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Le trafic mondial d’armes légères de petits calibres

Le commerce illicite des armes légères et de petit calibre (alpc) se produit dans toutes les régions du monde et se concentre dans les zones touchées par les conflits armés, la violence, et le crime organisé où la demande en armes illicites est la plus importante. Les filières de ce trafic sont nombreuses et multiples. Et sont déployées au niveau international.

Par Jied Aouij *

Si les transferts internationaux font indéniablement partie de la problématique de l’armement des conflits actuel du Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le détournement des stocks nationaux et les trafics régionaux sont aussi préoccupants.

Le Small Arms Survey (basé à Genève) définit les armes légères illicites comme des armes qui sont produites, transférées, détenues ou utilisées en violation du droit national ou international.

Le trafic illicite des armes légères est regroupé en deux grandes catégories : 1- les détournements des armes légales vers les sphères illicites; 2- les sources d’armement déjà illicite.

1- Les détournements :

La plupart des armes légères illicites sont des armes produites légalement et sont détournées à un moment ou un autre de leur cycle de vie vers des utilisateurs non-autorisés. Il existe deux modèles principaux de détournement : A- le détournement des transferts licites ; B- le détournement des stocks nationaux.

A- Le détournement des transferts licites:

Un transfert d’armes est détourné lorsque des armes sont prétendues volées ou délibérément re-transférées à un destinataire qui n’est pas officiellement autorisé à les recevoir ou si l’utilisateur final en fait un usage non autorisé.

Les détournements des transferts d’armes peuvent avoir lieu aux différents stades de la chaîne de transfert que ce soit dans le pays d’origine lors du transport vers l’utilisateur final, en transit, au point de livraison, voire après la livraison.

Les opérations de détournement de transferts sont souvent planifiées à l’avance et impliquent des navires et des aéronefs immatriculés sous pavillon de complaisance dans un Etat autre que celui de leur propriétaire.
Ces transferts sont facilités par des sociétés fictives offshores qui changent souvent de nom et de pays d’enregistrement.

Une autre caractéristique clé du détournement de transfert est l’utilisation de documents de transfert falsifiés tels que des certificats d’utilisateur final et des plans de vol qui aident à dissimuler les itinéraires réels du chargement et les acteurs impliqués.

Les détournements de transfert ont permis d’alimenter de nombreux conflits sur le continent africain avec des armements provenant de l’ex-Union soviétique.

En 2011, par exemple, un courtier albanais et une société ukrainienne ont organisés le transfert de 800.000 cartouches de calibre 12,7×108 mm de l’Albanie vers la Libye. Les Émirats arabes unis avaient signé le certificat d’utilisation finale spécifiant que les munitions ne seraient pas re-transférées ainsi qu’une déclaration attestant qu’elles leur avaient bien été livrées.

Pourtant un transporteur arménien a acheminé les munitions directement depuis l’Albanie vers Benghazi en Libye en trois cargaisons aérienne livrées en septembre 2011.

Ce cas démontre que les détournements de transferts internationaux restent d’actualité et qu’ils peuvent concerner du matériel vieux de plusieurs décennies.

En effet ces munitions avaient été produites entre les années 60 et la fin des années 70.

B- Le détournement des stocks nationaux :

Les armes et les munitions sont aussi détournées des stocks de forces de défense et de sécurité des Etats.

Un contrôle insuffisant et de mauvaises mesures de sécurité peuvent engendrer la perte de certaines de ces armes ou leur vol par des membres du personnel ou des acteurs extérieurs.

Les points de détournement possible sont : les sites de stockage ou les convois transportant le matériel.

La faiblesse des structures étatiques, le manque de garde-fous au sein des administrations et les manquements des réglementations de stockage et des transferts d’armes peuvent permettre à des individus haut placés d’organiser des détournements.

Dans beaucoup de conflits, le détournement du stock national représente la source principale en armement pour les groupes insurgés. Un exemple : des stocks gigantesques d’armes stockées dans les pays d’ex-Union Soviétique. À la chute de l’URSS en 1989, des millions d’armes se sont retrouvées hors de contrôle, ce qui a donné lieu à un des plus grands détournements de l’histoire.

C’est le cas notamment au Mali depuis 2012 où les armes dérobées sont issues des stocks nationaux (plus que les armes dérobées de Libye).

Dans d’autres cas, tels que l’Irak en 2003 et la Libye en 2011, les conflits armés ont causé l’effondrement des institutions étatiques et conduit au pillage généralisé d’une grande partie des stocks nationaux.

2- Les sources illicites :

Alors que la plupart des armes légères et de petit calibre sont produites légalement, il existe des exceptions à la règle.

Les armes fabriquées illégalement par des artisans et des forgerons ainsi que la modification de pistolets d’alarme et d’armes neutralisées pour les transformer en armes létales constituent des moyens de produire illicitement des armes légères.

Par ailleurs, la recirculation des stocks existants d’armes illicites est régulièrement constater dans les zones de conflits.

La production artisanale :

Les forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC) par exemple ont produit des copies de pistolets semi-automatiques italiens et de mitraillettes américaines.

L’Armée républicaine irlandaise (IRA) a produit différents types de mortiers tandis que le Front de libération islamique Moro aux Philippines à fabriqué des RPG (lance-roquettes individuels) et des lance-grenades.

Les engins explosifs improvisés (EEI) sont devenus le type d’armes artisanal le plus utilisé dans les conflits moderne, causant plusieurs milliers de morts chaque année.

Au Pakistan, à 40km de Peshawar (N/O), le village de Dara Demrel est spécialisé dans l’industrie de l’armement «fait maison». Les fabricants reproduisent quasiment tous les modèles existants et fournissent d’ailleurs une grande partie du pays.

Le groupe Etat islamique (Daêch) a produit et déployé des EEI de façon quasi industrielle sur les champs de bataille d’Irak et de Syrie et en a fait son arme de prédilection.

Les armes à feu converties:

Les armes à feu converties sont des armes dites d’alarme c’est-à-dire conçues pour ne tirer que des cartouches à blanc, ou les armes neutralisées qui ont été illégalement modifiées pour leur permettre de tirer des balles réelles.

Si les armes d’alarme converties sont essentiellement des pistolets semi-automatiques, les armes neutralisées inclus des pistolets mitrailleurs et des fusils automatiques qui une fois réactivés peuvent tirer en rafale.

Des armes réactivées ont été utilisées dans plusieurs attaques terroristes notamment à Paris en janvier 2015 et à Munich en juillet 2016.

À ce titre, il est à noter que la remise en circulation d’armes neutralisées et souvent due aux services d’armuriers malhonnêtes qui disposent du savoir-faire essentiel pour ce genre d’opération.

La prolifération des pistolets d’alarme convertis prend de l’ampleur au Moyen-Orient et en Afrique.

La Turquie est un important fabricant de pistolet d’alarme dont les modèles sont régulièrement convertis et saisies dans différentes régions.

La recirculation des armes illicites :

C’est la conséquence de la longévité des armes à feu. Les stocks existants d’armes illicites représentent une source importante de flux d’armes.

En effet, que ce soit en Afghanistan en Irak ou en Somalie, on observe régulièrement que la majorité des armes et des munitions utilisés par les parties au conflit ont été conçues, fabriquées, et distribuées, des décennies plus tôt.

Plus proche de nous, le circuit des armes illicites en Europe vient essentiellement de ce que l’on appelle «la route des armes». Celle-ci représente le circuit d’importation des armes des pays d’Europe de l’est vers ceux de l’ouest et qui sont utilisées par les trafiquants de drogue ou autres terroristes (ex : attentats du Bataclan, attaque de Charlie Hebdo, etc.)

Les armes sont majoritairement des Kalachnikovs de type AK-47, des lances roquettes de type RPG et des grenades, toutes étant les vestiges de l’ex-armée yougoslave qui, après son démantèlement, a laissé plus de 2 millions d’armes auprès des particuliers.

En conclusion, on peut dire que les filières de trafic d’armes légères sont nombreuses et peuvent évoluer avec le temps.

Elles s’adaptent toujours aux nouvelles réglementations, à l’évolution des conditions sécuritaires et aux exigences des utilisateurs de ces armes.

Les trafics internationaux impliquent des courtiers, des sociétés-écran et des fonctionnaires corrompus.

Il est important de bien comprendre et surveiller les différentes facettes du trafic des armes légères pour en prendre la mesure, anticiper son évolution et tenter de le prévenir et de l’endiguer.

* Directeur général de Fournitures Équipements Militaires Compagny ltd (Femco).

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