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Du masculin comme valeur intrinsèque : «Un mâle… même si c’est un petit rat»

Contrairement à la femme «patriarcale», qui jouit de l’assentiment du troupeau et mène une vie paisible dans l’ignorance, sereinement adossée aux évidences sociales, la femme qui se bat ne se satisfait jamais des demi-mesures et ne cherche pas à éluder la confrontation, mais souvent elle s’épuise à chercher la justice et l’égalité. Et s’étiole…

Par Raoudha Elguedri *

Comme féministe, comme femme différente, comme personne humaine ou humaniste, comme femme qui dit «NON», qui réfléchit et s’indigne, comme femme qui refuse les normes du troupeau… j’acte la défaite, l’échec, la déception face à l’ordre patriarcal, misogyne.

Je reconnais que la masse dans sa multitude, son inertie et ses croyances fossilisées, est plus forte que les individus différents, même quand ils s’organisent dans des courants de pensée, des syndicats, des associations ou des groupes de travail…

L’échec n’est pas inhérent aux efforts de théorisation, aux textes, au manque de financements ou aux lois…

L’échec dans les détails de la vie quotidienne, dans l’organisation et le partage des tâches, des espaces et au niveau des sentiments qui unissent une femme différente à un homme…

Il est jusqu’au sein de la famille qui ne conçoit pas qu’une femme puisse aspirer à un traitement égalitaire avec les mâles même quand ils sont fautifs, méchants, indifférents et peu reconnaissants…

Le culte du mâle solidement ancré dans la société

Tu as beau faire l’impossible, offrir ton argent, ton énergie, ton affection et ton temps… rien n’y fera. Le culte du mâle, père ou frère, restera solidement ancré comme une évidence qui coule de source. Le mâle n’a pas à bouger d’un iota pour faire ses preuves. Sa valeur intrinsèque est en soi une vérité opposée à toute forme de logique…

Alors, qui vas-tu incriminer ? Ta mère, ton père, tes frères ou tes sœurs ?

Et lorsqu’un homme entre dans ta vie, avec ses conceptions parfois contradictoires, qu’il se réclame du traditionalisme ou du progressisme, tu te sentiras obligée de faire des acrobaties pour adapter ton comportement mille fois par jour… pour ne pas de te perdre… pour ne pas renoncer à tes rêves et à tout ce qui te constitue… pour qu’il ne te taxe pas de «féminisme» et ne t’accuse pas de «haine des hommes»… pour qu’il ne se moque pas ta volonté de «nager à contre-courant»… ne s’offusque pas de ta conception égalitariste qu’il assimile à l’agissement d’un rongeur grignotant peu à peu ses privilèges et sa liberté; liberté indiscutable et légitime, car octroyée naturellement, par tous, individus et institutions.

Lui, il n’est pas un monstre, il n’a aucune mauvaise intention et ne refuse pas catégoriquement la collaboration… Et moi, je crois que ce discours est sincère chez beaucoup d’hommes formidables qui parviennent toujours à se remettre en cause.

Mais l’égalité absolue et entière, celle qui implique que chacun fasse de lui-même ce qu’il est censé faire spontanément, sans attendre qu’on le lui demande, assumer la relation, le foyer, les enfants, les sentiments et l’engagement comme son propre projet de vie pour la réalisation duquel il se bat… cette égalité-là ressemble au mirage d’un été brûlant.

Le problème est en soi et dans sa propre éducation

La femme se trouve obligée d’agir parfois avec son homme comme avec un enfant auquel il faut apprendre à faire la cuisine sans la laisser sens dessus dessous, à respecter le rangement dans la maison… Pour ce faire, elle devra choisir les mots et les recommandations pour qu’il ne les ressente pas comme des ordres… Puis elle va s’en vouloir et se détester: «Le problème est en toi, dans tes attentes trop exigeantes, dans ton éducation qui t’avait poussée à te charger de tous les détails du foyer, à t’occuper de tous ceux qui y habitent» … Elle va se dire que c’est sa faute, ou celle de cette éducation contre laquelle elle tente de se révolter, en vain…

Elle se sentira obligée de lui expliquer la souffrance inhérente à la charge, celle de penser à tout ce qui est nécessaire au foyer, aux corps, aux sentiments… et que rien d’y penser est encore plus épuisant que prendre sur elle et l’assumer…

Si je suis en train d’écrire un texte et que, tout à coup, je me rappelle qu’il n’y a plus de lait au frigo, ou qu’il faut prendre un rendez-vous avec le médecin pour un membre de la famille… sachant que si je ne le fais pas, personne d’autre ne le fera… comment pourrais-je me concentrer sur une quelconque production ou une charge professionnelle ?

Et si je souffre de l’absence de signes d’affection car l’autre estime que sa simple présence à mes côtés devrait suffire à me rassurer, comment être sereine et continuer à avancer ?

Après tout cela, tu n’es pas certaine de t’en sortir indemne chère Madame… On pourrait t’accuser de lui donner des ordres, de lui dire ce qu’il doit faire… que simplement tu ne lui avais pas demandé ce que tu lui reproches d’avoir négligé…

La femme qui se bat ne se satisfait jamais des demi-mesures

Comment demander à quelqu’un de s’engager dans un projet avec les conséquences qui en découlent… d’en assumer la réalisation… et de ne pas s’attendre à ce qu’on le lui rappelle ?

Doit-on quémander cet effort de réflexion aussi ?

Dès lors, même la manière douce que tu vas adopter pour ne pas le blesser ou le fâcher ne t’apportera rien…

Et si tu donnes des ordres ou tu te mets en colère, cela non plus ne servira à rien… Si tu décides d’assumer seule votre projet de vie, tu ne sortiras pas de ce choix indemne… Tu t’épuiseras, tu t’en voudras, et tu t’étioleras… car si tu penses comme je suis en train de l’écrire… c’est que tu es une femme qui réfléchit et se bat… Et la femme qui se bat ne se satisfait jamais des demi-mesures, ne cherche pas à éluder la confrontation…

Une question taraudera à jamais la femme : «Pourquoi est-ce à moi d’obéir, de m’adapter, d’adopter un style de comportement particulier, d’être douce et paraître toujours enjouée ?»

À l’inverse, son alter ego, la femme «patriarcale» (solide rempart de la hiérarchisation et des rapports de pouvoir asymétriques) mène une vie paisible dans l’ignorance, sereinement adossée aux évidences sociales. Et même si parfois, épuisée, elle se fâche, elle n’ira jamais jusqu’à renverser l’ordre des rôles. Elle ne ressentira qu’une simple fatigue physique.

Elle ne se triture pas les méninges dans l’attente du partenaire égalitaire… Tout ce qui lui importe c’est d’être avec un homme qui l’aide quelque peu… qui la complimente pour sa bonne cuisine, sa belle robe… sans compromettre sa virilité dans des déclarations d’amour.

La femme «patriarcale» jouit de l’assentiment du troupeau… et de sa ressemblance avec sa mère, sa sœur, sa voisine, et avec toutes les figures féminines véhiculées par les chaînes satellitaires arabes ou autres.

Car le système patriarcal et inégalitaire n’est pas l’apanage des sociétés arabes; il est universel.

Oui, j’ai perdu… J’ai expérimenté des relations avec tant d’hommes de tous les horizons et je suis fatiguée… J’ai douté de moi et de ma manière d’agir … Je l’ai changée, adaptée, adoucie… mais, aujourd’hui, je me sens impuissante…

Je ne peux pourtant pas suivre le troupeau … Je l’ai refusé depuis ma tendre enfance, et cela n’a rien à voir avec la littérature, la poésie, les sciences ou la sociologie …

Mon attachement à la justice et à l’égalité a été précoce… plus précoce que l’aube qui précède le jour… J’en ai récolté des conflits, l’abandon et la solitude…

Réintégrer le troupeau m’est impossible; alors il ne me reste qu’à continuer à négocier encore et toujours, dans la douleur, face à tout nouveau prétendant qui à l’horizon point.

Traduit de l’arabe par Tahar Ben Meftah.

* Enseignante chercheure en sociologie, Doha Institute For Graduate Studies.

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