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Il était une fois, des immigrés italiens en… Tunisie

Italiens de Tunis (Ph. éd. Ceres).

Réponse tardive à monsieur le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui veut mettre fin à l’immigration en provenance des côtes africaines, et notamment tunisiennes.

Par Farouk Ben Miled *

Ben Cinssou, de son vrai nom Vincenso ou quelque chose comme ça.

Son grand-père ou même peut-être son arrière grand père débarqua, avec Garibaldi avant sa montée sur Rome, quelque part sur les côtes tunisiennes en pleine gloire de Ahmed Bey 1er. C’était l’eldorado pour des milliers de Siciliens, Corses, Sardes, Maltais, et autres Grecs.

Cette terre bien que pauvre les a accueillis, nourris, donné le droit à des lieux de culte, et allant même jusqu’à en faire des ministres. Il est bien vrai aussi qu’ils lui ont bien rendu.
Mais revenons à Bin Cinssou.

Disons que par son labeur, il a acquis un bout de terre à la Magulouba actuellement Borj Touil, entre Géant et Raoued, ce qui n’a pas été le cas des deux autres colons Carrier et Duboucher.

Immigrés siciliens à Sfax en 1900.

Bin Cinssou était un bosseur comme d’ailleurs la majorité de ses compatriotes.

Avec sa femme et sa fille, il transforma un bout de jebel rocailleux en une vigne au vin médiocre. Mais il trimait à longueur de journée.

Avec sa fille et en pleine canicule, il venait avec sa charrette équipée d’un fût de 400 litres chercher l’eau à notre puits réputé inépuisable, gratuitement bien sûr, et repartait souvent tout naturellement avec quelques médicaments. Pratique courant de la maison.

Par retour du courrier, pendant les vendanges, il nous rapportait un cageot de raisin aigre, mais que Hatem et moi trouvions très bon. Pour tout vous dire, c’était pour draguer la fille à Bin Cinssou, dont les fragrances âcres de fille de ferme nous ont vite découragés.

Bin Cinssou parlait parfaitement le jargon du coin, il était aimé et bien intégré et finit par en être une notabilité.

Un jour, à la fin de la guerre, alors que les soldats américains pourchassaient les «Germans» de l’Africa Korps en fuite par Raoued vers la Sicile, il passa totalement inaperçu en ayant porté la chéchia crasseuse de son berger, lequel, tout musulman qu’il était, ne rechignait pas à prendre soin, entre autres, des cochons de la ferme.

En 1956, la communauté italienne de Tunisie comptait environ 150.000 âmes.

Je ne pense pas que la famille de Bin Cinssou soit allé à Tunis plus de 2 ou 3 fois, et c’était juste pour s’inscrire au consulat d’Italie géré à l’époque par le redoutable Bombieri qui se permettait de faire la loi hors de chez lui, faisant fi et du Bey de Tunis et du tout puissant résident général français.

Comment alors oublier Antoinette, la corsetière du Passage qui a fui Rome et ses «chemises noires», Maria la pinardière de la rue Salem dont les platées de spaghettis se terminaient toujours par une dispute à qui terminerait le fond de la marmite.

Il y a aussi Raphaël, l’ébéniste de la rue Torbet El Bey, mon grand-père ne jurait que par lui. Paulo toujours au Sers dont le père maçon s’y est installé en 1911. Finidori, un des fondateurs du syndicalisme ici. Antoine l’officier espagnol fuyant son pays ravagé par la guerre civile, que la «senia» (ferme) a accueilli pendant plusieurs mois avant de le voir repartir je ne sais où.

Dans mon quartier Halfaouine, la rue Souki Belkhir a hébergé pendant des décennies une famille entière de cochers maltais avec leurs fiacres et leurs chevaux qui, eux, étaient tunisiens.

Et la liste est encore longue. Dois-je continuer, monsieur le ministre, au risque de vous lasser?

Pour vous rafraîchir la mémoire, «notre famille italienne» comptait la veille de l’indépendance de la Tunisie, en 1956, environ 150.000 âmes, et si par la suite la majorité est repartie, cela a été de son propre gré, et cette parenthèse a duré un siècle.

La Tunisie n’a jamais expulsé personne, même si parmi ces Italiens des milliers de fascistes se sont glissés, ne se gênaient pas de violence allant jusqu’à épouser les thèses coloniales.

Leurs traces et leurs souvenirs sont encore présents; l’historienne B. Slama pourrait vous le rappeler.

D’ailleurs, monsieur le ministre, pourquoi ces gens là seraient-ils partis si ce n’est que vous n’avez pas su les garder et les nourrir, mais consolez-vous, vous n’êtes pas le seul dans ce rôle, vos voisins du nord s’y connaissent aussi.

Votre ignorance vous a trahi. Et si le mot TERRORISME vous interpelle, je vous invite à visiter votre histoire récente, vous ne serez pas déçu.

Le terrorisme ne nous ressemble pas et à certains égards nous vous aurons peut-être imités, et mal.

Pour l’anecdote, il y a quelques années, j’ai été refoulé à l’aéroport de Palerme parce que mon visa était périmé le jour même. Négligence de ma part, il est vrai. Ironie du système, la même semaine, je reçois un carton de l’ambassade d’Italie m’invitant à la fête nationale.

L’Italienne Claudia Cardinale, Miss de Tunis 1956.

Bien entendu, j’ai renvoyé ce carton avec ce que j’en pensais au verso et en m’y engageant de ne plus mettre les pieds dans ce pays.

Peu rancunier je n’ai pu résister quelques années plus tard de faire une escale à Venise pour revoir la Fenice sauvée du feu et apprécier encore une fois la terrasse du Florian.

Monsieur le ministre ce sont vos propos déplacés et franchement désobligeants ainsi que le souvenir d’une vieille carte postale d’émigrés italiens entassés comme du bétail sur les «Boat People» de l’époque qui m’ont poussé à vous répondre, et vous rappeler que la politique est une science qu’il vous reste à apprendre.

Ah ! Monsieur le ministre que l’ingratitude est mauvaise conseillère.

* Architecte, membre fondateur de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH).

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