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Réflexions d’un apolitique sur la Tunisie post-révolution

Le sentiment général qui se dégage aujourd’hui est que la Tunisie reste un pays à plusieurs vitesses. Il existe encore un écart entre les régions et un décalage entre les différentes couches sociales. Y coexistent aussi deux forces : l’une, positive, la pousse vers le haut, grâce à une jeunesse dynamique, inventive et créative; l’autre négative, mue par des intérêts particuliers, attachée à ses privilèges, et qui tire le pays vers le bas.

Par Fathi Ben Hamidane *

La révolution tunisienne de 2011 a apporté au citoyen la liberté et la dignité. La liberté, et surtout la liberté d’expression, est un acquis précieux certes, mais quand cette liberté dépasse la limite de l’admissible peut-on encore parler de liberté ? Invectiver le président de la république et s’adresser à lui dans des termes irrévérencieux, sans aucun égard pour son statut, constitue clairement une offense et un outrage à la liberté d’expression. Quel que soit le message à faire passer et quel que soit le grief! L’humilité, la politesse et le respect de l’autre sont le fondement de la démocratie et la base du civisme et de la civilité.

Des élus mus par des intérêts «pas trop nationaux»

Sur le plan de la démocratie à proprement parler, le souci majeur de l’Assemblée actuelle, élue par le peuple, n’est vraisemblablement pas celui de servir les intérêts du citoyen et faire la fierté du pays en servant de modèle et d’exemple à ceux de tout bord qui, jaloux de l’expérience tunisienne dérangeante, sont à l’affût de toute incartade et de toute dérive pour dénigrer cette expérience démocratique et pour assouvir leur désir de la voir capoter.

Les tiraillements au sein du parlement tournent, hélas, à la mascarade et au show médiatique. Le citoyen est de plus en plus convaincu que certains députés ne sont là que pour défendre des intérêts «pas trop nationaux» et pour faire bénéficier certains lobbies de certains avantages et privilèges.
Les disputes, les querelles et les joutes oratoires, au mépris de la décence, de la bienséance et de la courtoisie, retransmises en direct par la chaîne de télévision nationale, font apparaître clairement ce désir permanent de se montrer, de s’afficher et de vouloir s’imposer, avec la prétention de détenir LA réponse et LA solution.

D’autre part, il existe, depuis le début de la révolution, un fossé entre la notion de la vie et de la destinée de la «nation» et la conception de la «oumma» et, tant que perdurera ce fossé, il sera difficile de bâtir un Etat fort, solide et à toute épreuve.

Laïques ou religieux : un double dogmatisme

Par ailleurs, les partis politiques, laïques ou religieux, sont peu soucieux d’œuvrer dans l’intérêt du peuple, loin de tout parti-pris mesquin et inhibiteur. Le laïque continue à considérer le religieux comme un mal, un ennemi. Le religieux persiste à croire qu’il détient la vérité et le monopole de la probité et de la droiture. Il serait temps que tout le monde s’accorde sur la nécessité d’admettre que la croyance est une affaire personnelle, un simple rapport direct entre l’Homme et son Créateur. La liberté de croyance et de conscience est certes un droit fondamental mais faut-il pour autant en faire un devoir, directement ou indirectement?

Autre constatation: la révolution a crée une situation et un état de fait qui interpellent à plus d’un titre. Des victimes de l’époque de Bourguiba et de celle de Ben Ali demandent et obtiennent des dédommagements et des compensations pour les tortures et autres sévices subis à l’époque. Mais quid des martyrs et blessés de la révolution à qui la nation est redevable et reconnaissante pour les sacrifices consentis ? Et qu’en est-il également des militants gauchistes, marxistes-léninistes et autres qui ont, eux aussi, été maltraités, torturés et emprisonnés sous le régime de Bourguiba?

Enfin, une dernière réflexion. La révolution tunisienne a été véritablement fertile et féconde. Elle a engendré des progrès incontestables dans d’innombrables domaines, que d’aucuns lui envient.

Tout compte fait, le sentiment général qui se dégage après ces années d’atermoiements et de luttes pour des objectifs somme toute louables et palpables est que la Tunisie reste malgré tout un pays à deux, voire plusieurs, vitesses. Il existe encore un écart entre les régions et un décalage entre les différentes couches sociales. Même si des efforts colossaux ont été consentis à cet égard. Il est en outre clair qu’il existe aussi dans le pays deux forces : l’une, positive, pousse la Tunisie vers le haut, encore et toujours, grâce aux forces vives et à la jeunesse dynamique, inventive et créative, l’autre négative, ou du moins inerte, qui tire le pays vers le bas mue par des facteurs socioculturels.

L’union fait la force est le mot de la fin qui s’impose.

* Ancien fonctionnaire international et enseignant universitaire.

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