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Pour que l’attaque de Ben Guerdane ne se répète plus

Attaque-de-Ben-Guerdane

Le succès remporté par les forces de l’ordre sur le groupe terroriste de Ben Guerdane ne doit pas occulter une déficience inquiétante dans le domaine du renseignement.  

Par Mohamed Nafti *

Lundi 7 mars 2016, la ville de Ben Guerdane a été le théâtre d’une agression armée menée par un nombre important de terroristes (environ 50). Ces derniers, répartis en quatre groupes, ont procédé par des attaques simultanées dirigées vers les enceintes des forces de l’ordre (FO) implantées dans la ville. Les attaques ont débuté à l’aube et devaient échouer devant la forte réaction des FO. Après avoir repoussé les assaillants, celles-ci, galvanisées par leurs premiers succès et par l’arrivée rapide des renforts, ont mené un combat sans merci face aux terroristes dans les rues de la ville et dans ses environs. Les affrontements devaient prendre fin, le même jour, vers 16h00, avec l’élimination du danger.

Le moment de l’analyse

Le dernier bilan officiel présenté par les autorités tunisiennes, le 8 mars, fait état de 36 terroristes tués et 7 capturés. On déplore aussi 19 morts entre civils et FO.

Les affrontements entre terroristes et FO sont terminées mais les opérations de ratissage continuent à l’intérieur de la ville et à ses confins dans le but de déceler des indices pouvant  mener à des repaires de terroristes qui se sont retranchés après fui le combat ou à des caches d’armes.

Le ratissage est une phase très utile pour l’opération car elle permet de sécuriser les lieux des affrontements en les nettoyant de tous les résidus de la bataille, que ce soit des engins explosifs ou des terroristes cachés. C’est aussi le moment de l’analyse après action (3 Alpha) qui sera menée par les différents échelons de commandement pour faire le bilan des opérations et éventuellement porter les correctifs nécessaires au plan d’opération initial ou de celui des additifs aux dispositions sécuritaires des troupes.

En ce lundi 7 mars 2016, à l’aube, la garnison militaire de Ben Guerdane et les districts de la garde nationale et de la police ont été attaqués par surprise par des groupes terroristes armés jusqu’aux dents. Ces derniers répandaient des feux nourris en direction des murs des enceintes et arboraient les drapeaux de l’organisation de l’Etat islamique (Daech) en signe de révolte contre l’Etat et pour inciter la population à se joindre à eux. Mais leur joie fut de courte durée. En effet, les FO, après avoir absorbé le choc de l’attaque, se sont reprises de plus belle et ont entamé une contre-attaque bien organisée qui devait se terminer, vers 15h00, par l’élimination de la quasi-totalité des assaillants.

Toutes les conditions pour la réussite de l’attaque terroriste étaient réunies, et pourtant elle s’est soldée par un échec cuisant. Les attaquants, en majorité des jeunes originaires de la même ville et qui connaissaient parfaitement le terrain, ont bénéficié de la discrétion, au cours des préliminaires de l’attaque, car ils étaient logés chez eux et ont exploité le facteur de la surprise durant l’approche nocturne de leurs objectifs. Mais la vigilance des unités de sécurité, leur discipline et la qualité de leur commandement ont finalement prévalu. La population a aussi aidé les FO durant le combat des rues, leur fournissant le renseignement  instantané sur le mouvement des terroristes.

On pourrait s’arrêter à ce point et dire que l’élimination de la majorité des terroristes est la preuve de la réussite de l’opération et qu’il ne reste plus qu’à féliciter tout le monde, décorer les braves combattants qui se sont distingués sur le champ de bataille, réserver une bonne sépulture aux martyrs et remercier Dieu qui a sauvé notre chère patrie. Mais tout observateur avisé ne se contentera pas d’un bilan arithmétique, qui comptabilise les pertes et les gains, fait une opération de soustraction et conclue positivement que l’opération militaire de Ben Guerdane (36 tués + 7 prisonniers moins 19 martyrs = + 24).

Or, on le sait, les opérations militaires ne sont pas des opérations arithmétiques. Il est nécessaire de tirer des enseignements à la fin des opérations et en analyser le déroulement pour identifier leurs faiblesses et y remédier. Et c’est dans cet esprit qu’il est sage de présenter quelques observations utiles sur un volet essentiel de l’opération qui n’a pas été assuré : le renseignement.

Remédier aux déficiences constatées

Le renseignement est capital pour toute opération militaire. Et il est encore plus vital dans la guerre asymétrique.

Pour simplifier on pourrait dire que si les responsables du renseignement tunisien avaient fait leur  travail ils auraient prédit cette opération. Les experts du renseignement stratégique devraient communiquer à l’Etat tunisien une information du genre «une opération de subversion armée qui vise la Tunisie est en train d’être préparée en Libye» avec un préavis d’au moins deux mois avant la date du 7 mars. Rappelons que l’information sur l’opération de Gafsa, en janvier 1980, a été communiquée au mois de novembre 1979.

Les analystes du renseignement opératif pourraient exploiter cette information et présenter aux FO le mode d’action des agresseurs du genre : «des groupes terroristes pourraient attaquer la ville de Ben Guerdane (le lieu a été communiquée par un membre de Daech en décembre 2015) durant la première quinzaine du mois de mars 2016 et inciter la population à se soulever contre l’Etat. Les terroristes seraient en majorité des ressortissants tunisiens originaires du sud-est du pays et ils seraient appuyés par des membres des cellules dormantes agissant à l’intérieur du territoire national. Ils attaqueraient d’abord les symboles de l’Etat (enceintes militaires et siège des autorités régionales, etc.)».

Il ne resterait plus alors aux responsables du renseignement tactique, qui sont organiques aux unités implantées à Ben Guerdane, que de bien étudier le renseignement opératif et de conclure les modes d’action des groupes terroristes à l’intérieur de la ville.

Le  problème qui se pose maintenant est le suivant : est-ce que les unités ont été averties des scénarios de ce qui s’est passé en ce lundi 7 mars ? Pour quelle raison les services de renseignement n’ont pas été au courant des caches d’armes qui renfermaient un arsenal terrifiant d’armes destructrices ? Pourquoi ces cellules dormantes n’étaient-elles pas fichées et contrôlées?

Autant de questions auxquelles il est urgent de répondre et de réfléchir pour remédier aux déficiences dans ce domaine très sensible et vital pour préserver notre territoire. Encore une fois, le but de ces remarques est d’inciter les responsables à bien cerner ce volet et à le développer pour le bien de nos forces armées et pour la survie de notre pays.

* Général à la retraite.

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