Il n’échappe à personne que Marzouki et le parti islamiste Ennahdha sont entrés avant terme de plain-pied dans la campagne pour les prochaines échéances électorales. Une campagne éhontée aux frais du contribuable…

Par Abderrazak Lejri*


Je ne m’étalerais pas sur les gesticulations du président provisoire Moncef Marzouki: déplacements à l’étranger, utilisation des moyens conférés au Palais pour des colloques savants et divers rendus institutionnels via l’Institut tunisien d’études stratégiques (Ites) dont le dernier sur «la valorisation des richesses naturelles de la région de Gafsa», comme si on venait de découvrir subrepticement les immenses possibilités autres que phosphatières de la région et qui avaient fait depuis longtemps l’objet d’études mises dans les tiroirs.

Les récurrentes promesses chimériques

Les divers déplacements de teams ministériels dans les régions dans le but avoué d’associer une population – désabusée et désenchantée par de récurrentes promesses chimériques et mirobolantes non tenues depuis 50 ans – à l’appropriation des projets programmés après la budgétisation de la loi complémentaire des finances ne se sont pas déroulés dans la sérénité, tant il est vrai qu’ils n’ont en aucune manière l’ambition de répondre à des attentes ne pouvant être satisfaites en si peu de temps.

Et dans tous les cas de figure, les projets de développement étant en premier lieu tributaires de la mise en place préalable d’infrastructures pour désenclaver les régions de l’intérieur (qui sont, eux, des projets lourds à moyen terme), le saupoudrage budgétaire régional tient du baume anesthésiant et palliatif sur de profondes et graves blessures.

Les projets annoncés dans les régions dérivant souvent d’un schéma de développement biaisé de l’ancien régime, dont beaucoup étaient bloqués pour cause de révolution, étaient identifiés et connus par les populations depuis longtemps pour qu’il y ait besoin d’en refaire un éternel répertoire, n’auraient été les motivations de propagande électorale de la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir) et essentiellement du parti islamiste Ennahdha dans un show médiatique qui, bien souvent, a tourné à la cacophonie et au pugilat entre partisans et opposants au gouvernement.

Verrouillage de l’accès à ladite réunion

Dans la lignée des réunions d’information organisées dans les autres régions dont les travers ont été mis en exergue par Soufiane Ben Farhat dans le journal de ‘‘La presse’’  sous le titre «Erreurs de casting, de scénario et de timing», celle qui s’est déroulée, samedi 10, à Gafsa, a démontré le summum des dérives en matière de propagande qui préfigure ce à quoi il faut s’attendre lors des élections à venir.

Gafsa, berceau de la révolution tunisienne.

Sous la houlette du gouverneur nahdhaoui de la région (ce qui prouve que la mainmise continue sur les rouages de l’Etat commence à donner ses fruits), les huit ministres, qui n’ont fait qu’égrener la liste des projets mobilisant les 500 millions de dinars, s’étaient déplacés escortés et quadrillés par un dispositif sécuritaire logistique et humain qui a dépassé de loin celui jugé impressionnant du dernier et unique déplacement du dictateur déchu, probablement aux fins d’intimidation d’une population qui en a vu d’autres et ce bien avant l’indépendance.

Sans relever les dysfonctionnements organisationnels – soyons magnanimes avec des instances stagiaires –, ce qui est plus grave, ce sont les procédés qui ont été utilisés par le pouvoir actuel pour verrouiller l’accès à ladite réunion en excluant l’expression de toute velléité de contestation.

L’appareil nahdhaoui s’est mis en place de bonne heure par l’occupation numérique des lieux à la faculté des sciences et, parallèlement au double discours dont on a accusé Ennahdha, ils ont inventé cette fois-ci la double invitation: une invitation officielle avec cachet humide pour leurs affidés et leurs milices et des invitations avec photocopies de cachets pour les autres avec bien entendu des consignes ciblées au service d’ordre au niveau de l’accès.

Cette grossière manœuvre a exclu de la participation la majorité de la société civile, les autres partis et surtout de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) dénoncée dans le journal ‘‘Le Maghreb’’ de ce dimanche par le Secrétaire général de la région de Gafsa, ce qui démontre si besoin est que la cabale ayant abouti au procés intenté contre le leader syndicaliste Adnan Hajji qui continue son bras de fer avec le gouvernement, n’est pas innocente.

C’est à se demander qu’elle est l’utilité d’une visite ministérielle à huis-clos dans un bassin minier où les forces ouvrières ont pesé, pèsent et pèseront de leur poids dans le schéma de développement où la problématique du chômage et de l’emploi a représenté 800 millions de dinars de pertes en une seule année d’exploitation à la Compagnie des phosphates de Gafsa (Cpg)/Groupe chimique tunisien (Gct)?

Pire encore, et selon un scénario bien rôdé par les Rcdistes ralliés à leur cause, les listes des demandes d’intervention – comme par hasard – étaient déjà épuisées puisque préétablies par Ennahdha, ne donnant aucune chance à ce qu’une requête de l’opposition puisse être prise en compte (le bureau régional d’Ennahdha a sorti un communiqué se défaussant explicitement sur l'administration du gouvernorat en lui imputant la responsabilité du fiasco (sic!).

Nous ne nous attarderons pas sur la mention de projets d’infrastructure telle qu’une autoroute qui est hors-sujet et ne fait pas partie du programme annuel en objet; ce qui représente un leurre et une flagrante tromperie.

Le choix entre la peste et le choléra.

Ainsi, parallèlement au scénario égyptien où la population semble n’avoir le choix qu’entre les Frères musulmans rétrogrades et les suppôts de l’ancien régime militaire, la Tunisie semble s’acheminer vers une alternative entre le parti islamiste et la frange qui a rallié Ennahdha parmi les Rcdistes et les Rcdistes-destouriens qui ont bombé le torse à Monastir et viennent de rallier à l’initiative «Nida Tounès» de l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi qui n’ont toujours pas fait leur mea-culpa ni rendu compte de leurs méfaits.

Conseil ministériel consacré au gouvernorat de Gafsa, le 22 mai 2012.

Les mouvements démocrates et l’opposition en sont encore à la énième itération de scission ou fusion-regroupement, compte tenu de l’éclatement du Congrès pour la République (CpR) du président provisoire Moncef Marzouki (qui a  produit le nouveau parti Wafa du dissident Abderraouf El Ayadi), du Parti démocratique progressiste (Pdp) et d’Ettakattol et la naissance du mouvement dit de la troisième voie, etc.

Le parti islamiste a, quant à lui, un agenda très clair et cohérent qu’il applique scrupuleusement et c’est moins par incompétence ou effet dilatoire qu’il freine l’avènement d’institutions indépendantes pour la justice, les médias et surtout les élections avant que son propre congrès n’ait lieu en juillet et que l’essentiel de l’administration ne soit mise sous sa tutelle.

La nature humaine étant ce qu’elle est et les 23 pays arabes ayant atteint un tel niveau de pourrissement, la révolution du 14 Janvier restera une belle parenthèse de l’histoire ayant essentiellement conforté les élites intellectuelles dans leurs utopies – je pense que les jeunes qui se sont soulevés dans les régions marginalisées et les démocrates devront probablement  attendre la prochaine itération pour qu’une nouvelle révolution accouche enfin d’un Etat de droit et démocratique.

L’espoir de résistance réside toujours au niveau du sud-ouest berceau du le bassin minier, l’entièreté du sud et du sud-est étant acquis à Ennahdha, parti dont certains ténors ne se sont pas gênés, bien avant le 23 octobre 2011, pour brandir la menace de guerre civile si par extraordinaire il venait à échouer aux élections.

A bon entendeur salut!

Blog de l’auteur.

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