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L’Occident ne dictera plus aux Tunisiens ce qui convient à leur bonheur

Le président Saïed recevant des représentants de la société civile, le 27 juillet 2021.

Cet article a été écrit en réponse à ami marocain de l’auteur qui lui a adressé un article évoquant les risques de dérive vers la dictature des révolutions pour la démocratie. Cet ami a demandé si les décisions du président Saied d’activer l’article 80 de la Constitution tunisienne ne vont pas conduire la Tunisie vers l’inconnu. C’est avec lui et l’ensemble des lecteurs de Kapitalis que l’ancien fonctionnaire international partage sa réponse ci-dessous.

Par Lotfi Chakroun *

Cher ami, permets-moi de nuancer certaines données.

D’abord, les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir non parce qu’ils étaient majoritaires, ils ne l’ont jamais été, car ils ont souvent recueilli entre 20 et 25% des suffrages exprimés pour un taux d’abstention avoisinant les 60%. Ils sont arrivés au pouvoir, tout simplement, grâce à l’appui des Occidentaux, ces mêmes Occidentaux qu’un d’un côté, crient au terrorisme islamique et de l’autre côté n’hésitent pas à appuyer les Frères musulmans en sous-main. Quel cynisme !

Cette grosse mascarade qu’on appelle printemps arabe

J’imagine que les Occidentaux pensent que si les Frères musulmans veulent museler les femmes et rêvent d’un système archaïque de califat, c’est après tout des musulmans qui vont payer le prix de ces dérisions. L’essentiel pour eux c’est de continuer à piller les ressources de la région, pétrole et gaz en tête… et à envahir avec leurs monnaies et leurs marchandises les pays de la périphérie, dont les nôtres.

À eux la recherche scientifique, les voyages sur mars, les théories physiques de pointe pour comprendre cet univers, l’invention de nouvelles technologies. À nous le voile, le niqab, les barbes hirsutes et l’étude des sciences qui cherchent à expliquer si en droit islamique une femme peut allaiter un adulte, à théoriser sur les bienfaits en se réveillant le matin de mettre par terre son pied droit ou son pied gauche, à spéculer sur l’apparition des «alamet essaa» (علامات الساعة) annonçant l’Apocalypse, à prouver que le Coran a prédit et expliqué tout y compris l’émergence des épidémies, y compris celle du du coronavirus, des moyens pour les soigner, de l’existence de mondes parallèles (renvoi à la théorie des cordes), de la vitesse de la lumière, de la relativité d’Einstein et j’en passe…
Bref, chacun son domaine: les sciences exactes, les sciences sociales, etc., pour le peuple de Jésus Oummat Issa (أمة عيسي); les «sciences» religieuses pour le peuple de Mohamed Oummat Mohamed (أمة محمد). À eux le paradis sur terre, à nous le paradis céleste, en attendant, on peut crever de faim. Hiérarchie des intérêts et division du travail obligent.

On espérait une révolution de l’intelligence, on a eu celle de la bêtise

La Tunisie a été considérée par les Occidentaux comme le laboratoire pour tester la démocratie dans cette mascarade qu’on appelle le printemps arabe. Dès 2012, j’ai écrit, dans l’une de mes publications, que dans les laboratoires 97% des cobayes meurent. J’ai pointé ce risque majeur et malgré tout je me suis laissé emporter par la vague du changement en priant dans mon for intérieur que notre histoire millénaire et l’intelligence de mon peuple nous éviteraient la guerre civile, la fragmentation et la disparition.

On a cru tous au changement, moi le premier. On s’attendait à voir une révolution de l’intelligence et on s’est retrouvé avec une révolution de la bêtise.

Nos filles sont parties faire «jihad nikah», la prostitution halal sur les fronts du jihad, et sont revenues avec des bambins orphelins sur les bras, souhaitons que le terrorisme n’est pas héréditaire. La Tunisie, qui était l’un des pays de la région les plus appréciés par les Occidentaux pour sa modernité, s’est retrouvée avec une légion de mercenaires terroristes, la plus nombreuse du monde rapportée au nombre d’habitants, utilisés par quelques salauds des pays du Golfe et avec l’appui du sultan de Constantinople pour détruire d’autres pays arabes tel que la Syrie. Le sultan ottoman facilite ce chaos car il cherche lui aussi à restaurer dans la région l’impérialisme ottoman.

Non, ce n’était pas une révolution !

Le système installé était verrouillé à la base et ne permettait aucune évolution. Les Tunisiens se sont retrouvés en train d’élire des personnes incompétentes qu’ils ne connaissaient pas car elles ont, pour la plupart, bénéficié de financement étrangers.

Une démocratie de mercenaires, d’escrocs et de corrompus

La Cour des comptes tunisiennes a pointé de graves irrégularités dans le financement des campagnes électorales qui auraient dû annuler l’élection de plusieurs élus dont ceux d’Ennahdha et de Qalb Tounes, les deux partis arrivés en tête des dernières législatives. Le cheikh Rached  Ghannouchi, président du parti islamiste, a incorporé les membres de son clan dans des postes de responsabilité alors que les Tunisiens s’étaient révoltés en raison de l’implication de la belle famille du dictateur Ben Ali dans les affaires publiques. Ennahdha n’a cessé de faire de la manipulation depuis qu’il est arrivé au pouvoir car la démocratie n’est qu’un emballage pour elle. Tout est fait pour que ceux qui ont été élus une fois le restent indéfiniment.

Est-ce cela la démocratie que cherchent à nous imposer ces chers Occidentaux? L’argent sale est partout. Les organes d’information sont orientés et corrompus par l’argent. La justice est devenue à la solde du parti islamiste et plusieurs députés corrompus échappent à la justice au vu et au su de tout le monde. C’est ça la Tunisie d’aujourd’hui ! Ce qu’a fait le président Saied était souhaité par la majorité silencieuse du pays qui a vu sa sécurité et son niveau de vie baisser chuter aux abysses.
Non, on ne veut pas de ce système politique qui prévaut aujourd’hui en Tunisie et qui n’est qu’un avatar de démocratie. La démocratie est fondée sur la bonne gouvernance, la responsabilisation, la transparence, le vrai Etat de droit, la liberté d’entreprendre et de créer en toute sécurité. Bref, les conditions prévalant au développement sain d’une nation. On s’est retrouvé avec un système verrouillé et une bande d’imbéciles au parlement en train de s’insulter à longueur de journée et d’insulter l’intelligence de la nation.

Les Occidentaux hypocrites et condescendants ne m’imposeront pas leurs vues

Tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge. Comment expliquer aujourd’hui que la Tunisie, qui est réputée pour la qualité de ses médecins et de leur niveau de formation, a toujours été le pays africain et arabe avec les meilleurs indicateurs sanitaires et sociaux se retrouve, aujourd’hui, avec les taux de vaccination et le nombre de morts et de contaminations par le Covid-19 les plus mauvais du continent africain et du monde arabe?

Je dis m… à tous ces politiciens qui ont détruit le pays. Et je reproche même au président Saied d’avoir tardé à agir. Il aurait dû renvoyer cette bande de traîtres depuis longtemps.

Enfin, je termine en te disant que la presse occidentale va, certainement, nous sortir les grandes déclarations sur les droits de l’homme et le respect de la démocratie, etc. Pour, moi les écrits de cette presse hypocrite et condescendante ne m’importe pas. Ce qui m’importe c’est la voix de mon peuple qui a parlé le 25 juillet et crié sa révolte contre ces médiocres et ces incompétents qu’on veut nous imposer comme une fatalité pour nous maintenir dans le sous-développement.

Je n’ai pas besoin, non plus, d’écouter les discours de Macron, de Merkel ou de Biden pour savoir si ce qui se passe dans mon pays est bon ou mauvais et si je vais bien ou mal. Je sais ce qui se passe dans mon pays. Chacun sait ce qu’il y a de mieux pour lui et pour son peuple.

* Ingénieur et économiste, ancien fonctionnaire des Nations Unies et de la Banque africaine de développement à la retraite, résidant à Montréal.

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