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Aïd El-Kebir : Rituels, senteurs et saveurs

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Evocation nostalgique des rituels, us et coutumes liés à la célébration, en Tunisie, de l’Aïd El-Kebir ou fête du sacrifice.

Par Mohamed Rebai *

Littéralement la fête du sacrifice du fils d’Abraham (Ismaël) substitué miraculeusement par dieu en bélier. On l’appelle aussi dans le jargon populaire «Aïd El-Kebir» (la grande fête).

Le rituel est toujours le même. Chaque année près d’un million de moutons passent au sacrifice en une seule journée ce qui constitue un véritable cataclysme pour le cheptel ovin.

Il fallait économiser et s’y préparer longtemps à l’avance pour acheter le mouton de l’Aïd. Cela va du petit mouton appelé agneau jusqu’au bélier de «prestige», pas n’importe lequel de préférence muni de cornes.

Certaines personnes fortunées achètent carrément deux moutons, un agneau pour le méchoui et un bélier pour le sacrifice.

Chercher le mouton de l’Aïd est une réelle épreuve. Chacun fait de son mieux pour se procurer le plus beau mouton au moindre coût. Il devrait être âgé d’au moins six mois.

On fait appel à des connaissances dans le «rif» (campagne), au souk plus ou moins boudé à cause des «gachara» (intermédiaires), qui vous racontent que leurs moutons viennent directement de Siliana ou de Oueslatia où ils broutent du thym et du romarin de la forêt aux fermes qui vendent au poids vif du producteur au consommateur, mais qui sont le fruit d’un élevage industriel intensif et sans goût .

On se passe des adresses, on use de mille et un subterfuges pour se procurer son mouton et ne pas rentrer bredouille aux enfants.

Même si on est ruiné après les vacances et la rentrée scolaire, «allouch el aid» (le mouton de l’Aid) c’est sacré; il faut l’acheter coûte que coûte. On s’endette pour l’avoir et on commence à voir des formules de vente à terme allant jusqu’à 36 mensualités.

Le meilleur reste celui des hauteurs de Oueslatia (Jebel Oueslat) avec «liya arbi» (gras de la queue de mouton) et non de l’ouest, «gharbi», exempt de «liya».

Le prix cette année va de 400 à 900 dinars tunisiens (DT). Cette «lya», que nos grandes mères utilisaient en cuisine pour mariner un aliment faute d’huile d’olive ou même des fois comme combustible la nuit, est actuellement boudée par les jeunes ménagères à cause de sa teneur en cholestérol.

Une semaine avant la date fatidique, les enfants exhibent leurs moutons dans les rues avec toute la fierté juvénile.
On cherche à affûter les vieux couteaux chez l’aiguiseur du coin un métier conjoncturel qui disparaît sitôt né. On achète du foin pour donner à manger au mouton excepté la veille de l’Aïd. Conseil : il ne faut rien lui donner sauf à boire.

Le jour de l’Aïd et après la prière, tout est prêt pour le sacrifice. Ceux qui n’ont pas réservé un boucher racolent quelqu’un de la rue dont la prestation calamiteuse varie de 30 à 40 DT.

Jadis le sacrifice devrait être accompli par un homme pieux qui tranche la carotide de la bête dont la tête est dirigée vers La Mecque. Mais de nos jours, avec une demande de plus en plus accrue, des bouchers de fortune font le boulot à la va vite sans cœur ni âme et sans même dire le «bismellah» (au nom de dieu) rituel.

Après avoir dépecé le mouton, il vous découpe sur une «kardha» (planche de travail à base de tronc d’arbre) avec un «satour» (hachoir) de fortune, quelques morceaux de viande, des côtelettes de préférence, qui serviront au méchoui. Ensuite s’en va servir d’autres clients d’un jour.

On donne aux pauvres un gigot d’agneau en guise d’aumône («sadaka»). La communion entre les voisins est (ou était) profonde et peut aller jusqu’à offrir un bélier aux familles démunies.

Après, c’est toute une activité gastronomique débordante qui s’installe à la maison. Il faut allumer le «kanoun» (petit fourneau à charbon de bois en terre cuite ou en métal utilisé pour la préparation du thé et des grillades) à l’aide de la «saliha» (boite de conserve de tomates trouée des deux côtés pour générer un courant d’air sur le kanoun) et mettre le «bkhour» (encens) composé de «ouchaq» (provenant de la gomme ammoniaque) et de «dad» (chardon à glu dégageant une odeur aromatique) pour se prémunir contre le mauvais œil et de «jaoui» (encens de Java, résine aromatique tirée du tronc du styrax).

Ainsi, les habitudes culinaires n’ont pas changé d’un iota. Des côtelettes sont découpées pour le méchoui, plus des petits caprices, un petit morceau de foie car il ne faut pas le consommer totalement. Le reste on s’en servira pour les andouillettes «osban» préparées à partir des abats. les reins sont également très appréciés. La salade «mechouia» (à base de poivrons et tomates grillées) fait maison, l’harissa saupoudrée d’huile d’olive «sahli» (de la région oléicole du Sahel) et le pain «diari» (fait maison) croustillant et spongieux en même temps attendent sur la «mida» (table basse circulaire) et vous donnent l’eau à la bouche.

Les petites filles imitent leur maman pour faire la «zoghdida» (petit plat) à l’aide de petits ustensiles de cuisine.

Ensuite on prépare l’incontournable «klaya» (plat de l’Aid par excellence) et puis tout le monde s’affaire à la maison pour nettoyer la peau du mouton dont la laine servira à la confection de tapis et de couvertures à la différence qu’aujourd’hui des professionnels s’en mêlent pour les ramasser à domicile et les refiler à prix fort aux tanneries.

Le lendemain, on s’occupera du couscous «bel osbane» (aux andouillettes), de la «hargma», à base de pieds («keraïne») et de tête d’agneau («rass») pour faire un ragoût onctueux ou au mieux un couscous d’orge ou «melthouth berras» (à la tête d’agneau), et quoi encore ?

J’allais oublier le «kaddid» (viande séchée) en senteurs pénétrantes pour tenir quelques semaines de plus jusqu’à «ras el am el hejri» (nouvel an de l’Hégire).

Allez, il faut se dépêcher car l’après-midi est réservé aux visites familiales.

Ainsi les traditions sont en somme perpétuées au fil des ans sauf que les traditions vestimentaires ont changé. Autrefois, on portait la «jebba», la «chechia» et le «burnous» pour l’Aïd.

Les festivités peuvent durer toute une semaine reléguant les bouchers pour une semaine au repos forcé.
C’est durant cette période de fête que le «haj» (pèlerinage à la Mecque) est le plus important.

Enfin, sachez que des essais sont actuellement en cours à l’Ecole supérieure d’agriculture du Kef en vue d’obtenir de la viande ovine riche en acides gras polyinsaturés, communément appelés Omega 3, très connus pour leurs vertus sur le bon fonctionnement du sang dans le cœur humain, autrement dit de la viande sans cholestérol.

La viande bio et anti-cholestérol : une belle invention de chez nous connaîtra dans un proche avenir un essor remarquable à l’instar de l’huile d’olive !

Parions que la viande de dromadaire avec toutes ses vertus culinaires suivra sous peu.

«Aïdkom Mabrouk» (Bonne fête de l’Aïd) !

* Economiste.

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