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Le Pakistan, 70 ans après : Les illusions perdues

Le Pakistan, ce pays taillé sur mesure à l’origine pour les musulmans anglicisés, est devenu le principal sponsor du terrorisme islamiste dans le sous-continent indien.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le 14 août 1947. Jawaharlal Nehru annonçait au monde l’accès de l’Inde à l’indépendance en ces termes : «Cette nuit, nous nous éveillons à la liberté!». Au même moment, à Karachi, le Pakistan, ce territoire à majorité musulmane détaché de l’Inde, fêtait l’avènement de l’indépendance, sous la férule de son fondateur, l’avocat de Bombay Mohammed Ali Jinnah.

Hindous et Musulmans : la méfiance en partage

Nehru et Jinnah, ces noms allaient symboliser l’antagonisme entre les Hindous et les Musulmans, auquel on attribuerait la naissance des deux nations séparées, puis les guerres qui les opposeraient.

Pourtant, peu de choses en vérité séparaient les deux hommes. Nehru était un brahmane hindou du Kashmir parfaitement anglicisé qui avait fait ses études de droit à Londres où il était devenu avocat et qui était agnostique sur le plan des convictions personnelles, et qui en tant que leader du Congrès National Indien, prônait la création d’une Inde laïque séculière dont tous les citoyens seraient égaux quelle que soit leur communauté.

Jinnah, lui, en tant qu’ismaélien, était membre d’une secte hétérodoxe du chiisme, dont le grand père, un brahmane hindou, s’était converti à l’islam, et il était également avocat du barreau de Londres.

Tous deux étaient en outre de parfaits adeptes d’un certain savoir-vivre british, et sans la propension de Nehru à revêtir les uniformes des militants nationalistes, ils auraient pu passer pour des Indiens parfaitement intégrés dans l’establishment britannique.

Nehru et Jinnah, artisans de la partition, avaient pourtant tout pour s’entendre. 

Que Jinnah devînt donc le leader d’un parti politique séparatiste prônant la création d’un pays indépendant dont les citoyens auraient pour unique point commun de partager la même foi religieuse, et dont l’Etat aurait pour finalité l’adoption plus ou moins totale d’un corps législatif issu de la charia, ne laisse toujours pas d’étonner.

En fait, en tant qu’ismaélien descendant de brahmanes, Jinnah était accusé d’être toujours hindou par les clercs musulmans. En tant qu’adepte du whisky et des costumes trois pièces, il était considéré comme un faux musulman par les Britanniques. Et en tant qu’ex-membre du Parti du Congrès puis chef d’un parti politique séparatiste, comme un agent britannique par les Hindous.

Jinnah avait donc réussi le tour de force d’unifier toutes les communautés de l’Inde, y compris la sienne, dans la méfiance vis-à-vis de lui-même.

Quant à Gandhi, beaucoup de Hindous lui avaient attribué la responsabilité de la partition dont était née le Pakistan et il serait assassiné pour cela. Pourtant les choses n’avaient pas toujours été ainsi et, dans les années 1920, les Hindous du Congrès s’étaient rangés du côté des Musulmans dans le mouvement de protestation dit du califat lorsqu’Atatürk en avait prononcé la dissolution.

Du divorce à la partition

Il faut donc considérer que certains événements ont eu lieu ultérieurement à cette période marquant le début du divorce qui allait conduire à la partition. Prétendre que les Anglais n’y furent pas étrangers serait contraire à la vérité; ces derniers avaient décidé d’accorder des collèges électoraux séparés, en particulier dans les régions à majorité musulmane.

Des journées d’action déclenchées par la ligue musulmane après de supposées promesses d’indépendance tenues par les Anglais aux Hindous, aboutirent à des actes de violence et à des heurts entre les deux communautés, qui finirent par creuser un fossé de plus en plus insurmontable, et finalement conduisirent à la revendication d’un Etat musulman séparé.

Mais c’est un fait : une grande partie de la nouvelle classe politique de ce qui allait devenir le Pakistan était issue de l’élite anglicisée de la communauté musulmane indienne, et c’est en tant que telle et grâce au parti de la Ligue musulmane instrumentalisé entre ses mains qu’elle avait soulevé l’exigence de l’indépendance afin d’obtenir un pays où elle aurait exclusivement la jouissance du pouvoir, qu’elle croyait impossible dans un Etat séculier où elle serait à jamais minoritaire.

La création des collèges séparés n’avait pourtant pas été l’unique cause de divergence entre les communautés; depuis la fin du XIXe siècle, la communauté hindoue dont le poids économique était devenu prépondérant et qui s’était ouverte d’une manière beaucoup plus importante aux changements introduits par l’occupant britannique, en particulier dans le domaine scolaire, avait conduit à un usage de plus marqué de l’écriture Devanagari, et surtout à une relecture de l’Histoire de l’Inde inspirée par celle d’historiens anglais qui considéraient les musulmans indiens comme le reliquat des envahisseurs turco mongols et afghans qui n’avaient apporté aucun bienfait au pays dont ils s’étaient rendus maîtres. Des thèses qui seraient mises en sourdine au sein du parti du Congrès au nom de l’unité nationale, mais qui seraient reprises par les chauvinistes hindous.

Mais la plus grande raison avait été la politique de division suivie par l’occupant anglais, dont en 1944, une partie importante de l’armée chargée de défendre le sous-continent de l’attaque japonaise à Imphal et Kohima, en Assam, en provenance de Birmanie, était musulmane, originaire essentiellement du Punjab.

Des frontières tracées au crayon dans une chambre d’hôtel

C’est justement le Punjab, en majorité musulman, qui serait le siège des événements les plus graves de la partition, et dont serait souvent responsable la communauté Sikhe, qui possédait tous ses lieux saints sur ce territoire où avaient émergé sa conscience historique et religieuse. Et Lord Mountbatten, le dernier vice-roi , en informant les Indiens de la décision de son pays de se retirer dans les deux mois, du sous-continent qu’il avait administré pendant deux siècles, sans avoir fait connaître les frontières définitives séparant l’Union Indienne du Pakistan, avait déclenché l’un des plus grands et des plus tragiques exodes de l’histoire, intéressant 12 millions de personnes et entraînant un massacre et 1 million de personnes, ainsi qu’un nombre incalculable d’enlèvements, de viols, et de mariages forcés.

Les communautés avaient en effet fui leurs villages, leurs terres, les territoires où elles avaient toujours vécu, par crainte de se retrouver dans un pays dont elles ne seraient qu’une minorité persécutée.

Ce serait finalement l’avocat anglais Cyril Radcliffe qui, ne connaissant absolument rien au pays qu’il charcuterait, prisonnier dans une chambre d’hôtel , se chargerait de délimiter sur une carte géographique les nouvelles frontières séparant les deux pays, en traçant au crayon des traits dont les conséquences seraient, sur les plans humain, politique et stratégique, tragiques pour des millions de personnes, et concédant les districts frontaliers à majorité musulmane, au Pakistan, et les autres à l’Inde.

Cette manière de procéder allait pourtant subir des entorses, la plus dramatique étant celle accordant le district frontalier de Gurdaspur, pourtant peuplé de musulmans, à l’Inde, parce qu’il constituait la seule voie de passage terrestre disponible conduisant de l’Inde au Kashmir, lui aussi musulman.

Le Kashmir, la principale pomme de discorde qui empoisonnerait jusqu’à ce jour les relations entre les deux pays désormais puissances atomiques, et l’un des territoires à risque de conflit nucléaire dans le monde.

Mais si l’Inde est devenue aujourd’hui une grande puissance économique mondiale, son évolution actuelle mettant en exergue le chauvinisme culturel hindou et son corollaire linguistique hindi, expose, à terme, l’unité du pays à un scénario à la Yougoslave. Et ses relations frontalières avec l’autre grand de l’Asie, la Chine, n’ont toujours pas été réglées.

Le Pakistan est devenu l’un des fiefs (et cible) du terrorisme islamiste. 

Pakistan : un pays sur un volcan

Quant au Pakistan, ce pays taillé sur mesure à l’origine pour les musulmans anglicisés, il finirait d’abord par éclater en 1971 face à la frustration des musulmans du Bengale, majoritaires mais exclus du pouvoir, avant de devenir en 1980, en association avec l’Arabie Saoudite, le bastion de la résistance face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan, puis, selon le journaliste Ahmed Rachid, en 2001, le principal sponsor de l’intégrisme religieux, et du terrorisme islamiste, dans la région, et l’une des principales cibles de la guerre américaine contre le terrorisme.

Aujourd’hui, le Pakistan, désormais menacé de soif par les récentes initiatives de l’Inde sur les eaux de l’Indus, est l’un des pays au monde dont la population est la plus pauvre, la plus analphabète, et dont la condition féminine est la plus désastreuse, et sur ce plan, il ne diffère pas de beaucoup de son frère ennemi indien.

Certes ce pays, grâce au corridor de prospérité économique, est devenu un important débouché terrestre de la Chine vers la mer d’Oman, lui assurant une sécurité appréciable néanmoins au prix d’un véritable protectorat. Mais 70 ans après, il est permis de se poser la question: les élites musulmanes de l’Inde avaient-elles vraiment fait le bon choix en obtenant un pays pour elles?

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

 

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