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Ghannouchi, un cheikh sans provision… morale

Rached-Ghannouchi

Ghannouchi traîne beaucoup de casseroles trop bruyantes pour qu’on puisse rapidement oublier son passé d’activiste islamiste radical et lui faire confiance.

Par Tarak Arfaoui *

Il est certainement superflu de présenter notre cheikh national, Rached Ghannouchi, porte-drapeau de l’islamisme tunisien et détenteur du chéquier du parti Ennahdha.

Vieux briscard de la scène politique tunisienne, grand manoeuvrier, on ne voit pas sur le plan national d’autre hommes politiques, en dehors peut-être du président de la république Béji Caid Essebsi, qui peuvent lui tenir la dragée haute.

Un pied dans la religion, un autre en politique

Ghannouchi a réussi l’exploit d’être à la fois une icone religieuse, le leader d’un grand parti, un véritable chef de secte, un gourou adulé. L’homme est omnipotent et dirige de main de maître ses ouailles, sans aucune contradiction, au moins apparente. Passant maître dans le machiavélisme politique, n’hésitant pas, circonstance oblige, à virer soudainement de bord à 180 degrés tout en préservant son fond de commerce islamiste, il est capable, dans ses discours, d’amadouer son auditoire par son ton apparemment sincère, tant il sait manipuler le verbe doux, utiliser les arguments convaincants, et paraître comme le plus parfait des démocrates progressistes.

Mais la vraie nature du personnage est tout autre. Ces qualités perçues sont malheureusement l’arbre qui cache la forêt. L’arbre, dans la théorie islamiste radicale, est un végétal médiéval qui jette une ombre sur tous les travers de l’action islamiste les siècles précédents, afin d’accaparer le pouvoir à tout prix. Il est communément appelé par les initiés «taqiya» (déguisement, dissimulation, leurre, subterfuge…). Employée au début par les chiites puis généralisée à tous les courants islamistes, la «taqiya» est l’art de laisser passer l’orage en attendant une embellie, l’art de faire momentanément semblant en attendant des jours meilleurs pour obtenir gain de cause. C’est l’art de l’hypocrisie pieuse qui, selon les circonstances, vous fait paraître sous un visage radieux en camouflant un visage hideux.

Faisant fi de la morale civique et des règles de bienséance universelle, dans un contexte de conquête de pouvoir, la dissimulation stratégique des convictions politico-religieuses est tout à fait licite voire recommandée par les ésotériques. Cette technique de camouflage est, bien sûr, parfaitement maitrisée par les activistes de l’islam politique et particulièrement par notre vénéré cheikh dont la morale et le civisme sont à géométrie politique variable.

Ghannouchi traîne beaucoup de casseroles trop bruyantes pour qu’on puisse rapidement oublier son passé d’activiste islamiste radical très bien documenté et prouvé. Les attentats terroristes de Sousse et Monastir en 1987 puis celui de Bab Souika en 1991, dont il a reconnu implicitement la paternité, n’étaient rien devant ce qui allait suivre.

Un pied dans l’islam modéré, un autre dans l’extrémisme religieux

Peut-on oublier ses nombreuses interviews d’avant la révolution où il fait l’éloge de Ben Laden le qualifiant de héros, magnifiant sa mémoire et celles des terroristes apparentés? Les deux hommes s’étaient au moins croisés, au début des années 1990, à Kharthoum, où ils étaient tous les deux réfugiés, hôtes de leur «frère» Hassen Tourabi, le leader islamiste soudanais?

Peut-on oublier sa haine pour la Tunisie progressiste mainte fois affirmée dans différentes vidéos, sa haine pour les institutions créées par Bourguiba, son armée qualifiée de scélérate et sa police qualifiée de «taghout» (ce terme, très utilisé aujourd’hui par les jihadistes, était fréquent dans la bouche de Ghannouchi)?

Peut-on oublier ses prises de position ouvertement misogynes et rétrogrades faites en privé 48 heures après avoir fait en public l’éloge de la femme?

Comment oublier ses déclarations irresponsables mettant en jeu la sécurité de la Tunisie en défendant les extrémistes libyens (et à leur tête l’ancien dirigeant d’Al-Qaïda, Abdelhakim Belhaj), qui sèment le chaos dans leur pays, en les qualifiant de combattant de la liberté et de rempart protecteur de la Tunisie (sic !)

Comment oublier les réceptions grandioses qu’il a organisées après la révolution où il recevait à tour de bras toute la racaille islamiteuse faite d’extrémistes de tous poils, de terroristes pas même encore repentis et de rétrogrades moyenâgeux prônant l’excision des femmes et l’instauration de la charia médiévale?

Comment oublier son soutien politique et son encouragement aux candidats jihadistes tunisiens qui allaient se faire exploser en Syrie?

Comment facilement oublier sa très scandaleuse prestation, il y a 3 ans, après la révolution, ou filmé à son insu en camera cachée, il est apparu sous son vrai visage prônant la confrontation violente, demandant à ses militants de s’organiser, de s’entraîner et d’être surtout patients en s’aidant de la «taqiya», en attendant des jours meilleurs où on pourra cueillir facilement le fruit des sacrifices consentis? En d’autres lieux, tous ces méfaits et ces déclarations inacceptables auraient immédiatement conduit leur auteur devant la justice.

Un pied dans le gouvernement, un autre dans l’opposition

Ce passé sulfureux ne semble pas jeter de l’ombre sur l’action politique de Ghannouchi. Ses partenaires politiques sont frappés d’amnésie totale ou feignent d’ignorer son lourd passif. La «taqiya» politique, tel un mal pernicieux, a aussi atteint toute la classe politique tunisienne qui compose avec lui jusqu’au sommet de l’Etat.

Le président Caid Essebsi s’est bien accommodé des travers de Ghannouchi sous prétexte de la sacro-sainte unité nationale et du désastreux «tawafeq» (consensus) au détriment de toute morale politique.

Ennahdha, le mouvement de Ghannouchi, a fait partie des cinq gouvernements qui se sont succédé après les élections d’octobre 2011 avec notamment deux premiers ministres et il est totalement ou partiellement responsable des échecs de ces gouvernements successifs. Cela n’empêche pas le cheikh, en toute immoralité et insolence, de faire la pluie et le beau temps et d’avoir le culot d’occuper la place médiatique en critiquant tout azimut l’action du gouvernement.

Récemment, et comme à son habitude, sitôt le gouvernement Chahed installé, et dont il ne semble pas tout à fait satisfait, il s’est empressé d’allumer la mèche de la contestation lors de ses derniers meetings dans certaines régions sensibles en soudoyant l’assistance par du verbiage plein d’insinuations contre le gouvernement, de discours populistes et indignes d’un personnage de son rang

L’avenir du pays est incertain et semé d’embûches. Mais le plus grand écueil est indiscutablement cette race d’hommes politiques opportunistes, hypocrites, peu crédibles, sans moralité, avides de pouvoir et qui, tant qu’ils occupent impunément le devant de la scène et ne rendent pas compte de leurs méfaits devant la justice, la Tunisie ira de Charybde en Scylla.

* Médecin de libre pratique.

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