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Choix du prochain chef du gouvernement : Lotfi Zitoun dit-t-il tout haut ce que les dirigeants d’Ennahdha pensent tout bas ?

Alors que le Conseil de la choura d’Ennahdha, a proposé le président du parti, Rached Ghannouchi, comme prochain chef du gouvernement, le dirigeant au sein du même parti, Lotfi Zitoun, ne semble être pas de cet avis. Toutefois, son opinion représente probablement la vraie position d’Ennahdha…

Par Cherif Ben Younès

C’est ce que laisse croire un statut qu’il a publié hier, 20 octobre 2019, sur Facebook, dans lequel il relate, dans une initiative inédite, l’intégralité de son intervention lors des travaux du Conseil de la choura, tenus la veille.

Le chef du gouvernement doit être accepté à l’intérieur et à l’extérieur

Pour M. Zitoun, «le chef du gouvernement doit être une grande personnalité politique, acceptée à l’intérieur et à l’extérieur, et doit s’impliquer à rassembler de nouveau les Tunisiens autour d’un projet national et pour la moralisation de la vie politique».

Il va sans dire que Rached Ghannouchi est loin de satisfaire les critères énoncés par Lotfi Zitoun pour le choix du nouveau chef du gouvernement… Et ça, tout le monde le sait, y compris les dirigeants d’Ennahdha, comme en témoigne leur décision, il y a quelques semaines, de tenir leur président à l’écart de l’élection présidentielle, étant conscients de la faiblesse de ses chances de gagner, notamment du fait qu’il n’est pas «accepté à l’intérieur».

Et ce ne sont pas les motifs, expliquant ce rejet sur le plan interne, qui manquent…

Avant la révolution de 2011, le monsieur a longtemps tenu un discours religieux extrémiste, et après celle-ci, il a été probablement l’homme le plus influent en Tunisie – et par conséquent l’un des premiers responsables de la détérioration de la situation économique et politique du pays – étant le président du parti qui a été constamment au pouvoir depuis janvier 2012 et qui a longtemps bloqué les lois parvenues à l’Assemblée, où il dispose du plus important bloc parlementaire.

Sans oublier les soupçons auxquels il fait face quant à la responsabilité de son mouvement dans des affaires aussi dangereuses que les assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ainsi que sa contribution à l’envoi de nombreux Tunisiens au jihad, en Libye, en Syrie et ailleurs, au cours des dernières années.

La proximité historique de Rached Ghannouchi des Frères musulmans, entre autres, ne fait pas de lui, non plus, une personnalité qui fait l’unanimité sur le plan externe, notamment en Russie et dans certains pays arabes, à l’instar de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite ou des Emirats arabes unis. Mais il n’y a pas que ces pays où l’homme fort de Monplaisir est persona non grata.

Or, on le sait, un chef de gouvernement est également responsable de la diplomatie du pays et il est difficile de l’imaginer confiné au Palais de la Kasbah : il doit beaucoup voyager pour tenter de nouer des relations utiles avec les chefs d’Etat d’autres pays.

Lotfi Zitoun exprime-t-il la vraie position d’Ennahdha ?

Ce qu’on devrait donc comprendre des propos de Lotfi Zitoun, est qu’il ne voit pas en Rached Ghannouchi la personne idéale pour être à la Kasbah. Mais il reste à savoir maintenant, si cet avis ne représente pas, contrairement à ce qui a été annoncé, la vraie position de son parti…

En effet, la proposition de M. Ghannouchi à la tête du gouvernement pourrait être une sorte de manœuvre politique qui vise à mettre la pression sur les autres partis pour qu’ils acceptent de faire partie d’une alliance gouvernementale avec Ennahdha.

Car en plus des raisons évoquées implicitement par M. Zitoun et explicitement dans cet article, il ne faut pas oublier à quel point le rôle de chef du gouvernement est exigeant et éprouvant sur les plans physique et mental. Une contrainte clairement pas adaptée à l’état de santé du cofondateur du parti islamiste, qui a, aujourd’hui, 78 ans ! Et qui, en plus, n’a aucune expérience de la gestion des affaires publiques et du mode de fonctionnement des institutions de l’Etat et de l’administration.

Autant dire que Ghannouchi à la Kasbah, c’est la paralysie de tout l’appareil de l’Etat, au moins pour plusieurs mois, le temps de l’apprentissage. Ce que la Tunisie, un pays qui s’enfonce dans la crise un peu plus chaque jour, ne saurait supporter. Ce serait donc une très mauvaise perspective pour la Tunisie, comme, bien sûr, pour Ennahdha, qui ne tarderait pas à payer lourdement le prix d’un tel choix… stupide.

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