La rivalité historique entre le Real Madrid et le FC Barcelone, en Espagne, démontre la place considérable qu’occupe le football en tant qu’instrument au service de la politique.
Par Dr Mounir Hanablia *
Les clubs de football sont ils les ultimes avatars des régionalismes espagnols? L’Espagne a depuis toujours été un pays composé de plusieurs nations et son drapeau en est la meilleure preuve, on y retrouve les armoiries du Léon, de la Castille, de la Navarre, et de l’Aragon qui ont tous été de véritables royaumes dotés d’Etats et de dynasties régnantes. La réunification a été assurée au XVe siècle avec le mariage d’Isabelle de Castille avec Ferdinand d’Aragon, et parachevée par la conquête et la colonisation du dernier royaume arabo-berbère de Grenade.
L’expression des régionalismes
Cependant, et malgré un Etat unitaire, les identités régionales sont demeurées importantes, et il existe aujourd’hui en Espagne 4 langues parlées, dont 3 sont romanes mais bien différenciées les unes des autres, la dernière, le basque, est singulière puisque contrairement aux autres elle n’est pas dérivée du latin, et son origine demeure discutée. Mais le plus important c’est que ces différences se sont toujours accompagnées d’expressions politiques significatives; elles se sont rangées aux côtés de l’absolutisme royal anticonstitutionnaliste après l’invasion napoléonienne et la restauration, aux côtés du légitimisme lors des guerres Carlistes au XIXe, et des républicains pendant la guerre civile.
Pendant le franquisme, les régionalismes ont adopté différentes formes, tantôt clandestines, et parfois terroristes. C’est justement sous la dictature de Franco que les clubs de football, tolérés par le régime parce que canalisant les sentiments populaires, en sont devenus les porte-drapeaux et les stades ont acquis ce statut d’endroit unique où sous prétexte de la défense des couleurs, les attitudes partisanes fortes du nombre, s’exprimaient, véhiculant inévitablement des messages politiques.
Alors que la pratique de leur langue dans les lieux publics était interdite, les Catalans grâce au Football Club de Barcelone (FCB) ont pu renouveler chaque dimanche leur attachement à leur nation, et concomitamment le Réal Madrid est devenu à juste titre le symbole du centralisme autoritaire de l’Etat franquiste.
Des histoires terribles remontant à ces époques de répression, continuent de circuler, comme celle du fondateur du club catalan, le Suisse Joan Gamper, grand promoteur de l’identité catalane, chassé du pays parce que, pendant la dictature de Primo De Rivera, les supporters du CFB avaient sifflé l’hymne espagnol, et qui finira par se suicider. Ou bien le destin tragique du président Josep Suniyol, fusillé par l’armée de Franco au début de la guerre civile. Ou encore, au cours d’un match à Madrid, contre le Real, l’irruption dans le vestiaire catalan de policiers venus ordonner aux joueurs de perdre le match, alors qu’ils avaient remporté l’aller 3-0, sous peine de se voir incarcérer à la sortie du stade, et d’ailleurs ils s’étaient exécutés pour perdre sur le score ridicule de 11-1 avec la partialité du corps arbitral.
L’identité catalane face au pouvoir central
Fait remarquable, les thuriféraires de l’identité catalane dans le football ont été souvent à Barcelone des étrangers, à l’instar du Hollandais Johan Cruyff, qui avait annoncé son opposition au franquisme et qui, adopté par le public, a même joué dans l’équipe de la Catalogne. Mais avec la fin de la dictature et l’avènement de la démocratie, alors que les langues et les cultures régionales ont retrouvé droit de cité, et que les revendications indépendantistes n’ont plus été réprimées, les clubs de football ont gardé cette place particulière de porte drapeaux des revendications régionales.
Ainsi, chaque dimanche grâce aux rencontres sportives, chaque communauté y trouve l’occasion de renouveler sa fidélité à sa propre nation. Même un club comme le Betis Séville, avec ses couleurs «islamiques», vert et blanc, issus du drapeau andalou à croissant vert, est devenu le porte-drapeau d’un particularisme andalou alors que l’Andalousie, depuis la Reconquista, a toujours été linguistiquement et politiquement complètement assujettie à la Castille et à l’Etat espagnol.
L’exemple de l’Espagne démontre donc clairement la place considérable qu’occupe toujours le football en tant qu’instrument au service de la politique, et la Tunisie ne fait pas exception, même si les revendications politiques y sont beaucoup moins marquées. Qui ne se souvient des violences qui avaient suivi la défaite de l’Espérance sportive de Tunis (EST), ce symbole du pouvoir issu de la libération nationale, en finale de la coupe en 1971, et qui avaient entraîné sa dissolution, après un match contre l’équipe phare d’une région économiquement florissante mais politiquement brimée, le Club sportif sfaxien (CSS)?
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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