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Tunisie : Kaïs Saïed et la revendication populaire de la 3e république

Hier soir, Kaïs Saïed rejoint les jeunes révoltés à l’avenue Habib Bourguiba à Tunis.

En annonçant, hier soir, dimanche 25 juillet 2021, l’activation de l’article 80 de la Constitution, le président de la république Kaïs Saïed semble avoir reçu, cinq sur cinq, le message envoyé par le peuple et notamment les jeunes, lors des manifestations éclatées quelques heures auparavant dans la plupart des villes du pays, l’appelant à dissoudre l’Assemblée, à limoger le chef du gouvernement et à mettre en route les procédures permettant de réformer le système politique et de passer à la «troisième république», la deuxième ayant reconduit et aggravé les tares de la première.

Par Raouf Chatty *

Les manifestations qui se sont déroulées le 25 juillet 2021 aux environs de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) au Bardo, à Tunis, et dans plusieurs autres villes du pays, malgré un fort quadrillage policier et une chaleur suffocante, expriment de manière franche et claire le ras-le-bol général de larges franges d’une population fatiguée par ses conditions de vie devenues insupportables, très en colère contre toute la classe politique post-janvier 2011, et plus que jamais résolue à reprendre ses destinées en mains et à en finir avec la «deuxième république» née avec la Constitution de 2014 et ses initiateurs.

Organisées le jour de la commémoration de l’abolition du régime monarchique et de la fondation de la première république et du régime républicain en Tunisie, le 25 juillet 1957, au terme de sacrifices énormes consentis par le peuple durant des centaines d’années, ces manifestations expriment une volonté franche du peuple de reprendre sa souveraineté et de se débarrasser du système politique fondé dans le cadre de la «deuxième république» inaugurée le 14 janvier 2011 après l’effondrement de l’ancien régime, et consacrée par la Constitution de janvier 2014 sous l’emprise du parti islamiste Ennahdha et ses alliés.

Le décès politique de la «deuxième république»

Ces manifestations ont symboliquement acté le décès politique de la «deuxième république» en Tunisie, au terme de dix ans d’instabilité, de gabegie, de crise politique sans fin, de régression dans tous les domaines et de dégradation sensible du statut de l’Etat et de la société tunisienne sur le plan régional et international. Cette situation calamiteuse à été aggravée par une gestion chaotique par les pouvoirs publics de la pandémie du Covid-19 sur fond de conflits politiques sans fin au sommet de l’Etat, entre d’une part, le président de la république et d’autre part le président du parlement, Rached Ghannouchi, qui est également le président du parti islamiste Ennahdha et sa marionnette, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, lancés tous dans une lutte effrénée pour rester le plus longtemps possible au pouvoir… au détriment du bon sens et des intérêts du peuple.

Devenant très angoissante pour son environnement régional et international, la situation sanitaire très grave en Tunisie avec un bilan catastrophique de 18 400 décès au 24 juillet 2021 a mis la Tunisie au centre des préoccupations des autorités politiques et sanitaires internationales et en particulier de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Bref, la Tunisie devenant un pays sous surveillance sanitaire internationale… Intelligent, le peuple Tunisien sait prendre la mesure de la situation et ne se laissera pas manipuler. Ces manifestations populaires qui témoignent du pouvoir grandissant de la rue sont surtout un message clair envoyé à toute la classe politique, sans exception. Et c’est le président Saïed qui semble en avoir le mieux saisi la portée. Et y avoir réagi avec célérité.

Si elles visent en particulier les ténors politiques, essentiellement le parti islamiste qui détient depuis dix ans la réalité du pouvoir, accusé d’incompétence et de prédation au détriment des intérêts du peuple, ces manifestations n’épargnent pas les autres composants de la scène politique post-janvier 2011, tous sans exception, qui ne peuvent aujourd’hui prétendre qu’ils ne sont aucunement responsables des malheurs endurés par le pays durant ces dix derrières années.

Si le peuple en colère s’en est pris violemment, lors de ces manifestations, aux locaux du parti islamiste dans certaines villes du pays, fustigé ses chefs et dénoncé vivement leur arrogance, cela ne signifie pas que les autres partis seront à l’avenir épargnés.

S’aligner sur les attentes d’un peuple en colère

Pour ce peuple en colère, toute la classe politique post-janvier 2011 est responsable des désastres enregistrés dans le pays durant ces dix derrières années; et toutes ses figures doivent répondre de leurs actes, c’est-à-dire celles qui ont occupé d’une manière ou d’une autre la scène politique et qui ont conduit la Tunisie dans l’abîme où elle se trouve aujourd’hui et n’ont pas été à être à la hauteur des enjeux et des attentes de la nation.

Les choses aujourd’hui sont claires. Pour toute la classe politique, deux choix s’offrent pour éviter le pire, et cela est surtout valable pour le parti islamiste: 1-soit faire face avec sagesse à la situation en acceptant de faire publiquement son mea-culpa, reconnaître ses erreurs, accepter sans tarder une révision en profondeur de la Constitution, comme le propose le président Saïed, pour consacrer de façon claire le caractère civil de l’Etat, une révision du système électoral, et céder le pouvoir pour un gouvernement de technocrates chargé d’organiser des élections anticipées présidentielle et législative au plus tard en janvier 2022 ouvrant ainsi la porte à la fondation de la «troisième république» avec l’élaboration par une commission d’experts d’une nouvelle Constitution scellant la naissance d’un nouveau régime politique; 2- soit faire courir au pays le risque majeur et fort vraisemblable d’un chaos dont il sera le plus grand perdant, en plus du pays.

* Ancien ambassadeur.

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