Accueil » Les femmes, victimes désignées de la violence politique en Tunisie

Les femmes, victimes désignées de la violence politique en Tunisie

Moussi agressée par Makhlouf sous la coupole de l’Assemblée. La justice n’a encore rien vu.

Alors que l’on célèbre, aujourd’hui, vendredi 13 août 2021, en Tunisie, la fête nationale de la femme, la scène des deux agressions de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), le 30 juin dernier, sous la coupole de l’Assemblée, au Bardo, et en présence de la ministre de la Femme, demeure riche en enseignements.

Par Meriem Bouchoucha *

Il est inutile de revenir sur la scène en elle-même car ce n’est qu’une expression de plus de la façon d’agir des extrémistes religieux d’une façon générale : réécoutez les aveux de la personne qui a commis les crimes de Bab Souika, en 1991, mineur à l’époque; rappelez-vous des tirs à la chevrotine contre les manifestants à Siliana par la police dirigée par l’islamiste Ali Larayedh; rappelez-vous des péripéties de l’école du terrorisme de Regueb où l’on viole des écoliers, au vu et au su de l’Etat; et j’en passe… L’agression physique est la façon la plus banale de discuter chez les adeptes d’Ennahdha.

Je parlerai du modus operandi des islamistes depuis 2011 et dont la scène du 30 juin dernier n’est qu’une illustration parmi d’autres. Leur organigramme est d’ailleurs constitué de voyous, de complices et de tartuffes.

Les voyous sont au pouvoir ou proches du pouvoir: Sahbi Smara, qui a agressé physiquement la députée Abir Moussi, Ahmed Ayed qui l’a arrosée avec un liquide, le plus probablement et heureusement ce n’était que de l’eau, et Seifeddine Makhlouf, sont d’une vulgarité inouïe, comme ils l’ont toujours montré. Ce dernier a fait son goujat dans un premier temps, puis l’a agressée physiquement, au vu et au su de tous.

Le premier est ancienne recrue de l’appareil du RCD, l’ancien parti au pouvoir sous la dictature de Ben Ali, chargé de faire la propagande pour la personne du président, le second un illustre inconnu et le troisième, avocat proche d’Ennahdha et fondateur d’Al-Karama, une coalition satellite du parti islamiste tunisien.

Dans chaque agression importante qui survient quand Ennahdha est politiquement dos au mur, celui-ci recourt à ce genre de gros bras au profil indéfini pour faire diversion.

Les premières années après la révolution, le groupe jihadiste Ansar Al-Charia et les fameuses Ligues de protection de la révolution, qui ont été dissoute entre-temps, ont joué ce rôle de para-chocs.

Ennahdha a des hommes de main qui sont chargés de faire ce que le parti islamiste s’interdit lui-même pour continuer à se présenter comme un parti civil, démocrate et pacifique. Ce qu’il n’a jamais vraiment été. Et ces malotrus sont chargés d’abord d’intimider, ensuite d’agresser et ils pourraient même tuer, le cas échéant, dans une totale impunité. Les extrémistes religieux qui ont assassiné Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, en 2013, ne sont-ils pas encore libres comme l’air ?

Souvenons-nous aussi de Lotfi Nagdh, coordinateur régional de Nidaa Tounes à Tataouine, qui a été lynché, en plein jour, en 2012, par des éléments membres d’Ennahdha, qui plus est, devant les caméras : la vidéo existe et tout le monde l’a vue. Le médecin légiste conclut à un arrêt cardiaque et les tueurs furent innocentés après quelques années de lentes et fastidieuses procédures. Pour noyer le poisson et faire diversion…

Pareillement, Abir Moussi a été violentée sous la coupole du Palais du Bardo devant les caméras, et c’est contre que la justice a engagé des poursuites, suite à une plainte déposée par Rached Ghannouchi. Cherchez l’erreur !

Les partisans du parti Ennahdha profitent toujours du même statut qu’ils avaient avant 2011, celui d’opprimés. Ils ont beau avoir eu le pouvoir et profité pendant dix ans des privilèges qui y sont liés… ce sont toujours eux les victimes.

Bien que la justice, après les dispositions constitutionnelles exceptionnelles annoncées par le président de la république Kaïs Saïed, le 25 juillet dernier, ait interdit à certains de quitter le territoire et mis d’autres sous résidence surveillée, en attendant l’issue des affaires judiciaires dont ils font encore l’objet, cette même justice n’a pas dit son mot sur la plus grave affaire que la Tunisie ait connu dans son histoire contemporaine, celle de l’appareil sécuritaire parallèle d’Ennahdha, qui, outre les assassinats politiques, était en charge du recrutement des jeunes pour les envoyer comme jihadistes en Libye, en Syrie et en Irak.

Il est peut-être encore tôt pour apporter un quelconque jugement sur l’utilité des mesures présidentielles et savoir si elles vont permettre d’assainir la situation générale dans le pays. On y reviendra après la nomination du prochain Premier ministre et l’annonce de la feuille de route pour la prochaine étape.

Les complices appartiennent en général à la famille dite progressiste, moderniste et centriste, qui joue le rôle de sas par lequel passent les islamistes pour parfaire leur comédie de parti civil. Ces politiques sont souvent soit d’anciens proches du régime Ben Ali qui traînent des casseroles et cherchent à se remettre en selle, soit des personnes qui ont composé avec les islamistes en pensant qu’ils allaient gouverner 50 ans et n’ont pas imaginé un instant que la société tunisienne allait leur montrer une telle résistance.

Trois noms ont brillé par leur mesquinerie, le 30 juin dernier, lors de l’agression de Mme Moussi.

Imen Zahouani, ministre de la Femme, son nom à côté de son poste est une oxymore en soi, qui croit que tous les silences sont grands et éloquents. Dans un immense acte de lâcheté, elle tourne la tête quand une femme se fait tabasser sous ses yeux. Deux mois après, elle est toujours ministre…

Le député Fayçal Tahri, haut perché et bien placé pour voir l’agression, n’a fait que dessiner un sourire narquois ou nerveux, je ne sais pas. Il est resté sans réaction à regarder la scène puis a terminé sa tâche sans broncher.

Samira Chaouachi, députée Qalb Tounes et vice-président de l’Assemblée, illustre faire-valoir, autrefois, de la dictature de Ben Ali, aujourd’hui, du fascisme d’Ennahdha. Elle continue les travaux sans aucune autre forme de procès. Elle est continuellement témoin de tous les dépassements d’Ennahdha et elle est devenue «la femme de main» du front islamiste.

Les tartuffes sont les alliés indéfectibles d’ Ennahdha et parmi ceux qui sont représentés au parlement, on citera le Courant démocratique ou Attayar et, dans une moindre mesure, le parti Echaâb. Eux, ils s’allient avec les islamistes et pleurent les martyrs, pleurent les pauvres victimes de la politique ultralibérale des islamistes, pleurent la liberté de penser et pleurent la banalisation de la violence politique.

Après le 25 juillet, les tartuffes, dans une ultime acrobatie, redeviennent proches du pouvoir et les voyous et les complices deviennent les tartuffes.

D’autres complices providentiels attendent la feuille de route promise par le président pour se repositionner. L’espoir fait vivre…

* Docteure en économie.

Articles de la même auteure dans Kapitalis :

Sidi Hassine : Et si l’horrible scène n’avait pas été filmée ?

http://www.kapitalis.com/afkar-2/18118-tunisie-la-defaite-annoncee-des-islamistes-et-la-victoire-toujours-reportee-de-l-opposition.html

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!