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Italie : Un musée à Lampedusa pour rappeler le passé et le présent tragiques de la migration

Un musée sur l’île italienne de Lampedusa (Sicile) rend hommage à ces personnes qui risquent leur vie, à la recherche de la sécurité et de meilleures opportunités de vie.

Par Amina Mkada

Un article du site « InfoMigrants » du 14 août 2019 relate l’histoire de la migration sur cette île de Lampedusa qui est un point d’arrivée pour les migrants depuis des décennies, puisque plus proche de l’Afrique que de l’Europe.

Giacomo Sferlazzo.

Tout a commencé à la décharge de Lampedusa. C’est là que Giacomo Sferlazzo, artiste et militant local, a trouvé un grand sac de poubelle rempli d’objets, ayant appartenu à des migrants arrivés sur l’île: lettres, textes religieux, photographies, CD de musique, etc.

«C’était un tournant, c’était comme toucher l’histoire de nos propres mains», explique Sferlazzo, qui a fait sa découverte avec d’autres amis du collectif politique Askavusa: «Nous avons réalisé la valeur énorme de ces objets et avons commencé à aller presque tous les jours à la décharge, pour voir si nous en trouverions plus».

C’était le point de départ de ce qui allait devenir un musée, documentant le passage des migrants sur l’île italienne.

Les migrants atteignaient l’île par des bateaux surpeuplés, qui sont interceptés par les garde-côtes italiens ou d’autres navires militaires, puis remorqués jusqu’à la côte.

Une fois à terre, tous les effets personnels sont confisqués par les militaires.

Les bateaux (par centaines) attendront d’être éliminés. Il y a actuellement sur l’île 2 dépôts informels de bateaux entre un radar et une zone militaire abandonnée. Ils portent toujours le poids des voyages, dans certains cas avec des peluches, des chaussures abandonnées et des couvertures.

Récupérer les objets perdus

Dans ce scénario, Askavusa a décidé de rendre hommage à ceux qui risquent leur vie à la recherche de meilleures opportunités. «Beaucoup a été détruit. Nous avons commencé à récupérer ces objets. La mémoire n’est pas neutre. C’est un acte politique: vous décidez ce qu’il faut retenir et ce qu’il faut oublier», explique Sferlazzo.

Askavusa a mis en place un centre culturel appelé «Porto M.» (M. représente la mémoire, la migration, la Méditerranée, entre autres). «Pour nous, il est fondamental de garder en mémoire le souvenir de quelque chose qui se passe encore, avec une perspective critique», déclare Sferlazzo.

L’exposition permanente est située à PortoM. Il y a d’étranges chaussures accrochées au plafond et des gilets de sauvetage sur les murs, tandis que la plupart des autres objets sont placés sur des étagères, sur fond de couvertures thermiques en aluminium – celles que les migrants reçoivent quand ils arrivent au port après le voyage. Il y a un paquet de couscous et une boîte de lait maternisé, ainsi que des pots, des médicaments et des boîtes de sardines.

Tous les objets n’ont pas été récupérés à Lampedusa. Certains proviennent également de la région frontalière des États-Unis et du Mexique. Comme un pot à eau noir et une tortilla brodée, récupérée dans le désert de Sonora, en Arizona. C’est Abby C. Wheatley, une anthropologue culturelle à la recherche sur les migrations internationales, qui a ajouté ces éléments à la collection, pour établir un lien entre les frontières américano-mexicaine et celles entre l’Europe et l’Afrique.

Mais les objets les plus importants ne sont pas exposés, explique Sferlazzo: des lettres en français, anglais, tigrinya, bengali, arabe, abandonnées dans un sac en plastique, avec des photographies et des écrits religieux. Grâce à l’aide de traducteurs, ils ont réussi à lire certains de ces textes, dont ceux écrits par des êtres chers avant l’adieu, des lettres écrites aussi par des migrants sur la route.

«Pour le moment, il vaut mieux ne pas montrer les lettres. Il est préférable de les garder, d’attendre qu’elles mûrissent, que le temps passe. En espérant qu’un jour, nous pourrons vraiment élaborer de tels témoignages», déclare Sferlazzo. Les afficher maintenant, dit-il, serait «une pornographie de la douleur».

Rappeler aux visiteurs le contexte politique

Askavusa, qui signifie pieds nus en sicilien, est née en 2009 en tant qu’association de base et a acquis un impact significatif au sein de certaines dynamiques politiques de l’île. Au fil des ans, elle a reçu plusieurs offres émanant d’autorités et de fondations privées, pour agrandir le musée et le rendre officiel. Mais ils ont décidé de rester indépendants, dit Sferlazzo.

«Pour nous, la mémoire ne consiste pas seulement à garder en vie ce qui s’est passé, mais à en comprendre aussi les raisons, quels en ont été les gagnants, qui a été tué, qui a été exploité», a-t-il déclaré, expliquant qu’ils voulaient être libres de souligner la composante politique de la migration, sans aucune condition.

L’exposition sur la migration met en lumière les raisons politiques qui poussent les gens à emprunter la route illégale pour rejoindre l’Italie.

«Les gens devraient pouvoir payer un billet d’avion et aller où bon leur semble, ou rester chez eux s’ils le souhaitent», déclare Sferlazzo. «Mais nous avons une frontière militarisée. Les personnes qui arrivent sont enfermées dans des centres de migration, renvoyées chez elles, ou finissent par travailler comme des esclaves».

En rappelant aux visiteurs ce contexte politique, Sferlazzo pense pouvoir combattre le sentimentalisme facile, et transformer l’art en quelque chose de plus utile.

 (Avec InfoMigrants).

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