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Covid-19 : L’action humanitaire à l’épreuve de la bureaucratie

Dans cette crise pénible de la pandémie de la Covid-19, le corps soignant tunisien a souffert le martyre : manque de moyens, insuffisance de ressources humaines, impuissance devant des patients qu’on ne pouvait pas aider… Pourtant, la bureaucratie a rendu la vie difficile à tous ceux et celles, notamment dans la diaspora tunisienne, qui ont voulu venir en aide à leurs concitoyens dans le pays.

Par Kaissar Sassi *

J’ai préféré ne pas m’exprimer à chaud concernant l’information diffusée par le Conseil de l’ordre des médecins (CNOM) au sujet des concentrateurs d’oxygène. Cependant, je vais me permettre d’ouvrir une petite parenthèse aujourd’hui et de vous dévoiler la face cachée du travail humanitaire en Tunisie étant moi-même l’un des coordinateurs de ces actions.

Depuis le début de la crise de la Covid-9, les associations Tunisiens des deux rives, Assen-Soutien aux enfants et Médecins tunisiens dans le monde ont été un vrai levier dans la concrétisation et le développement des actions humanitaires pour venir en aide à notre pays. Nous avons mené un travail colossal bénévolement et volontairement. En une année, nous avons initié des dizaines d’actions; nous avons partagé activement notre expertise avec les associations amies; nous avons dépassé les 200.000 euros de dons et chaque euro a été orienté objectivement et pertinemment pour un hôpital tunisien.

Les actions humanitaires menées par la diaspora tunisienne

Respirateurs, Optiflow, CPAP de Boussignac, concentrateurs d’oxygène, matériels de protections…, nous étions toujours initiateurs de partage de notre expérience sur le volet logistique, à faire les portes-à-portes pour récolter l’argent, à orienter les actions selon le besoin réel et à passer des heures au téléphone et sur le terrain pour établir l’état des lieux dans nos structures sanitaires. Ce n’est pas évident; ce n’est pas aussi simple que vous le pensez, mais nous avons su apporter une vraie pertinence aux actions humanitaires menées par la diaspora tunisienne et c’est notre obligation.

En une année, nous avons participé directement ou indirectement à l’achat de 100 Optiflow, 2000 CPAP de Boussignac, des centaines de kilos de matériels de protections et récemment, nous avons mené notre dernière action : l’achat de 104 concentrateurs d’oxygène pour couvrir tout le territoire tunisien. Ce n’était pas évident de trouver ces 100 concentrateurs, les payer et les ramener au pays dans un contexte de pénurie et de fermeture des frontières. Et grâce à la persévérance et le talent de nos jeunes membres, nous avons réussi en un temps record à mener à terme ce projet.

La Tunisie d’hier ne veut toujours pas qu’on aide la Tunisie d’aujourd’hui

Cela dit, laissez-moi partager avec vous, pour la première fois, les dessous de cette belle solidarité : le stress, le chantage, la pression, le regret, la déception, la révolte, oui ce sont les sentiments que nous vous cachions.

Nous avons toujours préféré vous montrer le bon côté des choses, mais derrière tout ça, il y a eu des nuits d’insomnie, des discussions tendues, des heures de négociation et des personnes qui ne respectaient pas leurs engagements. Retenez bien cette phrase qui résume pour moi les problèmes de notre pays : la Tunisie d’hier ne veut toujours pas qu’on aide la Tunisie d’aujourd’hui. Le «système» arrive à vous mettre des bâtons dans les roues coûte que coûte. Des bâtons que même les hauts dirigeants sont dans l’incapacité d’empêcher.

Je vous cite deux exemples rapidement et je tourne la page de cet incident. Premier exemple : en Tunisie, vous n’avez pas le droit de faire un don direct de l’étranger à l’hôpital de votre choix. On vous prive du plaisir d’aider; à titre d’exemple, l’hôpital de votre naissance. Vous êtes dans l’obligation de faire le don au ministère et c’est à lui de décider par la suite de sa destination. Deuxième exemple, le plus triste pour moi : on ne vous facilite pas la tâche, on vous la complique ! Pour envoyer les Optiflows en novembre dernier, en pleine crise épidémique quand les patients ne trouvaient pas de lits en réanimation, Tunisair nous a obligé à payer 800 euros. Oui, nous avons payé Tunisair 800 euros pour qu’elle accepte de transporter des dons destinés aux hôpitaux tunisiens. C’était pareil pour le transport des concentrateurs d’oxygène.

La bureaucratie complique la vie à ceux qui souhaitent aider leur pays

Ce malentendu avec le CNOM n’est qu’une goutte dans l’océan des difficultés que nous rencontrons chaque fois que nous organisons une action pour aider notre pays. Une bureaucratie qui est faite pour compliquer la vie à ceux et celles qui souhaitent apporter le plus à ce pays. Une bureaucratie étouffante, pénible, ancienne, devenue le majeur frein à la prospérité de notre pays. Ces concentrateurs, devenus rapidement un sujet de buzz; nous étions obligés de les donner à des organismes, car nous n’avions pas le droit de les adresser directement aux hôpitaux. Le malentendu est résolu, y a plus de raison pour ajouter l’huile sur le feu. Ces concentrateurs sont désormais à la disposition des citoyens en nécessité, c’est pour ces citoyens que les donateurs se sont mobilisés.

Néanmoins, je dois souligner aussi que le corps soignant tunisien a souffert le martyre dans cette crise pénible. Manque de moyens, manque de ressources humaines, impuissance devant des patients qu’on ne pouvait pas aider, j’ai bien peur des dégâts psychologiques qui découlerait de cette année très difficile dans l’histoire de la Tunisie Je peux vous le confirmer, j’ai reçu moi-même des messages de détresse.

À l’image de plusieurs citoyens, les médecins et les paramédicaux ont peiné aussi à trouver des places en réanimation quand ils tombaient malades. Ils ont aussi peiné à trouver des concentrateurs d’oxygène pour eux et pour leurs proches aussi. Nous ne pouvons que saluer les sacrifices de ce corps qui mérite notre total respect. Ce corps qui a donné un exemple de patriotisme, d’altruisme et de solidarité.

Je redoute la vague des dégâts psychologiques qui découlera de cette année très difficile dans l’histoire de la Tunisie.

* Anesthésiste, réanimateur.

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