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Les universitaires tunisiens contre le terrorisme

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Les universitaires peuvent faire beaucoup de choses contre le terrorisme: en tant que citoyens, en tant qu’enseignants et en tant que chercheurs.

Par Amor Cherni*

Mais notons d’abord que l’université tunisienne est aujourd’hui largement en-deçà de sa propre histoire. Il fut un temps où elle était à l’avant-garde de la société : elle inventait une nouvelle pensée, de nouveaux comportements, des traditions inédites, au point où elle était accusée d’être le foyer de la subversion. Ce procès, faut-il le reconnaître, n’était pas vain.

L’université à l’avant-garde des luttes

A travers les décades et les générations, l’université tunisienne a forgé des esprits critiques et éveillés, qui se sont toujours opposés à l’injustice, à l’oppression et à la dissipation des richesses du pays. Elle a formé une tradition de contestation et d’opposition aux abus du pouvoir, au culte de la personnalité, à l’inégalité des classes et des régions, au mépris du peuple tunisien et de ses couches populaires. Des centaines d’étudiants, mais aussi d’enseignants, ont connu les arrestations, les procès d’exception, les exclusion et les radiations de la fonction publique, la marginalisation et la misère. Et pourtant, l’université n’a pas baissé les bras; elle a toujours été à l’avant-garde des luttes d’une façon directe ou indirecte. Un ouvrage paru en 2011, a montré, avec force arguments, qu’elle était, avec l’UGTT, l’un des deux artisans de la Révolution.

L’université désormais sur la défensive

Malheureusement, depuis la Révolution de janvier 2011, elle est tombée dans un inquiétant mutisme, et une redoutable apathie. Deux événements en particulier auraient dû pourtant l’entraîner dans la mêlée, comme si la Révolution était venue la solliciter dans sa propre cour, dans son espace intime :

1/ les révolutionnaires de la Kasbah II, chassés et réprimés, sont venus se réfugier à la Faculté des sciences humaines et sociales ! Quel honneur pour elle et pour eux ! Quelle belle rencontre historique ! C’est comme si ces étudiants chômeurs, politisés en son sein par les soins de l’Uget, étaient venus lui dire: «Voilà, chère mère. Nous avons étés au niveau de tes attentes. Nous avons réalisé la grandiose mission pour laquelle, pendant de longues années, tu nous a préparés». Quel accueil triomphal ne fallait-il pas leur réserver? Or, rien;

2/ l’attaque subie par la Faculté des lettres de la Manouba a été une autre occasion. Certes, la résistance a été héroïque, en particulier, de la part de son glorieux doyen (Habib Kazdaghli, Ndlr). Ses collègues ont fait preuve d’une solidarité indéfectible et d’une défense sans faille des valeurs et des normes universitaires et ont fini par l’emporter. Mais, encore une fois, l’université était restée sur la défensive.

A vrai dire, ces deux événements montrent, si besoin était, l’état de délabrement avancé où se trouvent aujourd’hui, non seulement, l’université, mais aussi toute l’institution scolaire. L’actuel ministre de l’Education nationale (Neji Jalloul, Ndlr),  a tiré, bien fort, sur la sonnette d’alarme, par une déclaration qui a dérangé les oreilles offusquées par le conformisme et le néo-traditionalisme, qui veulent croire et faire croire, tel Candide dans sa candeur, que tout va pour le mieux, quelque calamité qui puisse leur arriver.

L’université contre le terrorisme

Aujourd’hui, les universitaires se mobilisent contre le terrorisme. D’où le retour de la question : que peut faire un universitaire dans ce sens?

Trois choses au moins, avons-nous dit :

1/ en tant que citoyen, s’engager dans la lutte armée contre le fléau qui menace l’existence même de la nation. C’est ce qu’ont fait de grands intellectuels et d’habiles universitaires en France lors de l’occupation, mais aussi en Syrie lors de l’invasion de ce pays frère par des hordes barbares, soutenus par des monarchies vermoulues et des puissances impérialistes qui n’avaient d’objectif que de vendre des armes et récupérer des marchés lors d’hypothétiques «reconstructions». Mais, dira-t-on, heureusement pour nous, nous n’en sommes pas là. Nos forces de sécurité et notre armée «tiennent encore la situation en main» et n’ont pas besoin d’une mobilisation générale pour défendre le pays ;

2/ en tant qu’enseignants, les universitaires sont les mieux placés pour éradiquer le terrorisme en éradiquant l’ignorance et l’obscurantisme dont il procède. Que peut faire l’Université dans ce domaine? Une chose très simple, mais fatale : ouvrir ses portes au peuple. Tout le monde le sait : le terrorisme naît de l’obscurantisme, et celui-ci de l’ignorance. C’est donc par le savoir qu’il faut le combattre. Or, qui mieux que l’université et les lycées peut diffuser le savoir à un peuple et à une jeunesse qui en manquent douloureusement. Pourquoi donc ne pas organiser des cours de soir de lettres, d’histoire, de droit, de géographie, d’économie, de physiologie et même, faut-il encore rêver, de philosophie?! Pourquoi les universitaires n’iraient-ils pas faire entendre leur voix dans les maisons de culture, ou de jeunes, dans les cinémas, ou les théâtres? Des conférences, des conférences, et encore des conférences ! Les masses tunisiennes ont assez entendu le vacarme de l’obscurantisme dans les lieux du fanatisme, pour qu’elles aient le droit d’entendre aujourd’hui la voie de la raison et des sciences, dans les lieux de la culture et du savoir;

3/ en tant que chercheurs, les universitaires ont aujourd’hui le champ libre, libéré par notre glorieuse Révolution, pour «partir à l’assaut du ciel». Rappelons-nous les livres censurés, les collègues inquiétés en raison même de leurs thèses jugées hétérodoxes. Eh, chers collègues, qu’attendez-vous pour abattre vos œuvres? Ce n’est que par ses livres qu’un pays accède à la civilisation ! A vos claviers citoyens !

Voilà ce qu’un universitaire peut et doit faire aujourd’hui contre le fléau qui s’abat sur notre pays. Que ne doit-il pas faire ? Ne jamais faire ? Se mettre à la remorque du politique. Voilà le fiasco. Voilà le mal qui a frappé notre université dès sa naissance et il serait encore plus malheureux de le reproduire aujourd’hui, non plus avec la candeur de Candide, mais avec la stupidité de ce géant dont on disait qu’il soulevait un rocher pour le laisser tomber sur ses pieds.

* Universitaire.

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