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L’humanité avant et après le coronavirus

L’humanité a connu dans son histoire plusieurs épidémies et pandémies plus dures, plus ravageuses et plus destructrices que celle du coronavirus (Covid-19). Cela ne l’a pas rendue plus juste, plus équitable, plus égalitaire, ou plus humaine. L’après sera-t-il, cette fois, comme l’avant ?

Par Adel Zouaoui *

Depuis quelque temps, le monde entier ne parle qu’un seul langage, celui du coronavirus. Lequel fait la Une de toute l’actualité à travers la planète. Une pandémie devenue obsession. Du coup, rien n’a plus d’intérêt pour l’humanité. La frayeur de ce Léviathan invisible balaie tout sur son chemin. Ni la croissance économique, ni le cours du prix de pétrole, ni les relations diplomatiques, ni les conflits, ni les guerres fratricides, ni les vagues d’immigration illégales vers l’Europe n’ont d’importance aux yeux de la communauté internationale.

Tout devient, comme par enchantement, futile, superflu et illusoire. Rien ne vaut nos vies. On se replie, on se claquemure chez soi, on prend des distances calculées les uns vis à vis des autres. On se méfie de tous. On devient, à la fois, suspect, victime, coupable, ou criminel. La confusion règne partout, du dedans comme du dehors. Et pour cause, des chiffres qui donnent froid au dos et qui nous catapultent dans le tourbillon de la peur : 10.000 morts en Italie, plus de 7.000 en Espagne, plus de 1.400 au Royaume-Uni, etc.

Le Titanic est en train de couler dans les abysses de l’inconnu. Ce fâcheux impondérable assombrit nos horizons, compromet nos projets et hypothèque notre avenir. Le corona virus est à l’affût de nous tous, sans distinction aucune. Il nous guette au tournant de chaque rue. C’est comme si la grande faucheuse n’a jamais plané aussi proche au-dessus de nos têtes.

La tergiversation des scientifiques ajoute à la confusion

La tergiversation de la communauté scientifique sur l’antidote à ce mal ravageur ajoute de la confusion au désordre ambiant. Pris de court, les scientifiques se divisent, se chamaillent, s’écharpent à propos d’une improbable thérapie, celle liée à l’administration de la chloroquine (médicament antipaludéen qui existe depuis les années soixante). Si d’aucuns dénoncent ses effets toxiques cardiaques, d’autres pontifient sur son efficacité. À leur tête, un certain Pr. Didier Raoult, célèbre virologue marseillais aux allures d’un Raspoutine, le premier à avoir administré ce médicament à des centaines de contaminés et à vanter ses mérites, comme s’il s’agissait d’une pierre philosophale. Vent debout, il le défend mordicus, et ce, contre l’avis de ses pairs et contre les standards médicaux internationaux. Alors la chloroquine, est-ce un miracle ou un mirage?

Entre-temps et à défaut d’un consensus scientifique clair et précis, on nous enjoint de changer nos habitudes, nos manières, nos façons d’être et à opter pour des gestes qu’on qualifie de barrières tels que tousser ou éternuer dans son coude, ne pas faire la bise, ne pas donner de poignées de mains, ne pas rendre visite à ses proches, etc.

Face aux images d’hécatombe provenant d’Italie et d’Espagne, celles de ces longues enfilades de cercueils, nous sommes nombreux à céder aux sirènes de la peur, de la phobie et de l’hystérie.

Le sauve qui peut, mu par l’instinct de survie

Et malgré les appels incessants à la solidarité qui fusent de tous bords comme seul rempart à ce mal inconnu et invisible, c’est le sauve qui peut, mu par l’instinct de survie, qui l’emporte. Près de 650.000 masques envoyés à l’Italie par la Chine ont été dérobés par la République Tchèque, de surcroît avec l’accord des autorités. Un navire chargé d’alcool médical, à destination de la Tunisie, a été détourné vers l’Italie. Ces histoires sont à peine pensables. On se croirait parfois à des époques lointaines et révolues où la pratique du piratage régnait en maître absolu.

La désolidarisation règne désormais à travers le monde, et même au sein de la communauté européenne. Ce qui augurera d’un mauvais présage. Pour preuve, le refus de l’Allemagne et des pays de la ligue hanséatique (Pays-Bas, Finlande, Irlande et Pays Baltes) de franchir un pas vers plus de solidarité budgétaire envers leurs voisins sinistrés.

Qu’adviendra-t-il de cette communauté européenne face à ce manque de solidarité, qualifié par Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, de danger mortel pour l’union. Cet édifice sera-t-il encore plus fissuré qu’il est à présent. Le repli occasionné par le confinement sera-t-il aussi celui des identités une fois que le corona se serait évanoui

L’Amérique, quant à elle, sera-t-elle ce qu’elle a toujours été après cette pandémie. Donald Trump, plus préoccupé par la croissance économie que par les vies humaines, subira-t-il un retour de manivelle ? Après avoir refusé le confinement pour son pays, préservera-t-il la même côte de popularité. Pas si sûr. Idem pour Jair Bolsonaro, président du Brésil, qui a emprunté la même voie.

La force de résilience de l’empire du milieu

Pour ce qui est de la Chine, elle semble avoir inversé la vapeur. Après avoir été injustement incriminée pour avoir abrité, à Wuhan, le premier foyer du coronavirus, elle devient aujourd’hui le premier fournisseur mondial de masques à protection et d’autres ustensiles de lutte contre le virus. La mauvaise joie de ses concurrents économiques, en l’occurrence les Etats-Unis et l’Union européenne, ayant espéré sa dégringolade économique, a fait long fait. La force de résilience de l’empire du milieu provient de sa culture ancestrale qui consiste à transformer les défaites en victoires et à retourner la force de l’ennemi contre lui-même.

Pour la Tunisie, déjà en détresse économique depuis le déclenchement de la Révolution du 14-Janvier 2011 et hyper endettée auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, elle continuera à naviguer à vue. Cette crise sanitaire obérera encore plus son développement économique et social. Par ailleurs, le coronavirus sera du pain bénit pour sa classe politique en pleine déliquescence, lui permettant de justifier ses échecs précédents et à venir, de cacher son impéritie, et surtout de continuer à fuir de l’avant.

Finalement, cette crise ne sera pas sans conséquence. Le monde ne sera pas ce qu’il est aujourd’hui. Fort probablement, l’Europe sortira affaiblie, de même pour les Etats Unis. Ils perdront de leur superbe et de leur influence. Contrairement, la Chine pourrait se hisser au premier rang mondial. D’autres puissances se verront propulsées au-devant de la scène internationale, en l’occurrence la Corée du Sud, la Russie, la Turquie et peut-être l’Iran. Ce qui est aussi certain c’est que l’empire du milieu constituera l’épicentre du pouvoir dans un nouveau monde. Rien ne sera fait désormais sans la Chine. Un véritable empire économique sans passé colonial, qui progressivement conquerra les marchés des pays du sud et changera la donne internationale.

Quant au monde arabe, il s’éparpillera encore plus dans les méandres de ses alliances et contre-alliances avec les anciennes puissances et celles émergentes. Il s’enlisera fort probablement encore plus dans une crise au pluriel : politique, économique, sociale et culturelle.

La solidarité universelle, une simple illusion

Quand à la solidarité universelle, serinée et ressassée à tout bout de champs, elle ne sera qu’une simple illusion. Une fois remis de cette crise, les peuples et les nations renoueront avec leur égoïsme le plus sauvage et le plus excessif. Les riches continueront à s’enrichir et les pauvres, eux, à s’appauvrir encore plus. Force et de souligner que l’humanité a connu de par son histoire plusieurs épidémies et pandémies plus dures, plus ravageuses et plus destructrices que celle du corona, ce qui ne l’a pas rendu plus juste, plus équitable, plus égalitaire, ou plus humaine.

Tous ces scénarii ne sont en fait que des supputations élaborées au vu de ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui. Mais, par ailleurs ce qui est sûr et certain c’est l’enseignement qu’on pourra tous tirer de ce pandémonium aux allures apocalyptiques, celui de ce énième rappel à propos de l’insoutenable légèreté de nos êtres, de nos existences et de nos vies. Mais au fait qui s’en souciera.

* Sous-directeur chargé de l’organisation de manifestations scientifiques à la Cité des sciences de Tunis.

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