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Pour une réhabilitation médiatique de la Tunisie

Le bourreau tunisien, Jamel Gorchene, et la victime française Stéphanie Montfermé.

L’objectivité implique la neutralité de jugement. Cependant, alimenter le débat gravitant autour du terrorisme en le dépassionnant est une tâche d’une incroyable difficulté. C’est un Tunisien de 36 ans qui a assassiné Stéphanie Montfermé, 49 ans, employée de police non armée, poignardée à la gorge et à l’abdomen, à l’entrée du commissariat de police de Rambouillet, en France. Aussitôt les yeux se sont fixés vers le pays du coupable. Logiquement. Néanmoins, des failles transparaissent quant à la perception de cette nation maghrébine. Car il devrait s’agir en priorité d’émettre un jugement vis-à-vis d’un individu fanatisé. Et non d’un pays tout entier.

Par Jean-Guillaume Lozato *

Rambouillet. Petite localité tranquille de la Grande Couronne parisienne. Ville sans histoire avec ses pavillons proprets, certains ont des allures de cottages. Jamel Gorchene y résidait et a décidé prendre tout le monde de vitesse en s’en allant égorger une fonctionnaire déléguée aux tâches administratives du poste de Police local. Avec «Allahou Akbar» comme cri de guerre. Otant la vie à une policière à l’aube de la cinquantaine, mariée, deux enfants. Dans le feu de l’action, un collègue de la défunte a abattu l’homme radicalisé. Quelqu’un présent depuis 2009 sur le sol français. Le profil de l’assaillant et son acte nous interrogent tous.

Des précédents

Toutefois, la nationalité tunisienne ne semble pas avoir surpris l’opinion générale européenne, française surtout. Il est vrai que Mohamed Lahouaiej Bouhlel et Ibrahim Issaoui, deux autres terroristes tunisiens, avaient percé les brèches niçoises ces deux dernières années.

Peu encouragée par les événements, il est vrai, il semblerait que la France se méfie de la Tunisie révolutionnaire. Pourtant, bien d’autres pays ont étoffé les contingents djihadistes vers le Vieux Continent. Que ce soit le Maroc et ses antennes relais belges à Molenbeek. Que ce soit l’Algérie à une époque, la Tchétchénie vers la France. Le Kirghizistan s’est invité aussi dans les statistiques, tout comme le Pakistan. Sans compter les crimes commis par les Français convertis ou par les Français d’origine algérienne ou subsaharienne (les dénommés Kaouachi et Koulibaly si l’on se réfère aux épisodes de ‘‘Charlie Hebdo’’ ainsi que de l’Hyper Cacher).Mais qu’en est-il de la Tunisie si l’on se poste sur les deux rives méditerranéennes?

Le cas tunisien

Depuis le départ de Ben Ali, en 2011, croyance et bigoterie s’affichent indubitablement plus qu’auparavant. Certains prêcheurs ont osé des rhétoriques inimaginables sous l’ère Ben Ali. Par contre la Libye offre un panorama sociétal beaucoup plus fanatisé, où Daêch fait la pluie et le beau temps sur cet immense champ de ruines qu’est devenue la terre anciennement tenue par Kadhafi. Une vraie Syrie de l’Afrique du Nord.

Tandis que l’Algérie se cherche tout en mettant en place des constructions pharaoniques de mosquées, la Tunisie doute.

Pendant que le Maroc voit le voile islamique se propager à toutes ses couches de population comme le montre le spectacle de la rue ou des marchés, accompagné par des appels à la prière au volume devenu assourdissant comparé à celui en vigueur au pays du jasmin, la Tunisie réfléchit.

Alors que la Tunisie apprend la pérennisation de la démocratie, l’Europe pense. Et interprète comme elle peut les anomalies d’un pays dont les jeunes cherchent massivement l’exil. Et sont par conséquent surreprésentés dans toutes les catégories de migrants, offrant une visibilité accrue en actes honnêtes comme en acte malhonnêtes. Certains étant bercés par les imprécations d’Ennahdha, parti islamiste au pouvoir depuis 2011, dont le leader, Rached Ghannouchi, avait résidé longtemps en Angleterre, où signalons-le existe le Londonistan, qui n’a pas son équivalent en Tunisie.

Les médias occidentaux

Les réactions à chaud, les idées toutes faites, les émotions ont transformé le paysage informatif en émission de variété. La Tunisie en paye les conséquences avec les médias francophones. Des organes d’information beaucoup plus diplomates lorsqu’il s’agit de l’Algérie (où un guide originaire des Alpes Maritimes avait été égorgé) et du Maroc (une touriste norvégienne y a été décapitée), ou du Qatar, l’un des bailleurs de fonds des mouvements djihadistes, mais grand investisseur en France et au Royaume-Uni…

C’est pourtant la Tunisie qui avait montré le chemin vers la démocratie avec le Printemps arabe. Une contrée visitée par Emmanuel Macron, président d’un Etat où Habib Bourguiba avait séjourné et où la Tunisie a ou a eu de dignes représentants en politique (Sonia Krimi), parmi des analystes (Béligh Nabli, auteur de ‘‘Comprendre le Monde arabe’’), au niveau du journalisme (Sonia Mabrouk sur CNews), de la théologie (l’imam Chelgoumi, réputé comme modéré).

La Tunisie reconnaît le crime commis par un de ses citoyens mais un cri d’alarme est à lancer à partir de deux côtés. Du côté tunisien, où la vigilance doit continuer à accompagner l’autocritique. Du côté occidental où on doit chercher à comprendre les origines : celles du problème avant de tenir compte des origines de l’individu incriminé. En ne perdant pas de vue que la plupart des croyants – les vrais – n’aspirent qu’à la paix, surtout pendant le ramadan.

En attendant…

Pour le moment adressons toute l’expression de notre compassion à la représentante des forces de l’ordre françaises, tuée dans l’exercice honnête de ses fonctions. C’est le principal.

Pour veiller à ne pas salir sa mémoire, veillons à empêcher la récupération politico-médiatique sur la scène hexagonale d’un acte barbare dont l’auteur s’était apparemment radicalisé davantage dans son pays d’accueil que dans son pays d’origine.

Pour cela prenons conscience que la Tunisie surfe sur la crête de la compromission, à l’image des deux premières années suivant la révolution où l’on avait pu assister dans le même temps à la montée de l’islamisme et au gonflement du chiffre d’affaires du brasseur Celtia. Bien qu’offrant la facilité de lecture d’un système de gouvernement monocaméral, le pays repose sur un socle institutionnel fragilisé. Mais la Tunisie est encore trop convalescente pour se défendre sur la scène médiatique hors de ses eaux territoriales. Et répondre aux journalistes et politiciens français qu’une partie de la menace terroriste en territoire bleu-blanc-rouge est de nature endogène.

Faire triompher l’objectivité est une forme de justice. Et la justice commencera en évitant d’instrumentaliser le décès de Stéphanie Monfermé. Puis en cherchant la concertation, en prenant en compte les signaux révélés par les services tunisiens, pour ne pas commettre le même type d’erreur que les Etats-Unis n’ayant pas écouté les mises en garde de Kadhafi à propos d’un certain Ben Laden…

* Universitaire italien installé en France.

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