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Selon Radwan Masmoudi, les salafistes sont indispensables partenaires de la lutte contre l’extrémisme

Saifallah Ben Hassine, chef du groupe salafiste Ansar Al Charia, a un avocat aux Etats-Unis : le lobbyiste nahdhaoui Radwan Masmoudi.

C’est le propre des islamistes d’avancer cachés, dissimulant leur intolérance et leurs objectifs théocratiques sous l’étendard de la démocratie. Radwan Masmoudi ne déroge pas à cette règle. Aussi est-il essentiel de leur enlever ce masque de façon à exposer leurs véritables desseins au grand jour, comme ce projet visant à faciliter la propagation de l’idéologie islamiste à travers la Tunisie.

Par Martha Lee *

On critique souvent, et à raison, les partis islamistes pour leur double langage: en public, ils proclament leur soutien inébranlable pour la démocratie, tandis qu’en privé, ils préfèrent vilipender tout ce qui offense leur sensibilité et qui, pour eux, revient à insulter l’islam tout court, foulant aux pieds les principes démocratique qu’ils disent pourtant respecter de bon cœur. Il faut bien leur reconnaître une maîtrise sans failles de l’hypocrisie. Un des lauréats de cet art fort douteux n’est autre que Radwan Masmoudi. Ce membre de longue date du parti islamiste tunisien Ennahdha, établi aux Etats Unis, a planché avec une association américaine sur un projet aberrant: il s’agit de proposer aux salafistes tunisiens une place d’honneur dans la lutte contre l’extrémisme.

Les liens douteux d’Ennahdha avec les groupes salafistes

On croirait rêver, il faudrait donc introduire le loup islamiste dans la bergerie au nom de la lutte contre l’extrémisme? Certes, quand il s’agit de collaborer avec les islamistes radicaux, Ennahdha fait figure de maître.

Rappelons-nous de leur liens, en 2012, avec Ansar Al Charia et leur chef, Seifallah Ben Hassine alias Abou Iyadh : l’organisation terroriste tunisienne proche d’Al Qaida avait, en toute tranquillité, établi ses tentes de «daâwa» (prédication, prosélytisme) dans les villes tunisiennes pendant que le parti, alors à la tête du gouvernement, regardait ailleurs. Sans parler de la tolérance inouïe pour les salafistes qui avaient pris d’assaut les universités tunisiennes, s’attaquaient sans vergogne aux expositions culturelles, et s’en prenaient aux mausolées soufis, sous les yeux compréhensifs de certains membres du parti tunisien.

Le International Center for Religion and Diplomacy (IRCD) a travaillé main dans la main avec le Center for the Study of Islam and Democracy (CSID) de Masmoudi. Le IRCD a pour but de promouvoir la paix en s’appuyant sur les institutions et dignitaires religieux ainsi que sur leurs dogmes. Le fondateur, Douglas Johnston, prend sa mission très au sérieux, s’étant gentiment entretenu avec les Talibans ainsi qu’avec les dirigeants de plusieurs madrasas en lien avec des groupes terroristes.

Le rapport du IRCD et du CSID se révèle impressionnant par sa mauvaise foi à toute épreuve. Examinons le donc: publié en février 2018, il s’intitule «Reimagining the Religious Sector» (Ré-imaginons le domaine religieux), et promet une vision nouvelle pour la lutte contre l’extrémisme en Tunisie. Le ICRD y remercie le CSID pour son travail de recherche: ce dernier ayant, en effet, coordonné la collecte et la compilation des données. Chamfort disait qu’il existe des «sottises bien habillées comme il existe des sots bien vêtus». Bien que le rapport ait bien pris le soin de se revêtir d’un style lisse et se voulant universitaire, les affabulations sautent aux yeux.

Le CSID «vend» Ansar Al Charia aux Américains

En résumé, ICRD, et donc CSID, plaident en faveur d’une plus grande participation des acteurs islamistes, y compris les salafistes, avec l’objectif de lutter contre l’extrémisme. Toute opposition à cette idée est balayée par les auteurs qui insistent que si le gouvernement tunisien esquissait des limites à la liberté d’expression des salafistes et à leur prosélytisme, il saperait par là le processus de démocratisation.

On voit ici que, selon le rapport, toute tentative pour contenir la dissémination d’idées islamistes, qui vont forcément à l’encontre de la démocratie, remet ipso facto en question la légitimité démocratique du gouvernement élu.

Notons que le rapport prend bien des libertés avec l’histoire tunisienne. Le groupe terroriste Ansar Al Charia y est présenté comme une nébuleuse organisation cachant si bien ses sympathies extrémistes, que certains innocents étaient convaincus qu’il s’agissait là d’une simple association caritative. La même Ansar Al Charia, donc, qui organisant en toute impunité des rassemblements où leurs partisans chantaient «Nous sommes tous les enfants d’Oussama [Ben Laden]» et un des orateurs, Mokhtar Jebali, déclarait que «chaque musulman est un jihadiste, le jihad est une obligation».

Plus révoltant encore, le rapport assène qu’en classant Ansar Al Charia comme organisation terroriste, le gouvernement tunisien aliéna ses adeptes, laissant donc ces pauvres jeunes dépourvus de tout soutien social et religieux et privés de leur communauté. La phrase suivante énumère les attaques terroristes des années 2010 qui affligèrent la Tunisie, sous-entendant par là comme un lien de cause à effet.

Nous arrivons donc à la solution: soutenir des islamistes supposés non-violents. Encore que cette non-violence soit bien relative. En effet, les auteurs appellent à différencier les Salafistes qui promeuvent le conflit social et la violence en dehors d’un cadre légal de ceux qui soutiennent les conflits sans forcément préconiser concrètement le recours a des actes violents en particulier.

On atteint, peut-être, ici un pic d’absurdité. Évoquant certains islamistes qui justifient, théologiquement parlant, les conflits à l’étranger, tels ceux se déroulant en Syrie ou en Libye, les auteurs affirment qu’il demeure essentiel de garder ouvertes les «portes du dialogue» à ces acteurs qui ne posent pas de danger immédiat à la sécurité publique. On se rappelle bien que pour Ennahdha, Ansar Al Charia ne posait pas non plus de danger immédiat.

D’après les auteurs, certains Tunisiens craignent que les acteurs religieux n’utilisent leur influence sociale pour promouvoir un agenda politique théocratique. Ce serait apparemment une crainte chimérique car, selon le rapport, Ennahdha aurait soigneusement évité tout ce qui aurait pu donner l’impression que le parti s’en prenait à la laïcité (sécularisme) tunisienne. Etant donné la pléthore d’exemples démontrant les visées islamistes d’Ennahdha, il faudrait vraiment être aveugle, ou islamiste, pour prétendre que le parti se serait totalement abstenu d’attaquer les fondements de la laïcité tunisienne.

Mais cela ne semble pas gêner les auteurs outre mesure, toute crainte ou méfiance des Tunisiens vis-à-vis des Salafistes s’expliquant par leur absence de recul. En effet, les auteurs affirment que beaucoup de Tunisiens seraient récalcitrants à l’idée d’engager le dialogue avec les Salafistes à cause de l’image négative du Salafisme dans «l’imaginaire populaire».

Donc, comment soutenir ces islamistes tunisiens qui tiendraient la solution pour endiguer l’extrémisme ? D’après les sondages effectués sous la supervision du CSID, les Tunisiens interrogés voudraient que l’Etat continue de rémunérer les imams mais en réduisant son rôle dans leurs sélection et dans la réglementation de l’expression religieuse. Selon les auteurs, se basant sur ces soi-disant sondages, les acteurs religieux ne s’opposeraient pas au fait d’être soutenus par le gouvernement mais sont moins intéressées par un contrôle gouvernemental sur l’expression religieuse.

En d’autres termes, les islamistes souhaiteraient bénéficier de la liberté d’expression la plus absolue et ce aux frais du contribuable. Leur désir s’explique facilement, qui refuserait une telle aubaine, mais où serait l’intérêt du gouvernement et plus généralement de la société tunisienne qui mettrait donc la main au portefeuille?

Bien que les conclusions du rapport soient risibles, il y a de quoi s’inquiéter. Masmoudi, qui fait du lobby pour Ennahdha aux Etats Unis, donne désormais l’impression de focaliser ses efforts directement sur la Tunisie. En effet, son CSID y est très actif, organisant événement sur événement, dont un avec Abdelfattah Mourou, et s’investissant dans la lutte contre le coronavirus.

Il y a à peine quelques jours, Masmoudi écrivait que la liberté créative et l’art sont inséparables des valeurs et bonnes mœurs (islamiques, on l’imagine). Tout individu dont les valeurs seraient différentes de celles de Masmoudi pourrait facilement se voir accusé d’être un «ennemi» de «ce peuple [tunisien] qui adhère à son identité arabe et islamique». De plus, Masmoudi affirme clairement que Ennahda envisage «les enseignements et les valeurs de l’islam» non seulement comme «une partie essentielle de l’identité et de la culture de ce peuple» mais également comme nécessaires à la construction d’une «société prospère, cohésive et développée».

Pourtant la Tunisie, n’en déplaise à Masmoudi et à son parti, est, comme l’affirme sa constitution, un «État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit». C’est le propre des islamistes d’avancer cachés, dissimulant leur intolérance et leurs objectifs théocratiques sous l’étendard de la démocratie. Il est essentiel de leur enlever ce masque de façon à exposer leurs véritables desseins au grand jour, comme ce projet visant à faciliter la propagation de l’idéologie islamiste à travers la Tunisie.

* Chercheuse américaine à l’Islamist Watch, un projet sous la tutelle du Middle East Forum.

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