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Bloc-notes : Quelle solution non platonique pour la Libye?

Trouver une issue à la crise en Libye, où s’agitent des ombres qu’on croit agir, suppose d’impliquer ces acteurs occultes.

Par Farhat Othman *

L’initiative du président de la république Béji Caïd Essebsi, mise en oeuvre avec talent par son seul représentant, le ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, est à saluer. Réussira-t-elle, toutefois, à constituer une issue au drame libyen? Rien n’est moins sûr.

Un pas dans le bon sens

Assurément, c’est un pas dans le bon sens que d’agir dans le cadre de l’Onu en veillant à impliquer toutes les parties libyennes sans exclusive, tout en assurant que la solution ne saurait venir que de l’intérieur.

C’est censé et nécessaire à dire; mais cela reste insuffisant au vu de l’état actuel du monde, de la situation géostratégique du pays et surtout des causes du drame.

Or, il est un principe cardinal à ne jamais négliger en science politique, qui consiste à ne pas négliger la cause pour agir efficacement sur l’effet. Surtout que l’on sait, pertinemment, que l’effet ne peut qu’être à la mesure de la cause. Aussi est-il dramatique dans ses retombées néfastes ou fabuleuses dans ses bienfaits selon la petitesse ou la grandeur de la cause, aussi bien morale que matérielle.

Agir sur la cause

Pourtant, on ne parle pas, ou si peu, de la cause du drame libyen. Quelle est-elle? Pour résumer, disons que ce sont les appétits de l’Occident attirés par les richesses de ce pays subitement déclaré en état de catastrophe. On sait que le chaos est une opportunité pour faire les affaires les plus juteuses. Or, jamais les néocolonialistes n’ont été nombreux autour de l’aubaine libyenne. Outre les richesses du pays, ils ont eu et ont pour but d’empêcher le moindre changement dans l’ordre injuste mondial, bien que devenu obsolète.

Qui ignore aujourd’hui que, parmi les motivations de la cabale orchestrée contre le dictateur que fut Kadhafi, étaient de contrer ses initiatives, certes écervelées pour l’essentiel, mais qui n’étaient pas moins de nature à perturber le désordre mondial dominé par de supposés seigneurs devenus, pour sauvegarder leurs intérêts menacés, des «saigneurs»? Que cela fût réalisé au nom des droits de l’Homme et des libertés des peuples ne change rien à la vérité.

Bien plus qu’ailleurs, on sait, en Tunisie, qu’on instrumentalise le vrai — et aussi le sacré — pour le faux et l’abject.

Une stratégie machiavélique

Ne l’oublions pas ! Tout a commencé en Tunisie qui est, au demeurant, la première victime de la tragédie libyenne. On y a initié, comme dans un jeu de quilles politiques, la chute d’une dictature jugée guère plus coopérante ou pas assez avec les visées du néocolonialisme. On agissait à la mise en place d’une stratégie subtile et de longue haleine, devant forcer le changement de la face d’une partie du monde, sans toucher nullement à son désordre devenu flagrant. Cela devait contribuer à en occulter quelques aspects.

L’argument fallacieux, bien que judicieux – répondant aux attentes de peuples asservis –, était bien évidemment la démocratie. Or, on sait pertinemment que même dans l’Occident démocratique, ce supposé pouvoir du peuple n’existe pas ou plus; on n’y a qu’une «daimoncratie», ce pouvoir des démons (daimons) de la politique. Bien évidemment, ces démons sont, aujourd’hui, les gourous de la finance mondiale et les politiques au service du capitalisme mondial, allié pour la circonstance au courant le plus vénal en islam, le salafisme, dans ce «capitalislamisme sauvage». C’est ce qui a donné l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech).

Éventé en Syrie, ce machiavélique complot est désormais dénoncé même chez ses premiers initiateurs en Amérique où l’arrivée du trublion Trump a démontré qu’une telle stratégie du chaos n’était pas la meilleure.

L’impératif de la solidarité

On ne peut donc plus continuer de faire comme si de rien n’était. Le responsable du drame libyen est l’Occident qui doit assumer entières ses responsabilités dans la ruine du pays et de ses voisins proches et lointains.

En cet Occident, ce n’est pas seulement les États-Unis qui doivent être impliqués, mais aussi et surtout l’Union européenne (UE) d’où sont partis les premiers traits meurtriers visant Kadhafi et son peuple.

L’UE ne peut et ne doit plus se limiter à sa pratique actuelle d’une politique de gribouille développant une stratégie inepte visant à verrouiller les frontières de la Libye, jusqu’à y envisager, et en Tunisie aussi, des campements de rétention pour les flux des réfugiés, ces camps de concentration postmodernes. Elle a l’impératif catégorique, aussi bien juridique que moral, d’agir sur les causes en reconnaissant enfin et de manière sérieuse la nécessaire et incontournable solidarité entre les deux rives de la Méditerranée. C’est bien une fatalité qu’impose la sortie inéluctable du paradigme du monde ancien déjà mort e des rapports mondiaux archaïques d’après la seconde Guerre mondiale.

Un tel sursaut salutaire commencera par l’acte spectaculaire en termes symboliques que sera la répudiation de la politique européenne actuelle en matière migratoire. Qu’on ose donc, au préalable, ériger en nouveau dogme la liberté des mouvements humains en usant de l’outil désormais incontournable du visa biométrique de circulation?

Et qu’on répare le mal fait en proposant l’adhésion à l’Union du Maghreb, Libye y compris. N’est-ce pas ainsi agir sur les causes du drame libyen et chercher utilement à en sortir dans le cadre de la devise européenne de l’unité dans la diversité : In varietate concordia?

* Ancien diplomate et écrivain, auteur de ‘‘L’exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis, 2017).

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