La visite du groupe de parlementaires tunisiens en Syrie et sa rencontre avec le président Bachar Al-Assad n’a pas cessé d’alimenter la polémique. Et d’énerver M. Jhinaoui.
Par Abderrazek Krimi
Dans une déclaration, jeudi 23 mars 2017, à l’agence Tunis Afrique Presse (Tap), le ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui a réitéré la position qu’il avait exprimé lundi dernier concernant la visite d’un groupe de parlementaires tunisiens en Syrie. La réaction exprimée hier a été, cependant, plus virulente que celle du début de la semaine.
En effet, le chef de la diplomatie tunisienne a dénoncé cette initiative qui a été prise «sans aucune coordination avec les autorités officielles chargées du dossier aux affaires étrangères».
La volonté du peuple
Si l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a le droit d’établir des relations diplomatiques, celles-ci devraient se faire en coordination avec l’appareil exécutif et dans le cadre du renforcement de la politique extérieure officielle de la Tunisie, a-t-il indiqué.
M. Jhinaoui a ajouté que les activités diplomatiques de toutes les composantes de l’Etat «doivent refléter la volonté du peuple qui a élu, en 2014, un président qui est le seul responsable de l’établissement de la politique étrangère de la Tunisie».
Cette déclaration du ministre des Affaires étrangères contient au moins deux déformations : la première est que M. Jhinaoui semble oublier qu’en 2014, et lors de sa campagne électorale, le président Beji Caïd Essebsi s’était engagé à œuvrer, une fois élu, au retour de relations diplomatiques normales avec la Syrie, un engagement qu’il n’a pas encore honoré deux ans et demi après son entrée au palais de Carthage.
Dans ce cas, évoquer la volonté du peuple incarnée dans celle de son président devrait être compris dans le sens du rétablissement des relations diplomatiques avec la Syrie et non le contraire. Et c’est, à notre connaissance, le principal objet de la visite des parlementaires en Syrie.
La deuxième déformation consiste à dire que la Tunisie a rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie sur la base du principe de solidarité arabe qui requiert la soumission à la résolution prise par la Ligue des Etats arabes en 2012. Il semble oublier, cependant, que d’une part, l’ancien président provisoire Moncef Marzouki avait pris la décision de «l’expulsion» de l’ambassadeur syrien accrédité à Tunis et de convoquer l’ambassadeur tunisien à Damas, bien avant la résolution de ladite Ligue, et que cette décision était, à l’époque, dictée par l’émirat du Qatar et n’exprimait donc en rien «la volonté du peuple tunisien».
Les députés tunisiens reçus cette semaine à Damas par Bachar Al-Assad.
Carte blanche pour Ennahdha
Ce qui ne semble pas être du goût de M. Jhinaoui est, parait-il, l’entretien qu’a eu le groupe parlementaire avec le président syrien Bachar Al-Assad. Car, une telle rencontre, si elle n’est pas accompagnée d’un changement de position de la part de l’exécutif tunisien, ne pourrait être comprise, dans la coutume diplomatique, que dans un seul sens : une contradiction entre la position officielle et la position populaire tunisiennes à propos de la question syrienne.
Autre contradiction révélée par la position de M. Jhinaoui, adepte lui aussi de la politique des deux poids deux mesures et qui a le mécontentement à géométrie variable. Pourquoi, en effet, ne l’a-t-on pas entendu critiquer l’activisme diplomatique de Rached Ghannouchi, qui a rencontré de nombreux responsables politiques algériens, libyens et turcs? Le chef de la diplomatie tunisienne a même, à l’époque, quand on lui a posé la question à ce sujet, fait profil bas et cherché à justifier l’initiative du président du parti islamiste Ennahdha. En d’autres termes, on ne refuse rien au véritable dirigeant du pays !
Indépendamment de toutes ces considérations, un éventuel rétablissement des relations diplomatiques avec la Syrie est actuellement de toute nécessité pour mieux coopérer sur la question d’intérêt commun de la lutte contre les réseaux terroristes.
Mais il semble que cette nécessité n’est pas du goût du parti qui domine aujourd’hui le gouvernement Youssef Chahed, c’est-à-dire Ennahdha. Ce parti a déjà exprimé son veto à un éventuel retour des relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie, ainsi d’ailleurs que les bailleurs de fonds de la Tunisie, arabes et occidentaux, qui continuent d’alimenter le conflit syrien.
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