Bruxelles croit pouvoir faire endosser à Tunisie le rôle de sentinelle au service de la police des frontières européenne pour bloquer ou freiner les flux migratoires à partir de ses côtes vers le Vieux continent. Un pari bien hasardeux…
Par Imed Bahri
Le Conseil européen se réunira les 29 et 30 juin 2023. Le projet d’accord avec la Tunisie sera certainement à l’ordre du jour. Ce projet, l’exécutif tunisien n’a pas cru devoir en révéler le contenu aux citoyens tunisiens. Est-ce que cela est conforme aux principes, valeurs et droits fondamentaux dont l’Union européenne (UE) ne cesse de nous rebattre les oreilles ?
Ce projet d’accord d’un milliard d’euros, dont 900 millions sous forme de prêt, a été convenu avec le président de la république Kaïs Saïed lors de la récente visite à Tunis de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, et le peu d’éléments qui en ont filtré indique qu’il porte essentiellement sur la gestion des flux migratoires à partir de côtes tunisiennes vers l’Europe.
L’exigence de transparence
Déséquilibré, inégalitaire et profitant des difficultés actuelles de la Tunisie pour lui faire endosser le rôle de sentinelle au service de la police des frontières européennes, ce projet d’accord est très contesté par les acteurs politiques et la société civile en Tunisie où il n’a pas fait l’objet de débat officiel, même pas au sein du parlement en place dont on sait pourtant qu’il est totalement acquis au processus politique impulsé par le président Saïed par la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021.
Commentant cet accord, dans un post Facebook, aujourd’hui, mardi 27 juin 2023, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri rappelle, à juste titre, que «tout accord international signé par des autorités politiques sans une consultation nationale suffisamment transparente et crédible risque fort de ne pas jouir de la légitimité nécessaire à la survie politique de son signataire.»
«L’Union européenne, qui se targue d’être une structure démocratique, devrait être attentive à l’exigence de transparence et d’adhésion préliminaires à tout accord qu’elle prétendrait extorquer à un exécutif tunisien à court de marge de manœuvre et d’alternatives diplomatiques pour se laisser embarquer dans une transaction qui risque de s’avérer onéreuse socialement, sécuritairement et diplomatiquement au point d’être intenable», ajoute-t-il, estimant que le rôle de sentinelle que Bruxelles veut faire endosser à la Tunisie va être lourd à porter par notre pays, sur les plans aussi bien intérieur, où la forte présence des migrants sub-sahariens dans certaines régions frontalières commence à causer de gros soucis aux populations et aux autorités, qu’extérieur, en ce sens que notre pays aura beaucoup de mal à protéger ses frontières devenues de véritables passoires pour les passeurs.
Malentendus et tensions
«La Tunisie a connu récemment des malentendus et des tensions avec des pays du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne», rappelle à ce propos le diplomate. Et ajoute : «Tout accord sur la gestion du flux migratoire signé dans la précipitation et l’opacité, risque fort de creuser davantage la solitude de la Tunisie au point d’en faire un paria dans sa propre région.»
Dans ce contexte, les déclarations du président Saïed, souvent reprises par le ministre des Affaires étrangères Nabil Ammar et les autres membres du gouvernement, selon lesquelles la Tunisie ne gardera jamais les frontières des autres pays, devraient donner à réfléchir à ceux qui, au nord de la Méditerranée, et pour des raisons clairement électoralistes, pensent que l’accord avec la Tunisie est déjà plié et dans la poche.
Les déclarations de Saïed ne sont pas destinées seulement à servir d’emballage médiatique pour un accord impopulaire, elles expriment aussi une position de principe qui, le jour J, et en cas d’aggravation du problème migratoire, dont on voit déjà les prémices dans les marches de protestation du weekend dernier à Sfax, pourraient servir à justifier une très probable volte-face. N’est-ce pas, d’ailleurs, cette hypothèse, que les Européens n’excluent pas, étant donnée l’imprévisibilité du président tunisien, qui explique le faible engagement financier de l’UE envers la Tunisie ?
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