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Bloc-notes : Jérusalem entre le déni et l’abus du droit

La décision américaine violant le statut de Jérusalem rappelle que le droit se perd si l’on n’agit pas à le faire valoir. Cela impose à l’ayant droit son respect pour ne pas s’offrir en victime consentante.

Par Farhat Othman *

Pour Jérusalem (Al-Qods), le droit prévoit un statut international supposant, au pire, la ville divisée en deux parties, l’Est et l’Ouest, chacune attribuée à un État également souverain. Cette légalité est à la base de la création d’Israël, mais aussi de son État jumeau, la Palestine; et elle doit s’imposer à tous.

Le péché originel arabe

Or, si cette légalité est violée par Israël et son principal soutien américain, ignorée par le concert des nations, cela ne l’est qu’au prétexte que les Arabes l’ont méconnue et continuent à la méconnaître, refusant la réalité d’Israël qualifié d’«entité». Voilà le péché originel arabe, cœur du drame de Palestine, que toutes les parties entretiennent.

Érigé en péché d’illégalité, le prétexte du refus de normalisation est l’arme fatale de l’État hébreu pour rejeter la légalité qui est la garante même de son existence. Aussi a-t-il loisir de tout se permettre au vu de l’attitude irréaliste et illogique des Arabes, leur faisant perdre leur droit — pourtant évident — en se refusant de s’y conformer. Ce qui suppose de leur part la reconnaissance de l’obligation imposée par l’acte de naissance d’Israël, condition sine qua non de celle de leur propre État et de sa pleine souveraineté.

Certes, il est difficile aux Arabes d’accepter aujourd’hui de se plier à un acte juridique qu’Israël viole sans vergogne, non seulement en ne reconnaissant pas l’État de Palestine, mais en l’occupant. Or, il le fait en se basant sur la turpitude initiale arabe, ne pas reconnaître l’État israélien revenant à méconnaître ipso facto son frère siamois palestinien.

Une telle reconnaissance mutuelle s’impose aux deux parties, sans conteste; mais c’est surtout à la charge de la plus faible n’ayant pas la possibilité de faire droit de sa force, s’arrogeant cet abus du droit du plus fou que se permet Israël encouragé par l’attitude nihiliste arabe.

La clé de voûte de la stratégie d’Israël

Voilà la stratégie israélienne que servent des Arabes agissant moins pour la résolution du drame palestinien dans le cadre d’une paix des braves qu’à son pourrissement, une instrumentalisation au vu de calculs politiciens propres à leurs réalités internes.

Le refus de normalisation des relations avec Israël sur la base du partage de 1947 est une majeure et cruelle erreur d’une diplomatie arabe inepte, alimentant même le coeur de cible de la stratégie d’Israël. En effet, c’est servir ses intérêts que refuser de reconnaître la réalité avérée de son État. Ne pas normaliser les relations avec lui, c’est refuser de lier son existence à celle de l’État auquel son sort est lié du fait même de son acte de naissance.

Quel intérêt ont donc les Arabes de veiller scrupuleusement à nier l’existence d’Israël et sa réalité, ce qui revient à servir royalement sa politique du refus de celle d’un État palestinien souverain? Veulent-ils vraiment de cet État? N’usent-ils pas du boycott d’Israël comme d’une carte de poker politique et idéologique à stricte visée de politicaillerie interne? En effet, il n’est plus secret que la plupart des régimes arabes entretiennent des rapports informels soutenus avec Israël, allant même grandissant.

Aujourd’hui, la malheureuse et provocante initiative américaine n’a pour but que de faire de la surenchère dans la démagogie en vue de ferrer encore plus les Arabes dans leur diplomatie de gribouille, au moment même où des appels à la raison se multiplient de part et d’autre. Aussi, est-il utile de se limiter à la contester sans rien faire au niveau du cœur du problème, se limitant à ressasser des slogans creux sans agir utilement? Aller à tous les excès démagogiques habituels n’a rien de stratégiquement profitable; c’est aussi tomber dans le piège tendu par la provocation visant à mieux faire se détourner l’attention de la légalité bafouée par toutes les parties, au service royal de l’une d’elles, la plus forte qui plus est.

Trump au Mur des Lamentations, à Jérusalem, pendant sa campagne électorale. 

Réactiver le droit international

Par ailleurs, qu’a fait Trump sinon respecter une promesse électorale? On ne pourra pas dire qu’il a surpris son monde, sauf les inconscients; et ils le sont bien ceux qui attendent des cadeaux dans une négociation diplomatique; surtout quand on persiste à définir la partie adverse en ennemi. Le président américain n’a fait que tenir une promesse électorale; au-delà de sa nature contestable, c’est plutôt à saluer en un temps où la politique est sans honneur, méconnaissant allègrement l’engagement de la parole donnée.

De plus, Trump n’a fait qu’exécuter une vieille décision des autorités américaines ignorées par ses prédécesseurs; il l’a fait, ainsi qu’il l’a dit, car ils n’avaient pas réussi à faire évoluer le conflit palestinien. Qu’a-t-on fait et que fait-on donc pour réactiver ce doit international dont on se réclame?

Au vrai, l’ultime initiative américaine ne cherche qu’à mieux faire ignorer la seule légalité internationale valide en contrariant les timides initiatives tendant à la normalisation des relations avec l’État hébreu. On le sait bien, c’est la seule voie passante pour revenir au droit international et s’en tenir au partage de 1947 prévoyant l’érection de deux États égaux en souveraineté et un statut international pour Jérusalem.

C’est ce dont ne veut pas Israël qui, étant le plus fort, arrive à imposer le fait accompli de la violation continue du droit. Ce qu’il pourra faire à loisir tant que les Arabes le boycottent, servant ainsi sa stratégie de se présenter en victime. C’est avec cette ineptie de la victimisation entretenue par Israël, avec la complicité objective et subjective des Arabes, qu’il importe d’en finir au plus vite. Il faut surtout arrêter de tromper les masses et de se servir sans honte du drame des innocentes victimes de la cause palestinienne.

Contrer utilement la décision américaine

Sans avoir à rappeler à ce que préconisait depuis si longtemps le visionnaire Bourguiba, il est temps d’en finir avec notre tropisme sur le conflit palestinien. Que veut-on donc en Palestine? La paix? Elle a été déjà entrevue par le droit international qu’on bafoue tous sans exception. Aussi faut-il non seulement y appeler, mais donner l’exemple en le respectant. Ce droit supposant une reconnaissance mutuelle de deux États pareillement souverains, les Arabes doivent de s’y conformer en premier étant les plus faibles.

On ne le sait que trop : Israël ne veut pas ou plus de ce droit et sa situation actuelle lui fait croire à son droit du plus fort, sinon de plus fou. Or, il ne tire sa force que de la faiblesse des États arabes et des Palestiniens; surtout de leur refus de respecter ce droit international auquel ils appellent.

C’est la seule issue (ou l’une des deux, comme on le dira plus loin) de l’impasse actuelle pour une paix des braves. Que peut dire Israël si les Arabes, arrêtant d’avoir des relations informelles et honteusement cachées avec lui, se décident enfin d’avoir le courage de normaliser leurs relations et d’ouvrir des ambassades à Tel-Aviv, bien évidemment? Ne serait-ce pas le meilleur rappel au droit international et la façon la plus utile de contrer l’installation de nouvelles chancelleries à Jérusalem devant être, au pis, la capitale divisée de deux États coexistant pacifiquement en attendant, à terme, une éventuelle confédération, fédération ou même union, pourquoi pas?

Trump – Netanyahou: ferrer encore plus les Arabes dans leur diplomatie de gribouille.

Une paix des braves contre l’injustice

Le monde actuel n’est plus aux États confessionnels, il est à la démocratie. On ne dénonce déjà que trop, bien qu’à bon droit, les États musulmans pour avoir gardé la référence à l’islam dans leur constitution; que ne le fait-on donc également pour Israël qui se définit d’abord en État hébreu malgré sa prétention de vouloir être une démocratie? Pour être cette démocratie, la seule au Proche-Orient actuel, cela impose qu’elle ne soit plus basée, comme aujourd’hui, sur la distinction de ses citoyens selon leur confession.

Certes, on argumente que la population arabe est majoritaire et qu’Israël y disparaîtra en tant qu’État juif. Mais qu’est-ce qui est le plus important pour la démocratie d’Israël : être un État juif ou un État de droit, pluraliste et démocratique? Et puis, que signifie être musulman ou arabe pour un Israélien? N’avons-nous pas des Israéliens arabes et musulmans, outre des Arabes chrétiens et juifs? Pourquoi vouloir forcément diviser musulmans et juifs, Israéliens et Arabes? La foi n’est-elle pas affaire intime, strictement privative?

Et pourquoi Israël oublie-t-il de la sorte ce passé de connivence, et même d’amour, qui a lié le sort des juifs aux musulmans? Il a accompagné l’émergence de l’islam et a longtemps marqué la civilisation arabe musulmane, au point qu’on a parlé, à juste titre, de tradition judéo-musulmane.

Il est vrai, certains esprits machiavéliques veulent faire croire que le musulman est l’ennemi du juif alors qu’il a été son meilleur ami si longtemps; il l’a démontré amplement lors des horreurs de la Shoah qui n’a pas été le fait des musulmans, mais des actuels amis chrétiens des juifs. Et ce ne sont pas les musulmans qui reprochent encore aux juifs de croire Jésus adultérin ou de l’avoir tué, vouant une haine inavouée du juif, ayant déjà donné lieu au plus terrible holocauste des temps modernes outre à l’antisémitisme dont on veut faire porter le chapeau aux musulmans, des Sémites, pourtant !

Pour cela au moins, le temps doit venir où les vrais justes des deux côtés, Israélien et Palestinien, se décideront à opter, en solution à ce conflit de Palestine de toutes les turpitudes, pour l’issue logique et inévitable d’un seul et unique État démocratique. C’est encore une utopie, mais de celles dont sont gros les rêves des femmes et hommes de bonne volonté n’ayant pour souci que le sort de la paix dans le monde, un sort de solidarité en un monde d’humanité, une mondianité.

Que la décision si décriée de Trump serve donc à envisager le conflit palestinien sous cet angle! Elle aura paradoxalement aidé à le résoudre, agissant telles ces initiatives politiques paroxystiques qui s’imposent quand on a dépassé la mesure de l’absurde, faisant évoluer vers le salut d’un monde enfin solidaire.

* Ancien diplomate, écrivain.

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