Les municipales de décembre 2017 sont inutiles : un scrutin juste voulu pour épater la galerie, prétendre être une démocratie et imposer un résultat prévu à l’avance.
Par Farhat Othman *
En tant qu’acte majeur d’une démocratie locale se voulant innovante, les municipales ne doivent pas reproduire les errements des élections passées, notamment au niveau du scrutin qui a livré le pays aux marchandages partisans. Aussi, il importe de les reporter pour assainir au préalable l’état législatif du pays, condition incontournable de tout vrai système se voulant de droit.
Une démocratie de rebut
Il est encore des politiciens qui croient tromper le peuple en se satisfaisant du seul label de la démocratie réduite à une coquille vide, se limitant au cérémonial des élections justes bonnes pour assurer le pouvoir aux privilégiés parmi eux se voulant les plus méritants à l’exercer.
Cette conception n’est pas particulière à la Tunisie, ayant déjà cours en Occident; mais on veut l’y implanter à la faveur de l’effervescence qui a gagné le pays depuis son coup du peuple, et ce contre sa volonté pour un véritable État de droit. Or, en Occident, si la démocratie est en crise, devenue même une démoncratie (daimoncratie), le pouvoir des démons de la politique, ses travers sont, plus ou moins, contrecarrés par un arsenal de lois effectives et la vivacité de l’esprit libre de la majorité des citoyens.
En Tunisie, si on a une société civile qui se libère de plus en plus, elle ne reste pas moins colonisée encore, soit par une occidentalite aiguë soit par une orientalité passée de saison. Aussi n’a-t-on que le rebut de ce régime politique qu’est la démocratie qui est déjà en pleine rénovation en Occident.
Il nous faut savoir que, même dans les pays occidentaux, on refuse désormais le schéma classique de ce qu’on appelle démocratie d’élevage, faite du folklore des rendez-vous électoraux, de l’opéra bouffe. En effet, on planche actuellement sur un nouveau type d’exercice pratique du pouvoir social, une sorte de démopraxie, ce que je nomme démoarchie, quitte à verser pendant un temps dans la démocratie sauvage, comme chez nous. Mais ils ont les lois pour l’encadrer, en atténuer les écarts; pas nous !
Écart entre le réel et le mental
Ce n’est, en effet pas, ce que nous avons en Tunisie qui croule toujours sous le joug de la législation de la dictature. Au lieu de s’engager activement à réformer ces lois scélérates qui font le martyre de la société, tuant à petit feu sa jeunesse, l’acculant au désespoir du terrorisme, on s’évertue à les maintenir non seulement en l’état, mais en les aggravant aussi par de faux fuyants, de fausses avancées, comme avec la dernière loi sur les violences faites aux femmes.
Sur le plan politique, cela est même une industrie sophistiquée faisant du système électoral la panacée, alors qu’il est manifestement néfaste dans sa déclinaison choisie, étant déconnectée des réalités sociologiques du pays. C’est ce qui fait, pour l’essentiel, la crise de la Tunisie.
En effet, elle est bien plus mentale qu’économique, tenant à cet écart ahurissant entre des lois obsolètes auxquelles s’accrochent névrotiquement des élites soucieuses d’user et d’abuser du pouvoir et une mentalité populaire qui n’a plus rien à voir avec le conservatisme d’antan. Ce dont on n’a cure, usant de la feuille de vigne de la mentalité populaire qui s’opposerait à la moindre innovation, alors que le peuple est bien prêt à tous les progrès que ne refusent donc que ses élites sclérosées, accrochées à des lois liberticides fondant leurs privilèges.
Aussi continuent-elles à se prévaloir de ce qui ne marche plus en Occident, singeant même ce qu’il rejette de plus en plus, cette démocratie réduite au souk des élections, un produit de robba vecchia comme on dit de la marchandise de rebut qu’on nous fourgue sous label de produit de balle ou déclassé (fameuse Bala populaire).
Les élections ne font pas la démocratie
L’État démocratique dont on nous parle est un mythe, ne correspondant qu’aux appétits voraces de certains pour commander, se servir du pouvoir à leurs fins occultes tout en prétendant servir le peuple. La preuve en est que les libertés et droits consacrés par la Constitution restent inopérants et la législation de la dictature toujours en vigueur. Au service de qui ? De la classe dirigeante, bien évidemment !
Comme cette dernière n’entend pas cesser de jouer la comédie du pouvoir du peuple, prétendre gouverner en son nom, alors le peuple manifeste son désaveu en boycottant leur mascarade de démocratie au rabais. Car il pense à juste titre que la Tunisie mérite bien mieux.
Dans sa majorité, le peuple tunisien s’est donc désintéressé de l’inscription sur les listes électorales, un fiasco pour l’Instance supérieure indépendantes des élections (Isie) qui n’est même plus en conformité avec la légalité, ses membres démissionnaires n’ayant pas encore été remplacés. Pourtant, au lieu de juger à bon escient du désintérêt populaire pour les municipales devant normalement intéresser bien plus que les législatives et la présidentielle, on persiste dans le dévergondage de la politique en prétendant trouver des solutions toutes prêtes, les puisant dans un Occident en crise morale mais qu’on continue à singer.
La dernière trouvaille semblant faire son chemin serait d’envisager de rendre le vote obligatoire. Et quoi encore? Même si cela se fait dans certains pays occidentaux, comment accepter une telle aberration logique consistant à faire devoir d’un droit? Quelle différence y a-t-il alors avec une dictature qui imposait ses résultats à l’avance comme on veut imposer une participation à un scrutin juste voulu pour épater la galerie, prétendre être une démocratie tout en imposant un résultat prévu à l’avance?
Qu’on ose le reconnaître donc si l’on a un minimum d’honnêteté : la vraie démocratie ne se réduit pas à des élections, nettement peu représentatives, mais d’abord à la présence de lois justes consacrant la dignité de citoyen.
D’abord un cadre législatif juste!
La dignité du citoyen suppose de commencer par la mise en oeuvre d’une Constitution à ce jour lettre morte. Bien plus et mieux que les élections, elle est dans les lois du pays. La dictature tenait bien à organiser des élections, était-elle démocratique pour autant? Quelle différence y a-t-il donc entre le régime déchu et l’actuel, les deux cherchant à placer leurs affidés au pouvoir via des élections?
Déjà, on ne peut prétendre à l’instauration d’une démocratie locale sans abrogation préalable des lois nationales scélérates de la dictature, car ce serait diffracter les excès d’une dictature nationale au niveau municipal pour avoir autant de petites dictatures que de municipalités. Ensuite, la supposée légalité actuelle est écornée par le fait de fixer des élections municipales avant l’adoption du Code devant définir la physionomie de la vie locale.
Enfin, et on l’a dit et répété : le type de scrutin retenu est le plus mauvais pour l’émergence d’un véritable pouvoir local, noyau d’une démocratie participative. C’est un scrutin uninominal qu’il faut en Tunisie, notamment pour de telles élections, afin de personnaliser le rapport de l’électeur et de l’élu. Bien mieux, il est possible et impératif d’envisager innover en matière de rapport entre l’électeur et l’élu par un contrat de mission devant s’imposer à l’élu, au vu duquel il serait jugé non pas d’une élection l’autre, mais en cours d’exécution du mandat avec possibilité d’éviction en cas de non-respect des termes du contrat.
Tout cela aurait dû être prévu et peut encore l’être si la volonté politique existe. Si l’on veut vraiment édifier dans ce pays un État de droit, il importe d’arrêter de jouer la comédie actuelle en se satisfaisant de slogans creux et d’instruments sans réel impact sur la vie citoyenne.
Les municipales doivent donc être repoussées au lendemain de l’adoption du Code des collectivités locales et d’un autre mode de scrutin en harmonie avec la sociologie du pays. Bien mieux, il importe d’assainir d’abord la législation nationale en abrogeant ses plus viciées lois. C’est ce que commandent logique et objectivité. Sinon, on va droit vers une catastrophe commençant par le désintérêt aux listes électorales, passant par un désintérêt plus grand du scrutin, prenant même l’allure d’un boycott, qu’il y ait ou non obligation de vote. Ce qui serait, au demeurant, le comble d’un régime redevenu dictature ! Un comble à la veille du septième anniversaire de la révolution, un âge de majorité pour les peuples.
* Ancien diplomate.
Donnez votre avis