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La Tunisie face au fléau terroriste

Police

Si les terroristes veulent banaliser la violence et le sang et nous les imposer comme une fatalité, notre réponse doit être conséquente et forte.

Par Mohsen Kalboussi*

Les dernières tueries des agents de la garde nationale ont remis à l’ordre du jour le problème terrorisme qui semble s’installer parmi nous, alors que les moyens de combattre ce fléau ne semblent pas avoir été efficaces jusque-là. Il est vrai que les opérations de police ont réussi à démanteler un certain nombre de «cellules dormantes», mais il paraît de plus en plus clair que les groupes déjà constitués ont encore des capacités de nuisance difficile à estimer.

Une nébuleuse difficile à identifier

Nous faisons face en Tunisie un phénomène inédit, que nos concitoyens ne connaissent pas assez et contre lequel les services de sécurité ne sont pas suffisamment armés pour pouvoir en venir à bout. Les membres de ces groupes ne sont pas tous des nationaux, ce qui ajoute à la complexité du problème et nous met place face à une nébuleuse dont les contours internationaux ne sont pas encore bien dessinés, surtout qu’elle ne revêt pas les mêmes formes ni n’adopte les mêmes modes opératoires partout où elle sévit.

Nous savons déjà que la déliquescence de l’Etat en Libye reste un facteur d’instabilité potentielle pour toute la région, puisque, déjà, les armes qui ont quitté ce pays ont largement contribué à déstabiliser d’autres pays voisins, notamment le Mali, le Tchad, le Niger, sans parler du Nigeria où le groupe Boko Haram est à l’origine de tueries sans fin dans le plus peuplé des pays africains.

Nous savons également que des contingents de jeunes tunisiens (combien sont-ils, d’où viennent-ils, comment sont-ils recrutés?) sont déjà partis au jihad en Syrie ou sont impliqués dans le bourbier libyen. En dehors de la douteuse «légitimité» de leur engagement dans des combats qui ne sont pas les leurs, ces jeunes constituent un danger potentiel pour la Tunisie lorsqu’ils y reviendront. Et beaucoup sont déjà revenus au pays. Leur engagement démontre aussi qu’une frange de notre jeunesse est prête, si l’occasion s’en présente, à passer à l’action sous la bannière djihadiste.

Une certaine misère intellectuelle

Le moment du passage à l’action de ces jeunes et les motivations qui les animent lorsqu’ils tuent nos forces de sécurité sont les points les plus obscurs qu’il convient d’interroger et d’essayer de comprendre. Le profil des personnes engagées dans les groupes terroristes et qui se réclament d’une certaine vision de l’islam n’est pas encore clairement défini. Ni, d’ailleurs, les régions et les milieux sociaux dont ils sont majoritairement issus. Le cliché selon lequel la pauvreté est le creuset de l’extrémisme religieux et du terrorisme ne tient plus vraiment la route, puisque preuve a été faite que beaucoup de ceux qui ont été neutralisés par les forces de l’ordre ou l’armée appartiennent à des milieux plutôt aisés.

Ce qui est clair, également, c’est que les djihadistes présentent un dénominateur commun : une certaine misère intellectuelle. Ce phénomène, difficile à comprendre ou à quantifier, touche de nombreuses catégories sociales. Il est certain, par ailleurs, que la très grande majorité des jeunes engagés dans les mouvements terroristes souffre d’une incapacité à s’ancrer dans la vie sociale et de se projeter dans l’avenir, tant et si bien que leur engagement exprime une volonté de rupture avec une société qui ne leur offre pas un avenir digne de ce nom.

Les limites du tout sécuritaire

L’absence de la dimension culturelle est l’une des défaillances majeures des stratégies mises en route jusque-là dans la lutte contre le terrorisme. A quoi s’ajoute le fait que notre système d’enseignement n’immunise pas suffisamment les jeunes contre ce phénomène. Il est donc impératif de sortir des chemins battus du tout sécuritaire, dont les limites sont devenues criardes, et de concevoir une stratégie qui intégrerait cette dimension éducative et culturelle, seule susceptible de soustraire durablement notre jeunesse aux influences et instrumentalisations de toutes sortes, qui les poussent dans les voies sans issue de la haine de soi et de la violence.

La difficulté de prévoir les desseins, les plans et les tactiques des groupes terroristes rend notre société très vulnérable. En dehors des rares cas où des éléments ont été neutralisés avant de passer à l’acte, ces derniers ont souvent réussi à surprendre les forces armées (garde nationale ou armée) et à mener des frappes meurtrières dont ils sont sortis indemnes et, pour ainsi dire, vainqueurs.

Le système de renseignement, démantelé au lendemain de la révolution de janvier 2011 et reconstitué récemment, est encore balbutiant et ne permet pas aux forces de sécurité d’anticiper les attaques terroristes et de neutraliser les groupes djihadistes avant qu’ils ne passent à l’action. Nous devons donc mettre en place un système de renseignement professionnel capable d’analyser les faits et gestes des différents acteurs et de mener des opérations de nature à ne pas leur permettre de nuire à la société. Et il ne s’agit pas de regretter le système policier qui était en place sous le régime de Ben Ali, car le terrorisme a longtemps été couvé par la dictature et n’a pas été, comme le pensent à tort certains, le produit de la démocratie balbutiante!

Il convient aussi de connaître les soutiens politiques – notamment d’Etats étrangers – dont bénéficient les groupes djihadistes et d’oeuvrer à assécher leurs sources de soutien financier ou logistique.

Il s’agit, également, d’engager une lutte sans merci contre la contrebande et le marché parallèle, qui pourraient constituer un soutien réel ou potentiel à ces groupes.

Si les terroristes veulent banaliser la violence et le sang et nous les imposer comme une fatalité, la réponse de nos concitoyens doit être conséquente, en exprimant leur indignation générale et en se montrant solidaires et unis après chaque acte terroriste, de manière à souligner que le terrorisme ne dispose pas en Tunisie d’une assise sociale et qu’il reste un phénomène importé, greffé, imposé à une société, traditionnellement et historiquement, pacifiste.

* Universitaire.

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