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Un Grand Prix de Formule 1 en Tunisie, à quel prix ?

Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDS) a publié un rapport sur les impacts attendus du projet de complexe intégré de Formule 1 dans la région de Salloum, entre Sousse et Hammamet, dont la rentabilité est loin d’être assurée. Nous reproduisons ce rapport ci-dessous.

Le ministre du Tourisme et de l’Artisanat s’est entretenu, le 22 septembre 2020, avec Chedly Zouiten, président du National Automobile Club de Tunisie (NACT) et membre de la Fédération internationale de l’automobile, à propos d’un projet de complexe intégré de Formule 1 dans la région de Salloum, entre Sousse et Hammamet, à 10 km de l’aéroport Enfidha et à 80 km de Tunis.

Le site d’implantation du complexe Formule1

Selon son étude de réalisation, le projet Tunisia Racing F1 City, consiste à réaliser un complexe sportif intégré qui soit entouré d’unités hôtelières et de loisirs de très haut niveau. Ainsi, entre autres seront construits deux hôtels 5 étoiles, un hôtel 7 étoiles, 8 restaurants internationaux avec différentes gastronomies (chinoise, libanaise…) et un quartier résidentiel qui comporte 60 villas et 600 appartements avec vue sur mer, le tout du haut-standing. Un casino, un terrain de golf et un grand centre commercial viendront compléter ce complexe dont l’enveloppe prévisionnelle tourne autour de 1,218 milliard de dinars.

Sur 300 hectares, la société d’investissement britannique Bitrage Investments Ltd assurera le financement de ce projet avec une contribution de la part du gouvernement tunisien qui reste encore imprécise. En effet, très peu d’informations existent sur le montage financier de ce projet mais plusieurs points sont à relever.

D’un point de vue économique, les coûts de la discipline Formule 1 sont très élevés et le pays qui souhaite organiser un Grand Prix de F1 doit payer cher son inscription au calendrier des pays candidats (le prix peut aller jusqu’à 200 millions de dinars).

Par ailleurs, pour avoir le circuit sans payer, plusieurs options s’offrent à la Tunisie : négocier avec les organisateurs pour baisser le prix, fournir gratuitement les terrains d’implantation et se charger de l’infrastructure nécessaire ou encore renoncer aux revenus générés par la vente des tickets (qui est la somme la plus importante) mais bénéficier de tout l’effet de l’événement. Ainsi, quelle que soit l’option retenue, le risque que ce projet coûte cher à la collectivité est bien réel,

Le projet coûtera cher à la collectivité nationale

Les hôtels, restaurants, casinos et autres sites dédiés devant accueillir les amateurs de ce sport feront le plein des visites les 2 ou 3 jours de la course et risquent par la suite de connaître le grand vide. De plus, les appartements et villas hauts de gamme implantés dans ce site au bord de la mer et à proximité de l’aéroport seront proposés à des prix très élevés ce qui pourrait poser problème quant à leur vente ou location.

La question se pose ainsi sur la pertinence économique de cet énorme projet dont les retombées sur le tourisme et l’économie restent limitées à la période de l’évènement ce qui risque de faire tomber tout le projet en décrépitude après quelques années,

Définir les impacts du projet sur l’environnement et les composantes de l’écosystème

D’un point de vue environnemental, ce projet sera implanté dans une zone côtière du sud du Cap-bon, sur des terres à majorité domaniales, à quelques mètres de la plage, traversant une rivière et quelques terrains agricoles. Ainsi, avant de se féliciter de son impact sur la dynamisation du tourisme dans le pays et la création d’emploi, il faut alerter sur ses impacts sur l’environnement et les composantes de l’écosystème. En effet :

Les plages sud de Nabeul sont extrêmement fragilisées par la fréquentation humaine et par la multiplication des infrastructures touristiques. Aussi, la sebkha de Sidi Khlifa se situe à moins de 2 km et l’équilibre sebkha-mer risque d’être perturbé par la forte présence humaine sachant que la capacité totale des hôtels est de 2000 lits auxquels s’ajouteront les résidents des villas et appartements,

Les sports mécaniques sont une importante source de gaz à effet de serre et pour cause les voitures de Formule 1 qui ont une consommation record en carburant avoisinant les 75 litres pour 100 km. Par ailleurs, ce grand prix accueille chaque année plusieurs milliers d’amateurs, à titre d’exemple 25.000 tickets ont été vendus en 2017 à l’occasion du Grand Prix de Formule 1 d’Azerbaïdjan. La présence de ce grand nombre de personnes sur un même lieu pendant quelques jours doit être pensé d’un point de vue environnemental (consommation, déchets, piétinement, effet sur la plage, empreinte carbone…) et pollution atmosphérique et sonore.

Sur le plan social, le projet prévoit la création de 2.500 emplois techniques hautement qualifiés en automobile et 15.000 emplois saisonniers. Sauf qu’il faut soutenir ces emplois saisonniers et essayer de les faire durer au-delà des quelques jours du Grand Prix, ce qui revient à assurer des activités et une dynamique tout au long de l’année. Nous nous demandons donc par quelle formule la Cité de Formule 1 prévoit d’assurer un accueil continu des touristes et visiteurs, à la fois pour la rentabilité économique et pour la stabilité sociale?

Au vu de tous ses éléments, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDُES) se posent l’ensemble de ces questions auxquelles aucune étude d’impact préalable n’est disponible pour apporter des réponses. Ainsi, il :

  • appelle à publier, si elles existent, les études d’impact économique, sociale et environnementale de ce projet;
  • demande une réelle implication des différents agents et experts des parties prenantes concernées dans l’évaluation de la pertinence de ce projet et pour l’attribution du permis final (ministère de l’Environnement et des Affaires locales, ministère de l’Economie, ministère du Tourisme, ministère de la Jeunesse et du Sport);
  • rappelle que les terres sur lesquelles sera implanté le projet ne sont pas toutes domaniales et prémunies contre un processus d’expropriation pour cause d’utilité publique. Aussi, il peut y avoir d’après l’étude de réalisation du projet une dévaluation de ces terres qui consiste à diviser par deux leur valeur afin de permettre à l’hôte du Grand Prix de l’accueillir à faible coût;
  • s’étonne du paradoxe qui apparait dans l’orientation stratégique du ministère du Tourisme entre la promotion récemment déclarée du tourisme alternatif et écologique https://www.facebook.com/media/set/?vanity=ministere.Tourisme.Tunisie&set=a.3336809493101894 et l’engagement affiché au profit de ce projet de tourisme sportif complètement contradictoire avec la première vision;
  • souligne le risque que pourrait induire le pari sur des créneaux fragiles comme le Formule 1 qui n’a pas fait ses preuves dans d’autres pays (Bahreïn, France…) au vu de sa rentabilité mitigée et instable et dénonce l’obstination du gouvernement actuel d’aller de l’avant dans des aventures pareilles qui pourrait coûter cher à l’économie tunisienne, déjà bien secouée en ces temps de pandémie et de crise mondiale.

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