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L’économie tunisienne otage des politiques : Mechichi en mission de commando !

Le moral des opérateurs économiques est à son plus bas : industriels, entreprises, et investisseurs multiplient les «SOS-Otage»! En cause, l’économie est à plat, saignée à blanc par les tensions sociales et contestation politique (sit-in, blocage, sabotage, autoroutes fermées, incendies criminels, barrages d’eau fermés, etc.). Les propulseurs économiques sont noyés, et noyautés, par des proto-partis au pouvoir et des contestations violentes, atypiques pour l’activisme en politique. Le prochain gouvernement doit lancer l’assaut pour libérer l’économie de ses ravisseurs.

Par Moktar Lamari, Ph. D.

Mission du gouvernement en cours de constitution par Hichem Mechichi, le chef de gouvernement désigné par le président Kaïs Saïed: sanctuariser les propulseurs de la prospérité, sacraliser le travail et agir pour bien-être collectif, en faisant barrage aux politiciens rapaces et foyers de contestation qui ne font que jeter de l’huile sur le feu!

Une économie prise en otage

Prise d’otage ? Kidnapping? Razzia? Au Kamour (Tataouine), les oléoducs du pétrole et les pipelines du gaz ont été fermés par des chômeurs de longue durée! Idem, pour le bassin minier de Gafsa : la production de phosphate est paralysée par des chômeurs revendiquant de l’emploi ou des revenus. Plusieurs entreprises du Sahel subissent la même pression! Ailleurs aussi, plein d’autres industries et entreprises sont ainsi embarquées dans l’incertitude et subissent les fermetures des autoroutes.

L’establishment politique tunisien post-2011 est largement en cause. Au Bardo, la «Mecque» du Printemps arabe en Tunisie est devenue un bazar de roublards, un souk viscéralement infesté par des idéaux radicalisés et des comportements violents. Pour plusieurs députés, et notamment pour le cheikh religieux, Rached Ghannouchi, qui préside le parlement, l’économie n’est qu’une 3e roue de la charrette!

À la Kasbah, au palais du gouvernement, les soupçons de corruption se multiplient et se conjuguent avec une incurable «indiscipline budgétaire», dépensière et génératrice de surendettement, de grandissantes pressions fiscales ainsi que d’une inflation galopante. Le tout pour donner des munitions à la Banque centrale, qui n’attend que cela pour maintenir son taux d’intérêt directeur à des summums, poussant les taux d’intérêt bancaires à des niveaux devenus inabordables pour les investisseurs et les consommateurs (des taux entre 10% et 14%).

Plusieurs observateurs internationaux lient la dérive économique en Tunisie à une corruption endémique, à une incompétence quasi généralisée au sommet de l’État et à un clientélisme omniprésent presque dans tous les rouages du pouvoir (exécutif et législatif).

Sans véritable autodéfense ni garde-fous, l’économie tunisienne est prise en tenaille entre deux types de tensions aussi asphyxiante, l’une comme l’autre. D’un côté, chômeurs et salariés, touchés de plein fouet par la crise économique des 9 dernières années, montent aux barricades pour faire pression sur les entreprises et sur les investisseurs : qui pour se trouver un emploi permanent, qui pour hausser son salaire, et qui opérant pour compte de tiers. Chantage, pression et extorsion sont entremêlés.

D’un autre côté, une tension récurrente, au sommet de l’État, oppose le pouvoir législatif, présidé par le cheikh Rached Ghannouchi (79 ans), fondateur du parti islamiste Ennahdha, au gouvernement, aujourd’hui présidé Elyes Fakhfakh, un technocrate pas élu, démissionnaire et devant faire face aux tribunaux pour des soupçons de conflit d’intérêts et de corruption.

Une économie saignée à blanc

Au parlement, les querelles sont devenues récurrentes, violentes et indécentes. Les principaux partis et un grand nombre de députés se donnent en spectacle en s’échangeant des coups, en se lançant des chaises, en s’insultant, avec tous les ingrédients, y compris la danse «militante» de «pom pom girls» habillées en rose, mais voilées de la tête aux chevilles, et prêtes à tout pour plaire aux barbus du parlement.

Ce paysage déplorable a un coût économique (pas seulement financier) dévastateur pour le pays.

Un coût qui ruine le branding de la Révolte du Jasmin, qui dégrade le capital de confiance envers les élites politiques. Rien pour inciter les investisseurs à investir, rien pour motiver les travailleurs à produire plus… et rien pour optimiser les services publics et le rendement des fonctionnaires.

Sur le terrain, le modus operandi de ces blocages économiques est quasi-identique: des employés, des chômeurs ou des inconnus manipulés s’organisent en meutes pour bloquer les processus de production, barrer des routes, imposant de facto leurs revendications et leurs diktats, à leurs vis-à-vis publics ou privés (employeurs, gouvernement, etc.).

Une logique de menace, d’extorsion et de chantage : «tu acceptes nos revendications ou tu perds tout, toi, tes employés et tes partenaires»! Une forme d’intimidation, malheureusement tolérée par les forces de l’ordre et par un grand nombre des institutions nationales : médias, normes, état d’esprit, tribunaux, syndicats et associations de la société civile.

Tous savent que ces blocages privent le pays de précieuses entrées de devises, mettent en péril l’autosuffisance énergétique et vulnérabilisent l’État, dans un contexte géopolitique explosif. Pis, par un effet de dominos, ces blocages envoient au chômage des centaines d’employés opérant dans les filières et chaînes de valeur ajoutée liées (phosphates, énergie, chimie, plastique, etc.). Le tout ne peut qu’amplifier les déficits budgétaires du pays, appauvrir et accroître le désenchantement social.

Rien que pour le mois de juin dernier, la Tunisie a recensé plus de 970 mouvements sociaux : protestations, grèves, sit-in, barricades et contestations de toutes sortes. Au grand désespoir des investisseurs, le pays compte presque 10.000 mouvements de contestations, de ce type, par an, depuis 2011 (soit presque 28 contestations par jour).

Le sévère confinement lié à la pandémie du Covid-19 a fait doubler le nombre de chômeurs, passant de presque 650.000 à plus 1,2 million, pour une population active de 4,5 millions. L’Institut national de la statistique (INS) mesure le chômage uniquement dans le secteur formel et les chiffres du secteur informel doivent être pris en compte.

La croissance économique a été quasiment nulle pour l’ensemble de la décennie post-2011. Le dinar s’étiole à vue d’œil, ayant perdu, en trois ans, presque 40% de sa valeur face aux devises fortes. Le pouvoir d’achat a été amputé de presque la moitié, et l’investissement est étranglé par des taux d’intérêt allant de 11% à 13%, soit le triple du taux d’intérêt moyen au Maroc, au Sénégal ou en Jordanie.

L’investissement recule drastiquement. Depuis 2012, les gains de productivité du capital plongent en zone négative, comme le montrent les données l’Institut tunisien de la compétitivité et études quantitatives (ITCEQ).

Le gouvernement Mechichi : en mission de «commando» !

L’économie tunisienne a besoin d’institutions publiques qui la protègent contre les aléas politiques, contre les contestations sociales et contre les sabotages liés. Elle a besoin d’être sanctuarisée et mise à l’abri de tous ces proto-partis irresponsables et qui prolifèrent sans programme économique ni vision stratégique, autre que celle de vouloir démolir le modèle économique hérité du passé, sans construire d’alternatives viables.

Pour arrêter l’hémorragie économique, le gouvernement Mechichi doit convaincre et mobiliser en faveur d’un pacte de sanctuarisation de l’économie et non-ingérence des partis dans la gouvernance économique.

Le Maroc, pays comparable et dont les élites politiques sont à l’évidence plus sages, n’a pas maltraité ses avantages comparatifs et n’a pas déstabilisé son tissu industriel par les contestations et les antagonismes improductifs. C’est pourquoi le Maroc est aujourd’hui mieux positionné que la Tunisie pour tirer profit du re-brassage des cartes, engagé depuis quelques semaines pour relocaliser les productions industrielles, de par le monde et à l’ère du post-Covid-19.

Le graphique suivant donne un regard croisé sur l’évolution de la valeur ajoutée industrielle en Tunisie et au Maroc, depuis 2011.

Dans la même veine, et pour recréer de l’emploi durable et de la prospérité, l’économie mérite aussi un vrai plan de redémarrage qui s’articule autour d’au moins six leviers principaux :

1-Réduire les taux d’intérêts bancaires et les ramener à des niveaux comparables à ceux en vigueur dans les pays qui sont en compétition avec la Tunisie pour les mêmes biens et services demandés par les marchés internationaux. Le taux d’intérêt directeur est fixé artificiellement à un niveau très élevé : 6,75%, contre seulement 1,5% au Maroc. L’inflation en Tunisie est surestimée et injustement instrumentalisée par la Banque centrale pour justifier des taux si élevés. Des taux qui font les affaires des banques et de leurs actionnaires. Ces banques engrangent annuellement des bénéfices colossaux, dans le contexte d’une économie carrément à terre.

2-Repenser les incitatifs fiscaux (crédit d’impôt, exonération, subvention, etc.) pour promouvoir les investissements intensifs en main-d’œuvre, et les projets les plus créateurs d’emplois durables. L’allègement de la pression fiscale sur les entreprises doit aller de pair avec les efforts du redémarrage de l’économie.

3-Réformer le marché du travail, pour plus de justice et de flexibilité dans les recrutements et pour un meilleur trade-off entre gains de productivité et rémunération à la marge. Une telle réforme majeure est attendue depuis une décennie, et la Tunisie ne peut la reporter encore à plus tard, sine die. Les parties prenantes doivent avoir le courage de mener ensemble cette réforme, pour la prospérité et la postérité. Et des concessions sont requises de tous et chacun.

4-Élaborer une stratégie de compétitivité économique. Des secteurs prioritaires doivent être identifiés, avec précision, après concertation et avec l’appui une batterie de mesures pour les stimuler. On ne peut pas demander à des investisseurs internationaux d’investir dans les secteurs stratégiques et à haute valeur ajoutée, sans que le pays ne se dote d’une stratégie dédiée aux secteurs stratégiques.

5-Bannir la posture mille-feuilles brandie par la bureaucratie contre les industriels, nouveaux investisseurs et créateurs d’entreprises, tant dans le secteur formel que dans le secteur informel. Les formalités et les délais bureaucratiques doivent être réduits drastiquement.

6-Renverser la vapeur : le chef du gouvernement désigné doit mobiliser toutes les forces vives du pays. Il doit fédérer les initiatives bienveillantes avec toutes les expertises nationales et expatriées. Le tout en prenant ses distances des lobbys de «rapaces», des partis idéologisés, de leurs satellites et sous-marins très politisés et ayant montré leur incompétence en développement économique de la Tunisie post-2011. Les partis politiques, les élus du peuple doivent aider à désamorcer les crises, calmer le jeu, en offrant un répit d’au moins 2 années à une économie déjà aux abois.

Faute de quoi, l’économie tunisienne va à sa perte, ce qui ouvre bien grand les portes de l’enfer pour le bien-être collectif. La «transition démocratique» trébuche depuis 2011, et appauvrit ses citoyens plutôt que de les enrichir.

Le scénario égyptien, tout comme celui que vit aujourd’hui le Liban, ont été le produit d’une introduction massive et anarchique d’un islamisme politisé et fanatisé dans les rouages de la gouvernance de l’économie et dans les couloirs de la prise de décision gouvernementale.

Hichem Mechichi, le nouveau chef de gouvernement, doit leader le sauvetage de l’économie, et il doit l’afficher haut et fort, dans l’exposé de ses priorités urgentes et prioritaires.

Un très récent rapport, signé INS-IFS (international finance corporation de la Banque mondiale) au sujet de la crise économique post-Covid-19 en Tunisie, montre les attentes des entreprises : «Les entreprises réclament plus de soutien… Les 3 mesures les plus demandées par les entreprises sont des exonérations/réductions d’impôt (44%), des injections directes de liquidités (41%), et des allègements fiscaux (36,6%)».

Le gouvernement Mechichi doit mettre le paquet : il doit agir en chef de commando providentiel pour libérer la citadelle Économie. Avec une seule mission : mettre l’appareil productif hors de portée des barons de la corruption, à l’abri des revendications irréalistes et loin des griffes des apprentis sorciers de la politique politicienne.

* Universitaire au Canada.

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