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C’est l’économie – et non pas la sécurité – qui inquiète les Tunisiens

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Un an après l’attentat de Sousse, les Tunisiens sont davantage obsédés par la crise économique que par la menace terroriste.

Par Sarah Yerkes *

La Tunisie a commémoré cette semaine le premier anniversaire de l’horrible attentat terroriste de Sousse qui a coûté la vie à 38 touristes étrangers. A l’occasion de cet anniversaire, une longue série d’articles de la presse internationale a évoqué la menace terroriste persistante qui pèse sur le pays. Pourtant, un récent séjour en Tunisie m’a donné la preuve que les Tunisiens, peut-être plus que les Américains ou les Européens, ont dépassé l’horreur de cette tuerie de Sousse.

La menace terroriste en Tunisie: une fixation occidentale?

Un an après l’attentat de Sousse, le Royaume-Uni et l’Allemagne, pays dont les ressortissants représentent le nombre le plus important des touristes étrangers sur la destination Tunisie, continuent de déconseiller à leurs citoyens de s’aventurer sur le sol tunisien. Par comparaison, les avertissements américain et français semblent légèrement moins alarmistes et moins contraignants. Par ce qu’il m’a été donné de constater, en juin, les citoyens américains et européens semblent avoir tenu compte des conseils de leurs gouvernements.

Durant mon séjour d’une courte semaine dans la capitale tunisienne et alentour, le seul endroit où j’ai pu rencontrer un touriste étranger, c’était sur le compte Instagram du comédien égyptien Bassem Youssef. Ailleurs, il n’en était rien: la piscine de mon hôtel (…) était vide… Les restaurants et cafés ouverts n’étaient fréquentés que par des Tunisiens. Et ce constat de la désertion totale des visiteurs occidentaux m’a été confirmé par les très nombreuses conclusions, auxquelles sont parvenus les observateurs, que la Tunisie a été dans l’incapacité de relancer l’activité de son industrie du tourisme.

Le gouvernement tunisien éprouve la plus grande difficulté à choisir entre, d’une part, faire comme si de rien n’était et cultiver l’idée de l’atmosphère accueillante, et, d’autre part, assurer que la Tunisie accorde à la sécurité de ses citoyens et des visiteurs étrangers la plus grande importance. Alors que j’y étais, le président Béji Caïd Essebsi a prolongé d’un autre mois l’état d’urgence, bien que certains de mes interlocuteurs sur place m’aient expliqué que cette décision était beaucoup plus dictée par des intentions politiques que des craintes sécuritaires réelles.

Pourtant, sur le terrain, il est indéniable que le dispositif sécuritaire tunisien a été très sensiblement renforcé. A titre d’exemples: toute voiture s’approchant de l’hôtel où je résidais (une chaîne américaine) était soumise à une fouille des plus minutieuses avant d’avoir accès au parking de l’établissement; mon chauffeur de taxi était systématiquement interrogé à l’occasion de nos visites à des sièges gouvernementaux; et, lors de mes promenades du soir, à La Marsa, j’étais surprise par la présence, à tous les coins de rue, d’agents de l’ordre brandissant leurs fusils d’assaut.

Pour les Tunisiens, c’est l’économie

Etant donné l’intérêt que porte la communauté internationale au danger djihadiste en Tunisie et la détermination dont fait preuve le gouvernement tunisien pour contrer cette menace, l’on pourrait logiquement s’attendre à ce que les Tunisiens soient obsédés par la question sécuritaire. Or, lors de la bonne vingtaine de rencontres que j’ai eues avec des responsables gouvernementaux, des politiques, des journalistes et des militants de la société civile, seul un Tunisien a mentionné la sécurité comme étant son souci premier (…)

En lieu et place de la question sécuritaire, pratiquement toutes les personnes que j’ai rencontrées estiment que les défis les plus importants auxquels la Tunisie est confrontée sont d’ordre économique, c’est-à-dire qu’il s’agit plutôt de mettre en œuvre des réformes économiques qui ont été longtemps reportées, attirer les investisseurs étrangers et s’attaquer plus sérieusement au problème du chômage des jeunes. Une autre illustration du grand intérêt que les Tunisiens attachent au dossier économique: la semaine dernière, la chute du dinar tunisien par rapport au dollar et à l’euro, a suscité plus d’inquiétude parmi la majorité des Tunisiens –loin, bien loin de ce que la presse internationale pouvait dire sur l’anniversaire de l’attentat de Sousse ou la menace que l’organisation terroriste de l’Etat islamique représente pour le pays. (…) Clairement donc, une bonne partie de l’opinion publique tunisienne est beaucoup plus préoccupée par les dangers de l’instabilité économique et politique que par un autre attentat terroriste sur le sol tunisien. Et ceci est en soi une bonne chose.

La menace terroriste en Tunisie n’a rien d’unique

Les observateurs ont raison de rappeler que la Tunisie n’a toujours pas apporté de solutions adéquates à son problème terroriste, en refusant ou presque d’admettre que ce phénomène a des origines locales. Cependant, de plus en plus de Tunisiens conviennent que la manière la plus efficace pour extirper ce mal profond requiert l’amélioration de l’économie tunisienne –à la fois structurellement, par le biais de réformes bien maîtrisées, et pratiquement, en augmentant sensiblement les investissements étrangers et les exportations, et en attirant de nouveau les touristes étrangers (…)

Le défi auquel ils sont confrontés pour relancer l’activité de leur industrie touristique est rendu encore plus difficile par l’intransigeance des interdictions de voyage imposées par les gouvernements européens à leurs ressortissants. Certes, les visiteurs de la Tunisie sont exposés au risque de violences massives et d’attaques terroristes, mais, hélas, ce danger est loin d’être unique à la Tunisie. Alors que je rédigeais cette réflexion, je me trouvais à l’aéroport de Bruxelles, ville qui a été récemment cible d’une horrible attaque terroriste. Aux Etats-Unis, j’habite à moins d’un mille du bâtiment du Capitole (siège du Congrès américain, ndlr) et travaille à moins d’un mille de la Maison Blanche. Qui est-ce qui oserait me dire que je suis plus en sécurité en restant chez moi, aux Etats-Unis, qu’en me déplaçant en Tunisie –ou à Bruxelles, Paris, Tel Aviv ou Orlando?

En tant que résidente de Washington, D.C., je ne passe pas mes journées à me soucier de cette question de sécurité. Je suppose que le gouvernement américain et l’appareil sécuritaire de mon pays sont bien équipés pour assurer ma protection. Nul doute que les forces de sécurité tunisiennes ne sont pas aussi professionnelles ou aussi efficaces que leurs homologues aux Etats-Unis et que le voisinage de la Tunisie demeure nettement plus dangereux que ce que notre pays connait dans l’hémisphère qui est la sienne. Cependant, une chose est sûre: si les touristes occidentaux et les investisseurs étrangers continuent à tourner le dos à la Tunisie, cet abandon offrira aux terroristes une victoire facile.

La Tunisie a besoin de plus de visiteurs et de plus d’investisseurs, et, afin d’attirer ces derniers, un engagement soutenu de la communauté internationale est requis. Le Royaume-Uni et l’Allemagne devraient collaborer avec la Tunisie de façon à combler les lacunes sécuritaires restantes et accéder à la demande des responsables tunisiens à ce que les gouvernements de Londres et de Berlin assouplissent leurs conseils de voyage aux ressortissants britanniques et allemands.

Pour sa part, le gouvernement tunisien devrait fournir des efforts supplémentaires pour reconquérir la confiance des touristes européens. De bonnes campagnes publicitaires peuvent être un premier pas dans la bonne direction. La direction de l’Office national du tourisme tunisien et les responsables tunisiens de la sécurité devraient également inviter des représentants des gouvernements européens à visiter la Tunisie afin de les informer sur les progrès accomplis par le pays dans le domaine sécuritaire et leur permettre de constater par eux-mêmes ces réalisations. Les dirigeants tunisiens ne seront jamais capables de traiter cette question sécuritaire comme il convient sans l’amélioration de la situation économique de leur pays.

Mon conseil (aux Occidentaux, ndlr)? Allez en Tunisie: profitez des belles plages de ce pays, dégustez sa délicieuse cuisine et injectez de l’argent dans l’économie tunisienne. Soyez respectueux et prudents, tout autant que vous l’êtes chez vous.

Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla

Source: ‘‘Brookings’’.

*Sarah Yerkes est collaboratrice émérite auprès au Center for Middle East Policy et membre du Council on Foreign Relations International Affairs. Elle a servi auparavant dans la section planification du Département d’Etat américain, où elle s’est spécialisée dans les Affaires nord-africaines. Elle a également été membre du staff chargé des dossiers palestinien et israélien, dans ce même département. Sarah Yerkes a occupé la fonction de consultante géopolitique auprès de la Direction de la planification et des politiques stratégiques (J5) au sein du Pentagone.

** Les titre et intertitres sont de l’auteure.

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