Bâtiment de la Cour des comptes européenne.
Depuis 2011, l’UE a fourni à la Tunisie une aide de 1,3 milliard d’euros «sans en avoir correctement vérifié la dépense», selon la Cour des comptes européenne (CCE).
Par Marwan Chahla
D’après le rapport de cette institution supérieure de contrôle de la gestion financière de l’Union européenne (UE) et de ses différentes instances, depuis la révolution tunisienne de 2011, l’ensemble européen a mis à la disposition de la Tunisie plusieurs tranches d’assistance dont le montant total s’élève à 3,2 milliards de dinars tunisiens.
Cet appui financier, qui devait servir à soutenir la transition démocratique tunisienne «pendant ces six années, a été marqué par un manque de contrôle en bonne et due forme [de la part de l’UE, ndlr] dans la dépense de cette aide et sans une évaluation adéquate des finances publiques tunisiennes – malgré le fait que ces fonds ont déjà été mis à la disposition de la Tunisie.»
Le prix d’une transition démocratique
Bien que la Cour reconnaisse que cet argent «a été, d’une manière générale, bien dépensé, dans la mesure où il a contribué à la transition démocratique et… à la stabilité économique de la Tunisie, au lendemain de la révolution», elle souligne l’existence de plusieurs lacunes et soumet à la Commission européenne un certain nombre de recommandations.
La CCE indique dans son rapport que «la Commission européenne s’est évertuée à traiter trop de dossiers à la fois, ce qui a sensiblement réduit l’efficacité et l’impact de son aide à la Tunisie. Et, en définitive, ces nombreuses activités sont devenues difficiles à gérer.»
Le Belge Karel Pinxten, auteur principal de ce rapport de la CCE, met en garde: «La Tunisie se débat pour préserver sa stabilité économique et voilà que la question sécuritaire est devenue un défi majeur pour ce pays. Dans un tel contexte, la gestion effective du soutien financier de l’UE devient donc une priorité absolue.»
Les auditeurs de la CCE reprochent à l’UE le fait que les conditions d’octroi de ce 1,3 milliard d’euros d’assistance à notre pays aient été «trop souples, ce qui a rendu les autorités tunisiennes moins disposées à prendre les mesures spécifiées dans les accords.»
Le rapport souligne aussi que «l’évaluation de la dépense publique et de la responsabilité financière, qui est le baromètre fiable du progrès effectif de la réforme des finances publiques tunisiennes», n’a pas été entreprise depuis 2010.
Il estime également que «l’appui budgétaire dans 2 sur 3 secteurs manquait de stratégies crédibles… Et il y a même des cas où les objectifs n’étaient ni précis ni mesurables.»
Le rythme des transformations jugé «trop lent»
La CCE conclut son rapport en soulignant que le gouvernement tunisien a certes mis en œuvre quelques réformes importantes, mais le rythme de ces transformations a été «trop lent», et cela il était, en grande partie, la conséquence des nombreux changements de gouvernement et le résultat de l’absence d’un projet global de développement.
Les auditeurs de la CCE engagent instamment la Commission européenne à faire de la sorte qu’à l’avenir les Etats membres soit associés plus étroitement dans la programmation de son aide à la Tunisie et que notre pays adopte «un plan de développement national global.»
Ce rapport de la CCE a tout l’air d’un avertissement sérieux que les «patience» et «générosité» de l’UE envers la Tunisie et sa révolution ne seraient pas sans limites… Aux Tunisiens donc de tenir compte de ce qui ressemble à un changement d’humeur de notre premier partenaire. Et qui fait suite aux avertissements d’autres bailleurs de fonds internationaux, notamment le Fonds monétaire international (FMI), qui a refusé de décaisser la 2e tranche d’un prêt convenu avec l’Etat tunisien pour cause de mauvaise gouvernance et retard dans la mise en place des réformes économiques, et notamment la maîtrise de la masse salariale qui a carrément explosé au cours des dernières années.
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