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Torture : Qui cherche à empêcher l’INPT de mener sa mission ?

L’Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT) n’a pas pu contrôler la réception d’un citoyen tunisien extradé de France.

Par Abderrazek Krimi

Dans un communiqué rendu public mardi 4 avril 2017, l’INPT a indiqué que ses membres ont été empêchés par la police de l’aéroport international Tunis-Carthage de contrôler la réception par les autorités tunisiennes d’un citoyen tunisien extradé de France sur le vol 1284 d’Air France. Ce dernier était, pourtant, accompagné par des membres de l’Association française pour la prévention de la torture.

L’INPT a considéré, dans son communiqué, que cet empêchement représente une violation flagrante des dispositions de la loi n° 43 de l’année 2013 relative à la création et à l’organisation de l’INPT, notamment les articles 12 et 13.

Elle a estimé, par ailleurs, que cet acte représente une restriction des activités de l’Instance et une entrave à la mission qui lui a été confiée par la constitution dans le domaine du contrôle de l’application de la loi et du respect de l’intégrité physique et de la dignité humaine.

L’Instance a appelé, en outre, le ministère de l’Intérieur à prendre les mesures légales nécessaires à l’encontre des agents qui ont entravé son travail afin que ce genre d’abus ne se reproduise plus.

Atteinte à l’indépendance de l’Instance

Il est à noter que l’INPT, créée en 2013, en vertu de la loi n° 43-2013, peine encore à exercer ses activités dans des conditions normales. Depuis mars 2016, date à laquelle l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a élu ses membres, elle est restée près d’une année sans local ni téléphone ni budget.

La loi portant création de l’instance lui accorde l’indépendance financière et administrative. Cependant la loi des finances a rattaché son budget à celui de la présidence du gouvernement, ce qui fait dire à l’un de ses membres, Me Lotfi Ezzedine, que cela constitue une atteinte à son indépendance.

Me Lotfi Ezzeddine.

Sur ce même volet financier, Me Ezzedine a indiqué à Kapitalis que l’instance, qui a réclamé un budget de 12 millions de dinars tunisiens (MDT) pour les deux années 2016 et 2017, nécessaires pour ses frais d’installation et d’équipements, ne s’est vue accorder que le douzième du budget réclamé, un montant très faible, qui ne lui permet pas de bénéficier de la logistique nécessaire, notamment des voitures pour le déplacement de ses membres dans les différentes prisons du pays.

D’autre part, la situation administrative des membres de l’instance reste encore bloquée. Ces derniers, qui viennent des professions libérales et d’autres établissements publics, sont encore en attente, depuis une année, de la signature par le chef du gouvernement du décret de détachement leur permettant de percevoir leurs émoluments, et ce malgré les promesses qu’ils n’ont cessé de recevoir de la part du gouvernement, dont la dernière en date fut celle du chef du gouvernement Youssef Chahed, lors d’une audience qu’il a accordé aux membres de l’Instance, en mars dernier.

Absence de volonté politique

Toutes ces entraves témoignent, selon Me Lotfi Ezzedine, de l’absence d’une volonté politique réelle, de la part du gouvernement, de lutter contre le fléau de la torture qui persiste encore après la révolution.

Me Ezzedine dénonce, dans ce cadre, l’insistance de ce qu’il a appelé «l’administration profonde» qui s’oppose encore à la mise en œuvre des lois et des réformes adoptées après la révolution.

Il a, par ailleurs, noté que le refus de respecter les différentes dispositions de la loi sur la la lutte contre la torture et de faciliter le travail de l’INPT risque de prendre des dimensions graves lors du retour des Tunisiens déboutés du droit d’asile en Allemagne et ceux revenant des zones de tension en Syrie, dont le nombre compte par milliers, craignant ainsi que l’obstruction observée hier ne représente un acte délibéré visant à dissuader l’Instance de contrôler le retour de ces Tunisiens et d’assurer le suivi des conditions de détention auxquelles ils seront soumis.

Me Ezzedine a fait remarquer, à ce propos, que le Bundestag allemand n’a voté la loi sur l’extradition des Tunisiens d’Allemagne qu’après s’être assuré de l’existence d’une instance de prévention contre la torture en Tunisie. Il a, par ailleurs, formé l’espoir que la création de l’INPT tunisienne ne soit pas un simple signal envoyé à l’opinion publique internationale, qui ne traduit pas une volonté réelle de la part du gouvernement de lutter contre la torture.

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