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L’assassinat de Mohamed Zouari ou la guerre des chimères

La vérité sur l’assassinat de Mohamed Zouari est-elle si précieuse qu’il faille toujours l’envelopper dans un tissu de mensonges ?

Par Dr Mounir Hanablia *

Il y a quelque chose d’irréaliste dans l’affaire entourant l’assassinat, jeudi 15 décembre 2016, à Sfax, de Mohamed Zouari qu’on a qualifié d’ingénieur aéronautique du Hamas, et que des films diffusés, tenez vous bien, par la télévision israélienne, avaient montré tenant entre ses mains des maquettes de drones qu’il aurait fabriqués ou aidé à fabriquer, à Gaza, au bénéfice du parti islamiste palestinien.

Une farce macabre

La singularité de l’affaire ne s’arrête pas là, l’épouse du défunt a confirmé l’information qui circulait déjà, à savoir que son mari était en train de fabriquer un drone sous-marin.

Si l’on ajoute à tout ceci la manière paisible avec laquelle l’envoyé d’une chaîne de télévision israélienne a circulé en Tunisie jusqu’aux lieux de l’exécution pour enquêter (malheureusement on ne comprend pas l’hébreu utilisé dans le document diffusé sur les réseaux sociaux, peut-être faudrait il s’y mettre) et l’interview que lui a accordée le plus naturellement du monde la veuve du défunt, on peut effectivement penser qu’il y a quelque part dans tout cela un scénario assez inattendu ressemblant à une farce macabre.

Il y a déjà la manière avec laquelle une télévision israélienne a violé la loi de son pays relativement à l’interdiction de tout contact avec des organisations qualifiées de terroristes, en particulier le Hamas, et on sait combien de juifs israéliens avaient fini en prison pour moins que cela; et si on considère que des opérations d’exécution relèvent de la part la plus mystérieuse d’un service secret, le Mossad ici en l’occurrence, on peut tout aussi bien se poser la question de savoir pourquoi des journalistes seraient allés révéler à leurs concitoyens les coins les plus sombres de la politique de leur gouvernement, en particulier le bras long selon le mot du Général De Gaulle dont Israël disposerait pour traquer et abattre ses ennemis, y compris dans les pays où l’opinion publique, à défaut du gouvernement, lui serait encore hostile. Ou encore son bras court : alors que le territoire de Gaza est soumis à un blocus comme il n’y en a jamais eu, alors que des drones le photographient en permanence de jour comme de nuit sous tous les angles, et que les mouchards au service d’Israël y pullulent, il faudrait admettre qu’un homme comme lui , habitué à traverser les frontières fermées, de l’enclave encerclée, comme bon lui semblât, eût été là-bas hors de la portée de ses services secrets et à fortiori, de son armée; pour ne pas dire l’armée du général Sissi dont le Hamas est la bête noire.

Mohamed Zouari représentait-il vraiment un grand danger pour Israël?

On pourrait penser que pour que le gouvernement israélien eût dû faire un exemple, Mohamed Zouari se fût rendu coupable d’un crime jugé par ses ennemis abominable, mais là n’est pas le cas : tout le monde a parlé des capacités scientifiques très développées de l’ingénieur aéronautique, et personne n’a évoqué la loi du talion, à l’instar de ce qui avait été fait pour justifier les exécutions des membres du commando de Septembre Noir, en particulier Ali Hassan Salameh à qui la responsabilité de la sanglante prise d’otage de Munich en 1972 avait été attribuée.

Il n’y avait alors eu aucune déclaration du gouvernement d’Israël ni aucune chaîne télévisée de ce pays pour couvrir ses obsèques à Beyrouth en 1981. Pas plus qu’il n’y en avait eu lors des exécutions de Yahya El Mashad, le savant atomiste égyptien, ou de Gerald Bull, l’artificier britannique, tous deux tués à Paris et à Bruxelles pour avoir travaillé pour le programme d’armement de Saddam au temps de sa splendeur.

Des tuyaux volants

Est-ce à dire que Mohamed Zouari eût représenté un danger plus grand pour Israël que ces deux savants travaillant pour un pays à l’énorme potentiel et dont le dictateur disposât des moyens de ses ambitions? Ce serait ridicule de l’envisager, d’autant que les fameux «tuyaux de cheminées» du Hamas envoyés vers Sderot ou Ashdod faisaient beaucoup plus de peur que de mal, entretenaient la légende, nécessaire pour sa politique de colonisation, d’un Israël pacifique, menacé dans son existence, mais ces tuyaux volants ont surtout servi à perfectionner le système de défense anti missiles israélien, désormais exportable pour avoir fait ses preuves lors des multiples conflits de Gaza.

Seulement, selon toute apparence, Mohamed Zouari ne s’embarrassait pas trop des mesures de sécurité: le Hamas, sa femme, et même une chaîne de télévision (suisse, ou autrichienne), des hommes d’affaires (belges), tout ce petit monde savait, selon toute évidence, ce qu’il faisait, où le trouver, et voulait s’entretenir avec lui, certains même dans le but de réaliser un film sur sa brillante carrière, ce pour lequel il ne voyait bien-sûr aucun inconvénient.

Par ailleurs, disposant de ce brillant curriculum vitae, celui de père fondateur de l’industrie aéronautique du Hamas, que tout le monde semblait connaître, y compris les gens du parti islamiste tunisien Ennahdha, ainsi que plusieurs internautes en Tunisie, cet homme pouvait se déplacer librement entre Tunis, Gaza, Damas, Khartoum, et Ankara, sans que quiconque eût trouvé à y redire.

On a bien sûr parlé de défaillance, sinon de scandale sécuritaire, pour expliquer cette mort, mais il faut constater une chose, les autorités tunisiennes ne s’embarrassent apparemment pas de la présence de quiconque sur leur territoire, pas plus d’«activistes» palestiniens que de «journalistes» israéliens et elles ont peut-être raison, la situation est beaucoup plus complexe que ne le laissent présager les apparences.

Car, en fin de compte, cette affaire suggère une coopération entre des parties antagonistes, mais seulement jusqu’à un certain point, sans doute la même qui avait été établie en Irlande du Nord entre l’IRA et le MI 6, et qui permettait aux uns et aux autres de justifier leurs différents statuts, chacun auprès de sa communauté ou de la communauté internationale.

Un journaliste israélien sur le lieu du crime. 

Entre Israéliens et Arabes

Et si Israël s’est empressé d’apporter de l’eau au moulin de la thèse attribuant au Mossad l’assassinat de celui qu’on a qualifié d’ingénieur en aéronautique, en envoyant une équipe de télévision pour convaincre les récalcitrants, c’est qu’il doit bien y avoir une raison, peut-être celle d’inspirer à une opinion publique tunisienne, toujours aussi orgueilleuse et imbue de ses certitudes, la fierté de produire des savants de premier plan dans les domaines scientifiques les plus pointus à l’instar des médecins revendiquant haut et fort l’excellence qui émigrent en France.

Et c’est toujours ainsi : dès lors que l’on prétende à tort ou à raison qu’un Arabe ait atteint les sommets de l’intelligence dans des domaines réservés aux pays les plus puissants du monde, tout le monde arabe s’émerveille et espère qu’un jour, inchallah, nous récupérerons la place qui était celle de nos ancêtres à la tête de la civilisation humaine.

Que l’on se souvienne comment en Tunisie lors des jours ayant précédé Tempête du Désert, en 1991, tout le monde était convaincu que Saddam l’emporterait sur la coalition. On avait même montré des hadiths le prédisant.

En attendant, ce sentiment, que dis je, cette certitude là, est le meilleur moyen pour les Israéliens de nous laisser dans l’ignorance des transactions douteuses ou honteuses et des compromissions de toutes sortes qui, depuis 1948, constituent le quotidien des Etats… entre le Golfe et l’Océan.

* Cardiologues, Gammarth, La Marsa.

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