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Évitons le crash économique: Recovery Task Force for Tunisia

Dans son dernier paragraphe, le communiqué de l’agence de notation Moody’s a averti les pouvoirs publics tunisiens du risque d’une autre révision à la baisse de la cote de crédit du pays… pour la plonger vers les crans C, note réservée aux pays devenus insolvables. Pour sortir de cette trajectoire et terrible destinée, je propose la mise en place d’une Recovery Task Force for Tunisia (RTFT) avec un mandat, une composition et un échéancier. De quoi s’agit-il?

Par Samir Trabelsi, Ph.D., CPA

Ma proposition consiste à donner suite aux urgentes réformes économiques, fiscales et monétaires qui tardent à venir. Faute de réformes courageuses et innovantes, la Tunisie va sombrer encore profondément dans la crise, avec une dette qui explose, un État qui vit au-dessus de ses moyens. Avec une gouvernance erratique dévastatrice pour l’économie et pour l’investissement.

Moody’s ne mâche pas ses mots. Le Fonds monétaire international (FMI) tient le même discours… et tous les partenaires internationaux recommandent la mise en œuvre de ces réformes et l’apaisement des tensions politiques qui paralysent la prise de décision et le fonctionnement normal des institutions.

Faute quoi, et comme mentionnée dans l’avant-dernier paragraphe du rapport de Moody’s, la perspective négative ne peut que s’amplifier, rendant improbable le rehaussement de la notation.

Un nouveau rabaissement sera fatal pour la Tunisie

Les perspectives seraient probablement modifiées pour se stabiliser si Moody’s concluait avec suffisamment de confiance que la Tunisie a commencé et de façon conséquente la mise en œuvre des réformes fiscales, économiques et du secteur public. Cela peut redonner de l’espoir et de la confiance dans la capacité de la Tunisie à accéder aux financements officiels et des marchés financiers pour faire face à ses paiements à venir dans le cadre du service de la dette au cours des prochaines années à des coûts abordables ce qui est de nature à maintenir la notation a B3.

Il est évident que les dirigeants tunisiens se sont habitués à cette déroute de la cote de confiance de la Tunisie : Moody’s rabaisse la note pour la huitième fois en 10 ans. Qu’ont fait ces dirigeants suite à chacune de ces 8 dégradations? ABSOLUMENT RIEN, que du bavardage et que du sensationnel médiatique qui n’a rien à voir avec les vertus des arguments scientifiques objectifs.

Aucun des 10 chefs de gouvernements n’a pris des positions engageantes pour agir sur les causes engendrant ces décotes, aucun n’a été capable de convaincre en menant des réformes structurantes et porteuses de confiance pour les bailleurs de fonds. Il est vraiment inacceptable que personne n’ait présenté publiquement un programme pour éviter autre un rabaissement qui sera fatal pour la Tunisie.

Pour éviter le déluge qui menace la Tunisie, je propose la mise en place d’une Task Force for Tunisia (RTFT) composée des spécialistes compétents et indépendants et qui ont pour unique mandat d’éviter le déluge en développant et en implémentant un programme détaillé pour que le B3 avec perspectives négatives devienne, espérons bien, un B3 avec perspectives stables.

Attributs des membres de la RTFT: efficacité, compétence et indépendance

Une task force est un groupe de travail souple et de dimension suffisamment réduite pour permettre un réel travail collectif et la production des résultats escomptés dans des délais raisonnables.

Les membres de cette Recovery Task Force for Tunisia (RTFT) doivent avoir une compétence démontrée dans les domaines qui ont un lien avec les facteurs dont dépende la notation souveraine et qui sont (1) la relance du produit intérieur brut (PIB) par habitant, (2) l’apaisement politique et institutionnel, (3) la réduction du niveau d’endettement, (4) le respect par l’État de ses obligations financières au cours des années passées, (5) l’arbitrage entre ciblage de l’inflation et relance de l’investissement, et (6) la modernisation de l’État par une gouvernance axée sur les résultats.

Deux critères supplémentaires sont pris en compte par les agences: (7) les réserves de change, (8) les envois de fonds effectués par les travailleurs immigrés vers leur pays d’origine, (9) ESG (Environnement (E), responsabilité sociale (S), gouvernance (G)).

Les membres d’une task force doivent disposer de la totale indépendance intellectuelle leur conférant la capacité de prendre des décisions à l’abri de toute influence externe pouvant intervenir dans l’évaluation de 9 raisons pouvant mener à une autre décote.

Cette task force doit avoir la sagesse requise pour bien fonctionner et pour ébaucher un plan opérationnel avec des recommandations qui visent à changer les perspectives de négatives à stables. Afin de gagner la confiance du public, il est de la responsabilité des membres de cette RTFT de préserver leur indépendance et une certaine notoriété pour mériter le respect de la société civile, des entreprises, des groupes de pression et des organismes à but non lucratif.

Par son indépendance et sa compétence, la task force doit pouvoir composer avec les vétos éventuels pouvant venir des syndicats et de certains partis politiques. L’arbitrage doit se faire dans le court terme et ne doit pas s’éterniser pour faire avorter la dernière chance pour sauver ce qui peut être sauvé.

Mission de la Recovery Task Force for Tunisia

Sur le court terme, la RTFT aura pour mandat de redresser la barre pour la notation deviendra B3 avec perspectives stables. Elle doit travailler sur les éléments suivants.

En matière de finances publiques, politique publique et politique monétaire, la RTFT aura à développer des solutions pour réduire la masse salariale de la fonction publique (parmi les plus élevées au monde) et améliorer la qualité du service public, à optimiser les subventions énergétiques, et à promouvoir les dépenses de santé et d’investissement.

Elle doit aussi dans les plus brefs délais proposer une réforme fiscale où le régime réel est la norme pour non seulement améliorer les recettes fiscales mais aussi assurer l’équité fiscale.

La RTFT aura à développer un programme pour simplifier les procédures administratives et les obstacles réglementaires. Finalement, développer des mécanismes pour lutter efficacement contre la corruption et le blanchiment d’argent afin d’améliorer le classement de la Tunisie dans le classement de Transparence internationale ainsi que dans le classement de la Banque mondiale en matière de gouvernance.

En ce qui concerne les entreprises publiques, la RTFT aura pour mission l’élaboration d’un plan de restructurations des entreprises publiques, assorti d’un programme de réforme participative de la gouvernance et de la communication financière des entreprises publiques en se basant sur les pratiques internationales.

Enfin, en matière de ESG (environnement, responsabilité sociale, et gouvernance) : dans son exposé de motif pour le choix des perspectives négatives, Moody’s a mentionné que le profil de crédit de la Tunisie est exposé aux risques environnementaux de l’élévation du niveau de la mer dans les zones côtières et l’augmentation des risques liés à l’eau et à la désertification dans les régions internes. Les régions côtières représentent 80% de la production totale, ce qui entraîne un risque environnemental très élevé. Les changements climatiques, les précipitations irrégulières et les sécheresses sévères constituent des menaces pour le secteur agricole tunisien, qui représente plus de 15% de l’emploi total.

La Tunisie est aussi exposée à des risques sociaux élevés et qui sont principalement liés à la rigidité des marchés du travail et à la faible création d’emplois qui se traduisent par des taux de chômage élevés, y compris parmi les jeunes diplômés. Ces contraintes rendent difficile l’absorption de la main-d’œuvre instruite, ce qui contribue chaque année à des flux migratoires nets négatifs et à la fuite des cerveaux. En outre, les tensions sociales récurrentes freinent l’environnement des affaires et réduisent les incitations à l’investissement étranger.

Bien que la gouvernance issue d’une gestion des affaires publiques axée sur la recherche d’un consensus ait joué un rôle déterminant dans la réussite de la transition démocratique, cela a ralenti le processus de prise de décision politique. En outre, les tensions sociales récurrentes inhibent l’efficacité des politiques en réduisant le consensus entre les différentes parties prenantes pour les réformes urgentes. La RTFT aura pour tâche de développer un plan d’action pour améliorer la cote de confiance de la Tunisie sur ces trois dimensions.

La Tunisie doit vraiment agir avant que ça soit trop tard. Le 20 juillet 2011, l’Allemand Horst Reichenbachle a été à la tête de la Task Force for Greece, un groupe de travail lancé par l’Union européenne (UE) avec pour mandat d’identifier et de coordonner l’assistance technique pour que la Grèce s’engage dans son programme d’ajustement économique. En septembre 2011, les ministères grecs ont ouvert leurs portes à des dizaines de fonctionnaires européens qui ont offert leur expertise au sujet de la privatisation, des réformes fiscales, en matière de financement des PME… et de l’investissement. Un évènement historique que les Grecs ont trouvé comme une pratique humiliante pour leur souveraineté.

La Tunisie doit relever le défi et elle dispose des ressources humaines pour identifier les réformes requises … pour permettre à la Tunisie de sortir de l’impasse économique où elle se trouve actuellement, éviter le scénario grec, et préserver sa souveraineté.

* Brock University, Canada.

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