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Tunisie – Union européenne : L’Aleca face aux craintes tunisiennes

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«L’impact de la libéralisation des services dans le cadre de l’Aleca sur l’économie tunisienne» a fait l’objet d’un atelier, mercredi 26 octobre courant, à Tunis.

Par Wajdi Msaed

L’atelier a été l’occasion de présenter les résultats préliminaires de l’étude de l’Institut tunisien de la compétitivité et de l’économie quantitative (Itceq) réalisé sur ce sujet, en présence de responsables du gouvernement, d’opérateurs économiques et sociaux et de représentants de la société civile.

L’atelier, présidé par Ridha Ben Mosbah, conseiller auprès du chef du gouvernement chargé des Affaires économiques, s’inscrit dans l’approche participative préconisée dans l’élaboration de l’offre tunisienne dans les négociations de l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Union Européenne (UE).
Risques et opportunités

M. Ben Mosbah a salué l’appui technique apporté par l’UE en vue de consolider les outils d’analyse mis en place et permettre ainsi d’avancer dans l’élaboration de l’offre tunisienne, ajoutant que l’étude élaborée par l’Itceq fait partie de tout un dispositif d’études réclamées par la société civile pour évaluer l’accord d’association Tunisie-UE signé en 1995 et étudier l’impact de la libéralisation préconisée des services et de l’agriculture, principal objet de l’Aleca, sur les évolutions socio-économiques en Tunisie.

Une présentation de l’étude et de ses résultats a été faite par Habib Zitouna, DG de l’Itceq, qui a évoqué les opportunités ainsi que les risques que peut engendrer la libéralisation des services en Tunisie. L’Aleca «représenterait une étape avancée de l’intégration de l’économie tunisienne dans le marché intérieur de l’Union européenne. Il aboutirait à terme à la création d’un marché commun avec la libre circulation des facteurs de production en plus des biens et services», a-t-il expliqué. Et d’ajouter: «Un marché commun ne peut être constitué sans l’harmonisation des règles commerciales, économiques et juridiques, la réduction des obstacles non tarifaires aux échanges et la facilitation des procédures douanières pour améliorer les conditions d’accès des produits et services aux marchés respectifs».

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Au niveau des services, ce projet d’accord prévoit, entre autres, l’ouverture des services aux opérateurs étrangers ainsi que le rapprochement réglementaire pour converger vers les normes européennes, a poursuivi M. Zitouna. «Une telle intégration permettra une meilleure allocation des ressources via la spécialisation, la baisse des prix grâce à la concurrence ainsi instaurée, une meilleure satisfaction des consommateurs grâce à l’élargissement des choix disponibles, une meilleure efficacité productive à travers les économies d’échelle et une rationalisation permettant l’accroissement de la productivité moyenne», a-t-il encore plaidé.

Il va sans dire que cette rationalisation, a ajouté le DG de l’Itceq, bénéficiera aux entreprises les plus efficaces, alors que les moins productives risquent de disparaître. Aussi des politiques d’accompagnement demeurent-elles indispensable pour minimiser l’impact sur les opérateurs pour les aider à s’adapter au nouveau contexte.

Les résultats de l’étude de l’Itceq, qui a analysé les risques et les opportunités de la libéralisation des services, prévoient un impact globalement positif au niveau de la croissance économique, la consommation, l’emploi (surtout celui des jeunes qualifiés) et le pouvoir d’achat. Il reste cependant un bémol : «C’est au niveau de la balance courante, qu’une vulnérabilité risque d’être induite par l’Aleca», avertit M. Zitouna. «Un accompagnement pour renforcer la compétitivité externe de l’économie tunisienne est, donc, nécessaire», dit-il en conclusion

Un rapport asymétrique

Kacem Afaya, secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a estimé, de son côté, que le modèle utilisé dans cette étude se rapproche de celui d’Ecorys, contesté auparavant par la centrale syndicale, et les données qu’elle a utilisées sont celles de l’année 2010, «ce qui a peut-être biaisé ses résultats», eu égard aux changements profonds survenus au cours des 5 dernières années dans plusieurs secteurs économiques, comme celui du tourisme et du voyage.

Parlant des réactions enregistrées en Tunisie vis-à-vis de l’Aleca, M. Afaya a remarqué que «certaines tendances politiques, qui s’inscrivent dans le sillage du libéralisme et de la mondialisation, sont pour la signature de l’accord illico presto.» «En revanche, a-t-il ajouté, d’autres tendances (par allusion à la gauche et à la gauche radicale, Ndlr) y sont totalement opposées, estimant qu’il risque de mettre en péril l’économie tunisienne et d’avoir des retombées négatives, notamment la disparition des entreprises qui ne pourront pas résister face aux géants européens et le licenciement massif des travailleurs, ce qui aggravera le chômage, dont le taux est déjà très élevé».

Appelant à une participation plus active des universitaires dans la réflexion sur l’Aleca, le représentant de l’UGTT est allé même jusqu’à évoquer la proposition, faite par certains, d’organiser un référendum au sujet d’un accord qui «engage la souveraineté du pays».

Confirmant la participation constructive de la centrale syndicale aux débats en cours, M. Afaya a considéré que «les propositions européennes ne sont pas adaptées à la réalité de l’économie tunisienne, qui fait face actuellement à de grandes difficultés, et ne prennent pas en compte l’asymétrie des niveaux de développement de l’économie tunisienne et des économies européennes», soulignant, dans ce contexte, les contraintes relatives à l’implantation des entreprises européennes en Tunisie, la participation étrangère dans les capitaux des entreprises tunisiennes et le rapatriement des capitaux.

En conclusion, le secrétaire adjoint de l’UGTT a estimé que «la participation de la société civile dans les choix majeurs de l’avenir de la Tunisie, la formulation des politiques publiques et l’évaluation de l’impact de ces méthodologies partagées, constitue la meilleure voie pour bâtir ensemble une nouvelle alternative de concertation et de coopération, basée sur le dialogue civil et la recherche de solutions adéquates aux problèmes posés».

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L’Aleca fait peur

Les participants ont eu droit, en outre, à trois interventions : Daniel Mirza, professeur à l’Université de Tours (France), a parlé de «la libéralisation des services dans l’espace euro-méditerranéen»; Fatma Marrakchi Charfi, universitaire et représentante de l’association Solidar, a traité de «la libéralisation des services et de l’investissement dans le cadre de l’Aleca»; et Lamia Abroug, DG du Programme d’appui au secteur des services au ministère de l’Industrie et du Commerce, a présenté le programme d’appui à la compétitivité du secteur des services.
Ce programme est financé par l’UE à concurrence de 20 millions d’euros et repose sur 3 axes fondamentaux : le volet institutionnel, le secteur de la santé et l’appui aux petites et moyennes entreprises (PME). Il est censé préparer les opérateurs tunisiens à faire face au choc que constituerait la mise en œuvre de l’Aleca.

Le débat engagé a permis de recueillir un grand nombre d’observations, remarques, propositions et recommandations. On a évoqué les problèmes de la contrebande, de la reconnaissance des diplômes, de l’enseignement privé, des services de santé, de la grande distribution et des facilitations que pourrait accorder l’UE en matière de mobilité des personnes, alors que les entreprises européennes qui vont s’implanter en Tunisie bénéficieront de 20% de leurs effectifs en personnel étranger.

La nécessité d’adopter une stratégie offensive et non défensive de la part de la Tunisie a été, en outre, préconisée.
Mohsen Trabelsi, président de la Fédération des services relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), n’a pas mâché ses mots: «L’Aleca me fait peur », a-t-il lancé, en déplorant l’absence de la centrale patronale des groupes de travail qui planchent sur l’élaboration de l’offre tunisienne. Il s’est, en outre, interrogé sur les résultats de l’accord d’association de 1995, qui n’ont pas été suffisamment décortiqués, et sur les conséquences attendues de la conclusion de l’Aleca, dont l’envahissement de beaucoup de secteurs par des étrangers déguisés opérant directement et sans passer par la formule de la franchise. Une fois n’est pas coutume, le représentant du patronat a appelé, en conclusion, à adopter les recommandations avancées par la centrale syndicale.

«Nous allons être bouffés», a lancé un autre intervenant, qui a proposé d’engager les négociations en tenant compte de la nature de notre tissu d’entreprises composé à 90% de PME.

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