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Tunisie : Et si Kaïs Saïed était desservi par une justice instable et versatile ?

Kais Saied recevant Youssef Boukhazer, le président du Conseil supérieur de la magistrature, le 1er mars 2021.

Les voies de la justice tunisienne sont aussi impénétrables que celles du Seigneur, tant ses décisions semblent hésitantes, incompréhensibles et parfois même contradictoires, laissant perplexe le plus futé des juristes, à commencer par le magistrat suprême, le président Kais Saïed. Car comment expliquer qu’aux arrestations les plus retentissantes succèdent presque toujours des libérations tout aussi retentissantes?

Par Ridha Kefi

Ces chers juges, qui crient à l’offense à chaque fois que l’on met en doute la sincérité ou la crédibilité de leurs décisions et se disent victimes de campagnes de dénigrement, en sortant l’arme fatale et l’argument massue de l’indépendance de leur… pouvoir, multiplient les décisions les plus incompréhensibles et les plus controversées.

Arrestations et libérations à tour de bras

C’est ainsi qu’ils font arrêter des personnalités des milieux politique, médiatique et affairiste pour de menus délits et les relâchent peu de temps après, non sans avoir provoqué, dans l’intervalle, d’interminables polémiques et en fournissant aux concernés l’occasion de crier à l’injustice et de se faire passer, au regard de l’opinion publique, pour des victimes de la liberté.

En revanche, ils laissent libres d’autres personnalités issues des mêmes milieux qui se sont rendues coupables de délits autrement plus graves, laissent traîner les dossiers de terrorisme, de corruption et de contrebande impliquant ces derniers et finissent même par faire égarer des pièces décisives de ces dossiers dans les méandres des tribunaux, étrangement impuissants face aux ténors de la politique et des affaires, les deux mondes étant désormais interconnectés au sein de véritables mafias.

Alors que les dossiers des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi et de l’Organisation militaire secrète du parti Ennahdha, impliquant des dirigeants de la galaxie islamiste, ainsi que ceux des barons de la corruption, comme Chafik Jarraya, Nabil et Ghazi Karoui, Slim Riahi et autres, traînent en longueur et en largeur, on s’acharne sur des seconds couteaux que l’on traîne devant les tribunaux et souvent pour des délits mineurs et des accusations fantaisistes, rapidement abandonnées.

Une justice instable et versatile

Face à tant d’inconséquences, les justiciables sont en droit de douter de la sincérité et de la crédibilité de certains juges, et même de penser, à tort ou à raison, que, par leurs décisions à l’emporte-pièce, ils cherchent à provoquer des polémiques pour brouiller les pistes et créer des écrans de fumée, de manière à cacher leurs propres turpitudes et à éviter que les projecteurs de la loi soient enfin braqués sur eux, d’autant que certains de leurs ténors (comme Bechir Akremi et Taieb Rached) sont soupçonnés de corruption active et de clientélisme politique.

Quoi qu’il en soit, il devient de plus en plus évident que les ratés de la transition démocratique tunisienne doivent beaucoup à une justice instable et versatile, tour à tour laxiste et d’une inexplicable sévérité (comme dans le cas du député Fayçal Tebini), et qui ne semble pas prête à se débarrasser de ses deux principaux démons : la politisation (active ou subie) et la soumission aux pouvoirs, tous les pouvoirs, y compris celui de l’argent.

On aimerait bien croire certains juges, probablement sincères, qui nous assurent de leur volonté d’assainir leur profession et de la réhabiliter aux yeux des justiciables, mais leurs réactions corporatistes d’auto-protection ne nous rassurent nullement, d’autant que les verdicts à l’emporte-pièces dans certains procès continuent de plus belle et que le processus d’assainissement lancé dans le pays par le président Kaïs Saïed, et qui compte beaucoup sur une hypothétique diligence de la justice, continue de faire du surplace.

On a même parfois l’impression que le locataire du palais de Carthage est contrarié, desservi voire saboté par une justice qui refuse, en réalité, de faire amende honorable et de commencer par assainir ses propres rangs, prélude à l’assainissement d’un pays gangrené par la corruption. Ne s’en est-il pas plaint lui-même ouvertement à plusieurs reprises, déplorant que les juges ne jouent pas vraiment ou pas assez le rôle régulateur qui leur est alloué dans une démocratie digne de ce nom ?

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