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Ramadan, une machine à remonter le temps ?

Dans quelques jours, toutes affaires cessantes, l’humanité musulmane va se mettre à traquer le récalcitrant croissant de ramadan.

En voiture ! La date du retour au 21e siècle sera fixée ultérieurement d’une manière approximative par l’élite de nos illustres ulémas que la Nasa nous envie, et à leur tête l’ancien ministre des Affaires religieuses, ravalé au rang de mufti. Pour cela, ils n’hésiteront pas à passer la nuit agglutinés sur un monticule en rase campagne, accroupis sur le dôme d’un marabout ou perchés sur le toit d’un immeuble en plein centre-ville, tentant de décrocher un quartier de lune !

Par Faïçal Abroug *

Par ailleurs, mesdames et messieurs n’ayez aucune crainte, la présence discrète des barbus, fraîchement sortis du bois, aux gueules patibulaires et aux compétences avérées, mondialement reconnues et même parrainées, en matière des droits de l’homme et particulièrement ceux de la femme, ne doit pas vous inquiéter.

Grassement indemnisés pour amour du pays par une instance au-dessus de tout soupçon, ils sont là pour assurer votre sécurité et veiller à votre confort aussi bien spirituel que matériel tout le long de ce périple hors de l’espace et du temps, à destination du 1er siècle de l’hégire. Est-il besoin de préciser que c’est là un grand acquis de la révolution du jasmin dont les relents doivent vous chatouiller les narines depuis une décennie ?

Cachez-moi ce calendrier, il ne sert à rien !

Votre attention s’il vous plaît, le décollage est imminent. Attachez vos ceintures. Nooon monsieur, je ne parle pas de ceinture de chasteté. Calmez-vous… et laissez votre voisine tranquille ! Et vous mademoiselle, réajustez votre foulard et cachez-moi ce calendrier, il ne sert à rien. Bref, et je ne le répéterai pas deux fois comme le stipulent les principes les plus élémentaires de la démocratie : tous les passagers, ceux qui sont concernés et ceux qui ne le sont pas, sont donc gentiment conviés à arrêter leur montre et à fermer leurs gueules… pardon, leurs portables.

Toutefois, mesdames et messieurs, pour alléger votre souffrance, le voyage sera agrémenté par des feuilletons bâclés pour l’occasion qui ressassent la même rengaine, mais parfois toxiques quand ils cherchent à réécrire d’une manière insidieuse l’histoire de la Tunisie pour déconstruire le «récit national»; des sitcoms débiles d’un burlesque anachronique et d’un comique infantile, sauf exception; des caméras cachées douteuses; des jeux aux gains halal où les participants sont tournés en dérision, des émissions culinaires, sujet de disputes conjugales; des variétés, véritables hystéries collectives, d’une grande qualité artistique, qui n’ont rien à envier à une banale fête de mariage où tout le monde se déhanche au rythme d’un cocktail de chansons puisées dans le patrimoine populaire et prétendument renouvelées et modernisées.

Une buanderie publique où le linge sale est déballé sans retenue

Et enfin, des talk-shows où des chroniqueurs, des intellectuels rompus aux inepties les plus pertinentes ne se priveront pas de vous dicter, avec suffisance et quel que soit le sujet abordé, ce qu’il faut penser, dire ou faire; où des rappeurs aux biceps tatoués à l’effigie d’un boxeur, de leurs dulcinées ou de leurs génitrices, échangent, avec beaucoup d’élégance, des amabilités; où de ravissantes actrices, chanteuses et autres danseuses, dont certaines sont reconverties par la magie de l’audimat en chroniqueuses, grossièrement refaites à coup de silicone, de botox et de chirurgie esthétique au point que la nouvelle créature rappelle vaguement l’originale, apportent une petite touche personnelle de projet raté de vedettes internationales en mal de reconnaissance, au délire collectif, sans vous épargner le moindre détail de leur vie intime: une véritable buanderie publique où le linge sale est déballé sans aucune retenue. Le tout concocté par un apprenti sorcier, lauréat d’une grande école d’animation qui n’a pas encore ouvert ses portes, le maître des marmites, payé pour touiller la m…mixture et la servir sur un plateau à un public élevé à la médiocrité et au voyeurisme.

Sans oublier bien entendu, et c’est là tout le charme de la croisière, les chants liturgiques, les rediffusions des feuilletons historiques sur l’exode du prophète et de ses compagnons, avec un bonus le jour de l’Aïd, vous l’avez deviné, le film ‘‘Errissala’’ (1) et l’incontournable ‘‘El Hadhra’’ (2), le tout émaillé d’un spot qui tombe comme un cheveu sur la soupe, vous souhaitant un «Ramadhane Karim», formule aux origines équivoques, importée après «la révolution».

Nos amis de la rive gauche, subitement atteints d’une forte piété ramadanesque

Pour celles et ceux qui sont subitement atteints d’une forte piété ramadanesque, y compris nos amis de la rive gauche qui nous ont rejoints récemment, touchés par la grâce tardivement, mais mieux vaut tard que jamais, les temps étant durs, ils peuvent toujours se rabattre sur la quantité pléthorique d’émissions religieuses pour se délecter d’un discours théologique agréable et innovant depuis la nuit des temps, mariné dans une sauce pseudo scientifique, et poser, «point de pudeur en religion» (3), les questions qui vous angoissent, du genre «Si je me gratte les… amygdales est-ce que mon jeûne est toujours valide ?» Nos éminents experts en matière d’amygdales se feront un plaisir de vous les gonfler.

Quant à la question philosophique qui tracasse les musulmans depuis mille quatre cents ans à savoir «l’appareil génital des houris au paradis est-il identique à celui des terriennes et quelles en seraient les retombées sur les troubles de l’érection et par ricochet sur l’évolution génétique de l’espèce humaine?», il faut reconnaître que la question n’est pas encore tranchée, et pour cause : les savants occidentaux, des mécréants impénitents comme le soulignent avec pertinence nos imams dans leurs prêches sur la tolérance en islam, sont préoccupés par des questions futiles concernant l’avenir de l’homme et celui de la planète. Il vous reste, bien entendu, une option majeure : dormir. En attendant, tout le monde à table !

* Enseignant.

Notes:
1- Version en arabe du film «The Messenger» de Mustapha Akkad (1976), retraçant la genèse de l’islam.
2- Spectacle populaire (culte) de cérémonials religieux ancestraux et de chants liturgiques revisités et théâtralisés.
3- Expression arabe consacrée (لا حياء في الدّين) qui veut dire que l’on peut poser les questions les plus intimes sans aucune gêne, utilisée souvent comme prétexte aux fatwas les plus saugrenues en matière de sexualité.

NB. Peut-on sortir indemne de la rencontre à la fois intellectuelle et charnelle avec les textes de Rabelais, de Molière, de Montesquieu, de Voltaire, pour ne citer -toute proportion gardée- que ceux-là, rencontre dont toute une génération est redevable à l’école de la république et aux choix pédagogiques et culturels qui l’avaient fondée au lendemain de l’indépendance ?

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