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Ordre et désordre : Le test anal et l’éthique médicale

La position exprimée par l’Ordre des Médecins sur la question de la pratique du test anal est nettement en retrait par rapport aux exigences de l’éthique médicale.

Par Dr Mounir Hanablia *

Avec la montée de l’intolérance en Tunisie, il devient important de déterminer au sein du pouvoir basé sur l’acquisition des compétences ce qui contribue à instaurer une société établie sur l’irrationnel, afin sinon de le combattre, du moins de ne point y collaborer à sa diffusion.

Peut-on prétendre, dans cet ordre d’idées, que le Conseil de l’Ordre des Médecins, l’une des franges les plus représentatives des connaissances dites positives, apporte sa contribution au maintien de la société de la connaissance?

Récemment un communiqué du Conseil de l’Ordre des Médecins a rappelé à ses membres la nécessité pour les experts de se conformer aux règles de la déontologie médicale lors des expertises judiciaires, particulièrement dans les affaires concernant l’homosexualité.

L’intrusion inquisitoriale dans la partie la plus intime du corps

Selon ce communiqué la déontologie requérait de la part du médecin expert d’obtenir de la part du sujet expertisé, autrement dit du suspect, son consentement libre et éclairé pour la pratique de l’examen, sans attenter à sa dignité, sinon de lui rappeler qu’il était de son droit de le refuser.

Autrement dit, aux yeux du Conseil de l’Ordre des Médecins, la responsabilité de l’acceptation ou du refus de l’examen, sous réserve qu’il fût considéré comme étant dégradant, était laissée à la discrétion du suspect, le respect de sa décision par l’expert étant suffisant pour le placer en conformité avec les exigences de la déontologie médicale.

Evidemment une prise de position de cette nature de la part d’un représentant officiel de la profession en charge de sa moralité et de sa probité est contestable. En effet, il est déjà assez difficile d’imaginer que dans la réalité des arrestations pour des motifs d’ordre sexuel, un consentement valable pour un tel examen puisse, ne serait-ce que se concevoir, pour des raisons évidentes.

Si le refus de l’examen constitue en effet aux yeux de la loi un aveu de culpabilité, existe-t-il encore une liberté de choix?

Quant à l’examen lui-même, difficile d’imaginer dans le contexte plus dégradant, il faudrait consentir à l’intrusion inquisitoriale dans la partie la plus intime du corps, pour l’établissement, non pas d’un diagnostic médical, mais un diagnostic de moralité. Et le problème se pose bien évidemment aussi pour les diagnostics de virginité.

Est-ce là véritablement le rôle dévolu à la médecine et au médecin? Si le médecin est tenu par la loi de signaler tout crime dont il aurait éventuellement eu connaissance au cours de l’exercice de ses fonctions, il est non moins tenu au secret médical et cela le place parfois dans des situations difficiles dont il doive néanmoins assumer les conséquences aussi fâcheuses soient elles.

La médecine et l’établissement de la vertu

Mais le rôle du médecin quelles que soient les opinions politiques et sociales qu’il puisse partager, n’est nullement d’établir la vertu, pour la bonne raison que celle-ci est le reflet d’un certain ordre moral, politique, économique, variable, et que justement l’obligation du médecin est de soigner indépendamment des croyances politiques et religieuses des patients.

Afin d’illustrer ces exigences de neutralité sans lesquelles des organismes internationaux comme la Croix Rouge ou le Croissant Rouge n’existeraient pas, le plus simple est d’en revenir au Serment d’Hippocrate, que tout médecin est tenu de professer lors de la soutenance de son doctorat dans tous les pays du monde civilisé. Il dit ceci : «Tout ce que je verrai ou entendrai au cours du traitement, ou même en dehors du traitement, concernant la vie des gens, si cela ne doit jamais être répété au-dehors, je le tairai, considérant que de telles choses sont secrètes.»

Il y a donc déjà là une disposition, un état d’esprit, concernant la vie des gens, que le médecin, de par sa profession, ne doive pas révéler.

Maintenant le médecin est tenu d’apporter son aide à la justice lorsque celle-ci la mande pour l’établissement de la vérité, en particulier celle concernant des crimes; tout dépend donc de ce qu’on appelle crime, dans le droit pénal, il s’agit de l’assassinat, du meurtre, du viol, et des homicides sans l’intention de la donner, la torture; c’est-à-dire les agressions contre l’intégrité physique de la personne pour lesquelles l’appel à la médecine légale peut être requis.

Naturellement les diagnostics d’infraction vaginale ou anale ne font pas partie, hors les cas de viol, du répertoire.

Pourtant depuis des années le médecin en Tunisie a choisi de collaborer à l’établissement d’expertises qui ne sont normalement pas de son ressort, et sans doute dans la plupart des cas avec une bienveillance en contradiction flagrante avec les exigences du serment que l’expert est tenu de respecter. Mais c’était un temps où l’évolution de la société n’était nullement menacée par le retour à des pratiques d’un autre âge, comme la police des mœurs, l’excision des filles, les violations de la vie privée d’ordre religieux sous couvert de procédures judiciaires.

Aujourd’hui ce n’est plus le cas et le médecin est désormais tenu de refuser les expertises judiciaires hors du cadre reconnu de l’exercice professionnel, et c’est au Conseil de l’Ordre des Médecins de veiller à ce qu’il en soit ainsi.
En effet un refus non justifié d’une réquisition par la justice de la part d’un médecin peut lui valoir des sanctions pénales et c’est justement pourquoi l’instance ordinale est tenue de clarifier sa position vis-à-vis du pouvoir judiciaire.

C’est bien beau de dire que l’article 230 du code pénal doive être supprimé. Mais le législateur traîne les pieds depuis le temps pour des raisons purement politiques qui n’ont rien à voir avec les nécessités d’instaurer des lois conformes aux exigences de la modernité, et qui ont trait à la survie de la coalition parlementaire actuellement au pouvoir.

Selon un communiqué de Human Rights Watch, de mars 2016, «l’Ordre des Médecins devrait émettre une circulaire ordonnant à tous les médecins de ne pas prendre part à des examens anaux, la pratique de ceux-ci constituant une violation de l’éthique médicale».

On voit donc que la prise de position de l’Ordre des Médecins sur la question est nettement en retrait par rapport aux exigences de l’éthique médicale, elle fait endosser la responsabilité du consentement de l’examen au seul suspect et se désintéresse complètement du sort de ceux parmi ses membres qui par conscience refuseraient de se prêter à un détournement vers des considérations politiques ou judiciaires qui ne constituent raisonnablement pas la raison d’être de leur profession.

Une peu glorieuse sinon coupable collaboration

Ce faisant, volontairement ou non, mises à part les opinions qu’on puisse avoir sur des questions de société comme l’homosexualité ou la liberté des mœurs, l’Ordre des Médecins contribue objectivement au maintien de normes sociales et judiciaires dont, quelles que soient la nature, il n’entre nullement dans ses attributions de les perpétuer.

C’est d’autant plus incompréhensible qu’il y a quelques semaines, l’Ordre des Médecins avait été parmi les signataires de l’appel à l’établissement d’un code de la profession censé protéger et les médecins et les malades. Plus que cela, il avait même appelé à dépénaliser la pratique médicale dans le contexte que l’on sait.

On est ainsi passé des formes les plus extrêmes des revendications déraisonnables, concernant une illusoire impunité pénale, à une peu glorieuse sinon coupable collaboration, dont les répercussions sur la société ne sont pas moins évidentes. Or s’il n’est pas dans les attributions des médecins d’influer en tant que corps professionnel sur le choix de société des peuples dont ils oeuvrent à alléger les souffrances, c’est leur droit et même leur devoir de se conformer aux normes éthiques de leur profession qui contribuent à en maintenir l’indépendance et la spécificité. Ce faisant ils en assurent simplement le caractère humain sans lequel il ne saurait y avoir ni confiance ni collaboration du malade.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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