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Myriam Chaker, Nidaa Tounes et l’art de la récupération

Myriam Chaker, fille de feu Slim Chaker, a rejoint Nidaa Tounes, deux semaines seulement après le décès de son père. Cette adhésion interpelle par plus d’un aspect.

Par Marwan Chahla

En des circonstances normales, qu’un citoyen décide d’adhérer à un parti politique ne devrait pas susciter plus d’intérêt qu’un bulletin météo qui annonce une journée ensoleillée, en plein mois d’août, dans le sud tunisien.

Myriam Chaker, femme, 30 ans et médecin

Sauf que là, dans le cas de la fille du défunt ministre de la Santé, décédé dans l’exercice de ses fonctions, certaines questions se posent d’elles-mêmes, s’imposent.

S’engager en politique, ainsi que vient de le faire Myriam Chaker, à 30 ans, est tout à son honneur et à l’honneur de la jeunesse tunisienne que d’aucuns accusent d’avoir tourné le dos à la chose politique: cette décision redonnerait espoir à ceux de nos élites qui regrettent de constater que nos jeunes ne veuillent plus de leur 14 janvier 2011 ou ceux d’entre les analystes qui n’ont jamais cessé s’inquiéter face à l’usurpation de la révolution de 2011…

A plus d’un titre, le cas de Myriam Chaker mérite qu’on s’y attarde. Il en dit long sur la stratégie d’un parti politique, Nidaa Tounes, qui a vite fait, au lendemain de son accession au pouvoir, fin 2014, d’accumuler les erreurs, d’imploser, d’exploser et de subir des crises, les unes après les autres.

La fille de feu Slim Chaker serait un symbole: jeune, femme et médecin. Répétons-le: elle représente la jeunesse (qui a dégagé Ben Ali) et la femme tunisienne (qui a massivement voté pour Béji Caïd Essebsi et son Nidaa et qui a donc «dégagé» Ennahdha du pouvoir), et elle est diplômée (à un niveau d’instruction à peine au-dessus de celui des 220 à 250.000 diplômés de l’enseignement supérieur qui sont toujours à la recherche d’un emploi).

En somme, si le jeu de l’identification est automatique, l’on serait tenté de dire que Hafedh Caïd Essebsi (HCE) et Borhen Bsaïes, l’esprit stratégique de Nidaa Tounes, ont frappé «un bon coup». Par la seule adhésion de Myriam Chaker, ils auraient récupéré une tranche d’âge, un sexe et une catégorie sociale électoralement très appréciables.

Imaginons, un instant, que cela se traduise vraiment en bulletins de vote, à l’occasion des prochains scrutins: le parti des Caïd Essebsi, père et fils, serait assuré de rafler toutes les mises électorales à venir !

Comparaison est raison

De plus, il n’y a pas que cela dans le cas de Myriam Chaker, car l’adhésion de cette jeune femme est encore plus significative: outre la carrière politique de son défunt père, elle charrie également les parcours historiques des Hédi et Mohamed Chaker…

Toute proportion gardée, et tout contexte respecté également, cette récupération ressemble, à quelques détails près, à celle de Khaoula Rachidi, l’étudiante de la Faculté des lettres de la Manouba qui, le 7 mars 2012, a tenu tête au salafiste qui tentait d’arracher le drapeau tunisien pour le remplacer par l’étendard noir des salafistes.

Quelque temps à peine après son geste héroïque, Khaoula Rachidi, «la jeune femme du drapeau tunisien», âgée alors de 26/27 ans, s’est retrouvée sur le devant de la scène d’un grand meeting de Béji Caïd Essebsi…

Symboliquement, Khaoula Rachidi – jeune, femme et diplômée (étudiante en mastère de lettres françaises) – avait tout pour plaire à Nidaa Tounes: la vitalité et le militantisme de son âge, son genre majoritaire et son appartenance à cette catégorie intellectuelle et sociale qui construira «la Tunisie de demain», selon la formule consacrée.

Comparaison n’est pas raison, nous rappelle la sagesse populaire. Mais convenons-en que, sous HCE, l’exercice de la récupération politique est devenu un art, une science.

Il suffit pour l’internaute de googler le morceau de phrase «a rejoint Nidaa Tounes» pour se rendre que la récupération est une pratique de tous les instants et en tous genres, dans le vaisseau fantôme qu’est devenu ce parti.
Googlez, aujourd’hui, le nom de feu Slim Chaker et c’est la photo de HCE recevant Myriam Chaker au siège de Nidaa Tounes qui surgit sur l’écran de votre ordinateur.

C’est cela aussi les Affaires politiques et la Com’ de Borhen Bsaïes… et de HCE.

Nous ne jugeons, nous nous contentons de constater et de nous interroger : que restera-t-il, dans quelque temps, de ce coup de pub ?

 

La fille de Slim Chaker rejoint Nidaa Tounes

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