Tunisie – FMI : Kaïs Saïed va-t-il réussir à imposer ses conditions ?

Kaïs Saïed continue de souffler le chaud et le froid et de désorienter les partenaires internationaux de la Tunisie par des déclarations dont l’intransigeance et la rigidité ne dénotent guère une disposition à mettre en œuvre les engagements du pays dans ses relations avec ses bailleurs de fonds.    

Par Ridha Kefi

En recevant hier, jeudi 4 mai 2023, au palais de Carthage, la Première ministre Najla Bouden, le président de la république a souligné une nouvelle fois le rôle social de l’Etat, ajoutant que «la Tunisie n’acceptera les diktats d’aucune partie» et que «les solutions doivent émaner de la volonté populaire et être purement tunisiennes et au service de la majorité appauvrie, qui a souffert et continue de souffrir de la pauvreté et de la misère.»

Le président Saïed a aussi indiqué que les «déclarations (sur la Tunisie) venant de l’étranger n’engagent que leurs auteurs et aucune partie n’a le droit d’imposer à l’Etat ce que rejette le peuple», ajoutant, au cas où on ne l’aurait pas encore compris, qu’«aucune partie en Tunisie, quelle qu’elle soit, n’a le droit de prendre des engagements contraires à ceux que définit le président de la république.»

Les diktats de qui ?   

Le président n’a certes pas nommément cité les «parties» qui voudraient imposer leurs diktats au peuple tunisien, mais il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le chef de l’Etat répond aux dirigeants du Fonds monétaire international (FMI), qui n’ont de cesse de rappeler que leur institution est disposée à donner à la Tunisie le prêt de 1,9 milliard de dollars demandé par son gouvernement, mais qu’elle veut être assurée que ce dernier est déterminé à mettre en œuvre les réformes sur lesquelles il s’était lui-même engagé et qui ne lui ont été imposées par aucune partie extérieure et qu’il est en mesure de réunir des financements complémentaires d’autres bailleurs de fonds internationaux et bilatéraux.

Quant aux parties en Tunisie qui auraient pris ou seraient sur le point de prendre «des engagements contraires à ceux que définit le président de la république», et qui font l’objet de l’avertissement présidentiel, quelles sont-elles sinon la Première ministre Najla Bouden, présente à l’audience et qui opinait de la tête, la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, et le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane Abassi, qui n’ont de cesse de défendre le dossier de la Tunisie auprès des bailleurs de fonds internationaux et d’assurer à ces derniers qu’ils sont déterminés à mettre en œuvre les réformes douloureuses sur lesquelles ils s’étaient solennellement engagés auprès d’eux ? Preuve de cet engagement : la loi des finances pour l’exercice 2023, signée et promulguée par le président Saïed, contient une partie de ces réformes que ce dernier semble renier aujourd’hui.

Les conditions de Saïed  

Que penser de tout cela ? A quel jeu de rôles s’adonnent le président de la république et son gouvernement, l’intransigeance de l’un opposant une fin de non-recevoir aux bonnes dispositions de l’autre ? Et dans quel but ? Cherche-t-on à faire comprendre aux bailleurs de fonds internationaux de la Tunisie qu’ils sont tenus de venir en aide au pays mais aux conditions dictées par son président, c’est-à-dire en passant à la trappe les réformes douloureuses auxquelles le gouvernement tunisien s’était lui-même engagé et que la situation actuelle des finances publiques rend caduques, parce qu’inapplicables, étant donné la lourdeur de leur coût économique et social?      

Ces réformes, rappelons-le, concernent la réduction de la masse salariale du secteur public, la levée des subventions sur les produits de première nécessité et la restructuration ou privatisation des entreprises publiques en difficulté, réformes que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) rejette catégoriquement, et c’est l’un des rares points sur lesquels le principal syndicat du pays est en total accord avec le président de la république.

Lueur au bout du tunnel ?

Le président de la république, dont le rejet des réformes ne semble désormais souffrir aucun doute, a-t-il une alternative sérieuse au financement du FMI et des autres bailleurs de fonds traditionnels, qui expliquerait la fin de non-recevoir exprimée fermement hier ? Si c’est le cas, qu’attend-il pour en faire part aux 12 millions de «sujets» qu’il a la charge de conduire et qui, aujourd’hui, face à l’inflation galopante, à la hausse des prix des produits alimentaires, aux faillites en série des entreprises et au spectre du chômage qui rôde partout dans le pays, commencent à sombrer dans la déprime ?

Monsieur le président, nous apprécions beaucoup votre patriotisme ombrageux et votre dévouement sans faille au service du peuple dont vous pensez incarner la volonté, mais nous apprécierons encore mieux si vous nous dites quelle carte précieuse vous détenez encore et qui vous permettra de remporter la partie. Car la question que l’on ne peut s’empêcher de se poser à ce propos est la suivante : au-delà des gesticulations populistes, avez-vous un vrai scénario de sortie de crise ? Y a-t-il une lueur au bout du tunnel ? Seriez-vous la lueur ou… le tunnel ?

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