Accueil » Ghannouchi-Caïd Essebsi : Est-ce la fin de l’idylle ?

Ghannouchi-Caïd Essebsi : Est-ce la fin de l’idylle ?

Caid-Essebsi-Ghannouchi---Sousse

Le mariage de raison Ghannouchi-Caïd Essebsi, engagé sous de si bels auspices, risquerait, sous peu, de se terminer par un divorce abusif.

Par Jomâa Assâad *

Les grincements de dents des Nahdhaouis deviennent de plus en plus audibles. Certains y verront de simples manifestations des pressions exercées par eux sur le président de la république Béji Caïd Essebsi (BCE) dans la course des nominations aux postes clés, voire même subalternes. Symptômes auxquels ils nous ont habitués de par le passé. Nous y verrions plutôt un réel malaise politique, annonciateur de postions autrement plus radicales.

Chronique d’une rupture annoncée

La rupture était, il est vrai, depuis quelques temps, dans l’air et, au fil des jours, elle a eu tendance à se préciser. L’initiateur en est, sans conteste, BCE et le contraire aurait été véritablement étonnant.

Voici un homme qui ne s’est jamais caché de son antipathie à l’encontre des islamistes. Ni ses référents socio-culturels, ni ses convictions politiques ne le prédisposaient à un quelconque réel rapprochement avec les Nahdhaouis. Nécessité, pas seulement d’ordre nationale, nous en sommes convaincus, faisant loi, il a fini par accepter l’inenvisageable: la cohabitation politique avec les islamistes.

Celle-ci, l’on se doutait bien, ne pouvant éternellement durer, les signes précurseurs de la fin de ce mariage contre raison devenaient de plus en plus patents. Limogeage de l’un de ses principaux artisans, Ridha Belhaj, l’ex-chef du cabinet du président de la république et ex-président de l’instance politique de Nidaa Tounes (excusez du peu !). Exclusion politique des deux témoins des mariés : Nabil Karoui et Slim Riahi. Puis, éviction de l’enfant illégitime : Habib Essid.

Les dés étaient désormais jetés. Les Nahdhaouis avaient beau ruer dans les brancards, BCE n’en avait cure. Premier passage en force : la nomination à la tête du gouvernement d’union nationale d’un homme sur lequel les islamistes n’ont aucune prise : Youssef Chahed.

Malgré une campagne de dénigrement systématique, frôlant parfois la diffamation, le président de la république tînt bon.

Deuxième passage en force : la mise dos au mur des «représentants du peuple» s’agissant du vote de confiance au gouvernement. Nouvelle déconfiture pour les Nahdhaouis. Contrairement à leurs desideratas, ils n’ont eu aucun poste clé au gouvernement. En cette occasion, les remous atteignirent même le Nidaa. Rien n’y fit, BCE s’agrippant toujours au gouvernail.

Là où le bât commença réellement à blesser pour les islamistes, c’est lorsque la purge atteignit leurs chevilles ouvrières: les gouverneurs bien-sûr, mais aussi l’annonce de la liste des délégués de laquelle leurs protégés étaient quasiment exclus.

La goutte qui fit déborder le vase fut, cependant, l’éviction de leur arrière garde au ministère de l’Intérieur. Celle-ci, n’en doutant point, sera suivie par une autre au ministère de la Justice. En somme, les deux mamelles de l’exercice du pouvoir occulte des Nahdhaouis devenaient de la sorte totalement délaitées.

Le début du désarroi des islamistes

Ce faisant, les islamistes ne sont pas restés les bras croisés. Ils ont usé, et parfois même abusé, de tous les artifices qui avaient précédemment produits leurs effets sur BCE. La carotte tout d’abord. Une discipline sans faille lors du vote de confiance en faveur du gouvernement Chahed. C’en était à ce point singulier que les observateurs politiques en arrivaient, par contraste, à confondre certains Nidaïstes, chahuteurs en l’occurrence, avec les opposants du Front populaire.

Les ténors d’Ennahdha en sont même arrivés à encenser Chahed et à passer sous silence les travers de son équipe gouvernementale.

Mieux encore, le cheikh Ghannouchi, s’étant personnellement, et non moins inopinément, déplacé, en pleine canicule et entre deux cérémonies plus officielles l’une que l’autre, à Gafsa, s’est escrimé à prêter main forte au gouvernement s’agissant du casse-tête du bassin minier. Pour une fois, ses ouailles observèrent une neutralité salutaire pour la résolution de la crise.

Autres temps, autres mœurs. Ne voyant rien venir en gage de reconnaissance, les Nahdhaouis passèrent à la politique du bâton. Non seulement, ils ne levèrent pas le petit doigt pour épauler le gouvernement afin de trouver une issue satisfaisante au problème de l’entreprise Petrofac à Kerkennah (bien que merveilleusement implantés à Sfax, l’affaire Jaouadi faisant date), mais ils se livrèrent à de la sous-traitance insurrectionnelle par l’entremise de leurs cousins du Hizb Ettahrir saupoudrés sur l’archipel.

Dans la résolution de ces deux crises, l’UGTT, sentant le vent des coalitions favorablement tourner, eu la part belle. Et c’est tout à son honneur. Dans les deux cas, un pourrissement de la situation ne pouvait qu’être préjudiciable au pays.

caid-essebsi-nations-unies

Caïd Essebsi goûte l’accueil chaleureux qui lui a été réservé aux Nations unies.  

Les pressions exercées par les islamistes sur BCE ne s’arrêtèrent pas au plan national. Annonçant à cor et à cri que le vénérable cheikh se rendrait en Arabie Saoudite pour y accomplir les rites du pèlerinage, le communiqué officiel des islamistes tenait à préciser : «sur invitation du Roi Salman». Cette manœuvre politicienne avait, certes, produit son petit effet de par le passé. Cette fois-ci, elle produit l’effet exactement inverse. Le berger répondant à la bergère, BCE se dit : «Lorsqu’on a le bon Dieu à côté de soi, à quoi bon s’adresser à ses saints ?!». Et c’est à la table du président Obama qu’il se fit inviter, avec assis à sa droite, excusez du peu, le secrétaire général de l’Onu. L’émir du Qatar en était réduit à intercéder, sans grand espoir, en antichambre.

Face à pareille déconfiture, l’un des ténors, si j’ose dire, d’Ennahdha, Abdelhamid Jelassi, finit par déclarer, sans même sourciller : Autant s’allier avec le Front populaire… C’est dire l’étendue du désarroi des islamistes.

La cérémonie parisienne unissant les deux cheikhs, pour la vie croyait-on, était pourtant aussi émouvante que prometteuse.

* Universitaire.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.