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Mort sous anesthésie et sécurité des soins en Tunisie

Le niveau de l’anesthésie en Tunisie est parfaitement honorable, mais il reste à développer la culture de sécurité, pour réduire les complications liés aux soins.

Par Dr Karim Abdessalem *

La grande majorité des personnes qui ont à subir une intervention chirurgicale vont se soucier avant tout de l’anesthésie générale. La principale question posée est de savoir s’il y a un risque de ne pas se réveiller et de mourir.

Ce risque est bel et bien réel mais heureusement rare. Avoir une anesthésie générale est généralement plus sûr que de monter dans sa voiture.

Les risques de l’anesthésie

En France, les derniers chiffres montrent que l’anesthésie est totalement responsable de 6,9 décès pour un million d’actes pratiqués et qu’elle en est partiellement responsable dans 47 fois sur un million.

Une réaction allergique mortelle au produit injecté est un exemple où l’anesthésie est la cause directe et entière du décès. Une chute de tension artérielle pendant l’anesthésie chez un patient coronarien sévère peut entraîner un infarctus et un arrêt cardiaque. Dans ce cas, on considère que l’anesthésie est en partie responsable du décès.

Le taux de mortalité augmente chez les sujets âgés, chez les patients porteurs de maladies graves, dans le contexte de l’urgence et en cas de chirurgie lourde (ablation d’un poumon, chirurgie du foie, pontage coronaire…). Dans ces situations, en particulier lorsqu’elles sont associées, l’implication de l’anesthésie dans les causes de décès est difficile à établir. Par contre, si les moyens de prévention de détection et de traitement des complications ne sont pas correctement mis en œuvre, la responsabilité médicale de l’anesthésiste est engagée.

L’anesthésie générale, par injection de médicaments et/ou par inhalation de gaz, consiste à induire un sommeil profond, à supprimer la douleur et à relâcher les muscles afin de réaliser l’acte chirurgical.

A l’inverse, l’anesthésie locorégionale «endort» seulement la partie du corps où doit avoir lieu l’intervention par le blocage des nerfs innervant cette région. Il faut savoir que l’anesthésie locorégionale n’est pas toujours praticable, ni toujours moins risquée que l’anesthésie générale.

A côté des accidents mortels, l’anesthésie peut être responsable d’un nombre important d’événements indésirables plus ou moins sévères : bris dentaires, lésions veineuses, reprise de la conscience pendant l’intervention, traumatisme de nerf, sténose trachéale ou, encore plus grave, coma prolongé.

Les statistiques françaises vues plus haut montrent une baisse de la morbi-mortalité anesthésique d’un facteur 10 en 20 ans. Plusieurs éléments ont contribué à ce résultat : formation continue des soignants, élaboration de recommandations de bonnes pratiques, consultation pré anesthésique obligatoire pour prendre connaissance d’une pathologie ou d’une allergie du patient, amélioration du rapport qualité risque des drogues, performance accrue des machines, diffusion des équipements de surveillance et des salles de réveil et, aussi et surtout, développement d’une culture de sécurité des soins.

Améliorer la culture de sécurité

En effet, il est clairement établi que la cause des accidents en anesthésie est rarement liée au manque de connaissance du personnel; le plus souvent, ils sont le fait de défauts d’organisation, d’absence de vérification, d’insuffisances de coordination ou de communication, bref qu’ils sont liés à un manque de culture commune de sécurité.

Améliorer la sécurité des patients implique de prendre en compte la culture de sécurité des soignants. En fait, le succès de toute intervention ayant pour objectif la sécurisation des soins et la réduction des effets indésirables doit obligatoirement passer par le développement d’une culture de sécurité auprès des soignants. Celle-ci consiste à introduire un véritable changement des mentalités au plan de l’organisation du travail et dans les attitudes individuelles du personnel pour faire que les questions relatives à la sécurité du patient soient une priorité.

Cette prise de conscience est valable aussi bien pour l’anesthésie que pour les autres disciplines médicales.

L’idée sous-jacente est d’aboutir à ce que chaque tâche soit exécutée correctement, avec diligence, de manière réfléchie et avec le sens des responsabilités requis pour avant tout mettre le patient à l’abri d’accidents.

Autrement dit, la culture de sécurité c’est ce qu’on fait quand personne ne nous regarde.

Le niveau de l’anesthésie en Tunisie est parfaitement honorable. Nos jeunes spécialistes se recrutent aisément en Europe, nos CHU sont dotés d’un équipement digne des plus grands centres et les malades viennent se faire opérer de pays lointains. Mais ce qui nous manque c’est la culture de sécurité, condition sans laquelle nous ne pouvons, ni réduire les complications liés aux soins, ni nous hisser aux premiers rangs dans la spécialité.

Ce manque de culture de sécurité est visible à l’œil nu. Une étude de l’équipe de Nabiha Bouafia l’a prouvé**. Il est grand temps que les managers du système de santé fassent de l’amélioration de la sécurité des soins et de la diffusion d’une culture de sécurité un programme national prioritaire.

* Anesthésiste réanimateur.

** Nabiha Bouafia et al., «Mesure de la culture sécurité des soins auprès des médecins dans un hôpital tunisien», Santé Publique, 2014/3 (Vol. 26), p. 345-353.

 

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