettent de nouveau sur la sellette la fameuse question identitaire.
Par Amel Fakhfakh *
La Tunisie serait-elle africaine ou arabo- musulmane ?
Il est inconcevable qu’à l’heure des grandes avancées technologiques, il y ait des peuples qui s’inscrivent non dans l’universalité mais dans l’affirmation des identités. L’écosystème culturel devrait en principe prendre en compte la diversité et en préserver la richesse.
«On crie notre identité car on se ressemble. On affirme avec rage nos différences», écrit Amine Maalouf.
Les identités meurtrières
Le discours officiel haineux et xénophobe, dirigé contre les Africains Subsahariens révèle une «négrophobie» qui se fonde, selon les dires du président de la république Kaïs Saïed, sur le risque de la détérioration de la configuration démographique du pays. Celui-ci n’est-il pourtant pas constitué en majorité de métis d’origine berbère, étant donné qu’en Tunisie, les berbères bruns l’emportent de loin sur les berbères au faciès européen?
Ce racisme biologique qui théorise la hiérarchie au sein d’une espèce humaine procède d’une idéologie discriminatoire bien connue, chère à l’extrême droite et qui se situe aux antipodes de la loi de 2018, laquelle pénalise précisément le racisme.
Mais où réside en fait le véritable danger qui menace le pays ?
Ce débat autour des boucs émissaires africains subsahariens, qui a divisé les Tunisiens et a suscité chez eux des sentiments allant de l’indignation à l’approbation, de la révolte à la solidarisation, était en réalité une simple diversion.
Fixons plutôt notre regard sur ce drapeau noir que le ministère de l’Intérieur autorise un parti terroriste illégitime (son existence, en tant que parti religieux, est en totale contradiction avec la constitution) à brandir librement sur quelques édifices dans le pays. Notons qu’il est quasiment le même que celui de Daech.
L’arbre qui cache la forêt
L’identité arabo-musulmane ainsi mise en avant occulte et renie tout un pan de notre histoire (phénicienne, carthaginoise, romaine, byzantine, espagnole, sicilienne…), autrement dit, tout ce dont est tissée la trame de notre «tunisianité» et dont témoigne notre prestigieux musée du Bardo, fermé pour des raisons impénétrables.
Hizb Ettahrir se fixe en fait la même stratégie géopolitique que son aîné, le parti Ennahdha dont l’islamisme light complaisant et dissimulé derrière les façades mirifiques de la démocratie et du modernisme a essuyé un beau revers.
Entre temps, les ténèbres se sont largement propagées dans le pays, tant il est vrai que l’instrumentalisation de la religion est aisée dans une société où règnent la pauvreté et l’ignorance.
Le nationalisme arabo musulman, exacerbé par la religion, a tiré parti de la désintégration des partis de gauche ainsi que celle de la société civile progressiste, comme il a profité de la démission des intellectuels et des juristes. Voici alors les jeunes partisans de «la libération» qui reprennent le flambeau et qui entendent inaugurer la seconde phase de la mainmise islamiste sur le pays, en mettant à contribution certaines associations et en lorgnant du côté de l’armée. Leurs méthodes sont différentes de celles d’Ennahdha. Elles sont autrement plus directes et plus virulentes. Einstein n’a-t-il pas dit que «la folie c’est de faire les mêmes choses et d’attendre des résultats différents»?
Se sachant soutenus par les réseaux internationaux qui lui a donné naissance, le parti Ettahrir a organisé hier son assemblée, avec le silence, sinon la bénédiction, des hautes sphères de l’Etat.
Il y a plusieurs sortes de silences : le silence d’approbation, le silence gêné, le silence réprobateur, le silence dédaigneux…
Parmi eux, le silence approbateur et complice est incontestablement le plus récurrent.
Rien n’est plus éloquent que le silence.
* Universitaire à la retraite.
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