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Que peut apporter la parité dinar-yuan à l’économie tunisienne?

Sahby-Basly-CCTC

La parité (à déterminer) entre le dinar tunisien et le yuan chinois pose plus de problèmes qu’elle ne semble en mesure d’en résoudre.

Par Wajdi Msaed

Le Conseil de coopération tuniso-chinois (CCTC) a pris la judicieuse initiative d’organiser, le mardi 29 mars 2016, à Tunis, un déjeuner-débat sur un thème inattendu mais qui ne manque pas d’intérêt pour les opérateurs économiques: «La parité dinar-yuan : enjeux et perspectives», en présence, notamment, de Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).

Un appel d’air pour l’économie tunisienne

Dr Sahbi Basly, président du CCTC, a placé le débat dans son contexte économique et financier, en rappelant la décision historique du Fonds monétaire international (FMI), annoncée le 30 novembre 2015, et qui porte sur l’entrée de la monnaie chinoise, le yuan, dans le club très fermé des principales monnaies de réserve internationale.

La condition préalable à cette intégration, a-t-il précisé, est que le yuan soit utilisé le plus largement possible dans les transactions internationales, ajoutant qu’entre 2012 et 2014, la monnaie chinoise est passée de la 13e à la 5e place parmi les devises les plus utilisées au monde avec une part de marché de 2,17%, ce qui permet à l’économie chinoise de jouer d’égale à égale avec celle de l’Union européenne, du Japon et des Etats Unis.

Eu égard, d’une part, aux difficultés économiques et sociales que traverse la Tunisie depuis plus de 5 ans et à la baisse du volume de ses réserves en devises, en raison, notamment, du recul des exportations de phosphates et des recettes du tourisme sur plusieurs années successives, et compte tenu de l’évolution du volume des échanges commerciaux entre la Tunisie et la Chine, qui sont passés à 1,2 milliard de dollars en 2010, l’introduction de la parité (qui reste à déterminer) entre le yuan chinois et le dinar tunisien demeure d’actualité, a estimé Dr Basly, ancien ambassadeur de la Tunisie à Pékin et qui est un fervent défenseur du développement des relations économiques tuniso-chinoises.

Une idée dénuée de tout sens

Pourtant, l’avis du gouverneur de la BCT est à l’opposé. «Penser à une telle parité est extrêmement prétentieux. C’est une réflexion démunie de tout sens», a-t-il lancé, assez brutalement et sans craindre de faire grincer quelques dents. «Si nous nous référons à la somme monétaire entre les banques centrales tunisienne et chinoise, nous devrons proposer des champs de coopération monétaires précis et penser à développer davantage la coopération financière bilatérale», a-t-il ajouté, comme pour laisser la porte entrouverte à une coopération certes à venir mais encore lointaine, entre un géant économique et un petit pays dont 80% des échanges se font encore avec l’Europe.

Chedly Ayari a estimé que la première chose à lancer, dans ce contexte, est la garantie officielle chinoise pour une émission obligataire tunisienne, à l’instar de ce qu’a fait le Japon, sur le marché Samouraï. «On en a vraiment besoin pour financer le paiement de nos dettes», a-t-il précisé, en soulignant l’intérêt qu’il y a à ouvrir, préalablement, le marché obligataire tunisien aux capitaux chinois et à faire en sorte qu’une partie des réserves tunisiennes soit libellée en yuan. Il s’agit, on l’a compris, d’«impulser une synergie entre les deux monnaies afin de donner une autre dynamique au financement des PMEs tunisiennes», a insisté le gouverneur de la BCT, qui s’est interrogé pourquoi ces PMEs ne sont-elles pas exposées à la coopération chinoise, surtout dans le secteur des TIC, où les Chinois ont de grandes avancées et où les ressources humaines tunisiennes présentent des atouts certains.

Conseil-de-cooperation-tuniso-chinois

«Joindre le soft financier au soft technologique, ici et là, à travers le développement d’un système basé notamment sur les joint-ventures, voilà une approche qui mérite d’être encouragée», a lâché le gouverneur de la BCT en guise de conclusion. Une manière de dire qu’il faut commencer par le commencement et éviter de mettre la charrue devant les bœufs.

Le chargé d’affaires de l’ambassade de Chine, Zhan Xiagbo, a estimé, de son côté, que la parité entre les deux monnaies permettra de renforcer la coopération bilatérale et consolider les rapports privilégiés entre les deux pays. Evoquant les divers avantages dont dispose le paysage économique tunisien, le diplomate chinois a exprimé la détermination de son pays à les exploiter au maximum et à encourager les investisseurs chinois à venir nombreux opérer en Tunisie.

Changer de modèle économique

Le débat engagé a permis de soulever un certains nombre de questions relatives aux perspectives de coopération entre ce géant de l’économie mondiale dont la Tunisie est en droit d’attendre énormément en termes d’aide, de coopération, d’investissement, d’échange commercial et de transfert technologique.

Pour Ezeddine Ben Hamida, professeur de sciences économiques et sociales à l’Université de Grenoble (France), et modérateur de la séance, la question de la parité yuan-dinar mérite d’être posée et analysée, sachant que la Chine mène une stratégie d’internationalisation du yuan sur 10 à 15 ans et que le volume des échanges de la Tunisie avec toute la zone du sud-est asiatique ne représente que 9% de ses échanges globaux, dont 7% avec la seule Chine.

Mongi Loukil, promoteur touristique, a déploré, pour sa part, le nombre trop réduit de touristes chinois qui visitent notre pays. «Notre stratégie en la matière doit être repensée pour ouvrir de nouveaux horizons», suite à l’essoufflement des marchés européens traditionnels, a-t-il expliqué.

Hachemi Alaya, universitaire et économiste, a posé, quant à lui, un problème de fond : la Tunisie est-elle prête à changer son modèle économique pour pouvoir établir des relations plus organiques avec la Chine? La question est d’autant plus pertinente que les sociétés chinoises sont actuellement très performantes en matière de robotique, alors qu’en Tunisie, on cherche encore à résoudre le problème du chômage des diplômés du supérieur en recourant à des solutions archaïques. «Que peut nous apporter la Chine ? Voilà la question que nous devons nous poser», a lancé M. Alaya

Ives Bertrand, un Français qui a vécu pendant 25 ans en Chine, pense que les Tunisiens doivent savoir s’expatrier et s’exporter. Pour lui le produit touristique tunisien offert aux Européens n’est pas valable pour les Chinois. «Il faut aller rencontrer les Chinois, les comprendre et se faire comprendre d’eux», a-t-il renchéri.

Revenant au sujet du déjeuner-débat, Leila Amdouni, expert-comptable, a émis des doutes sur l’impact d’une parité à déterminer entre le dinar et le yuan, qui pourrait être très négatif pour une économie fragile comme celle de la Tunisie actuelle. «Il me semble pas opportun de procéder à cette parité, au moment où la monnaie chinoise fait face à une spirale baissière», a-t-elle souligné.

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