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Un Zinelabidine en cache un autre : Le narcissique de la culture en Tunisie

Le bilan du ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine a été, jusque-là, une cascade de démissions et de fiascos qui ont défrayé la chronique.

Par Ali Bouaziz *

Le casting du gouvernement d’union nationale annoncé le 20 août 2016 a révélé une grosse surprise, en l’occurrence, la désignation de Mohamed Zinelabidine à la tête du ministère des Affaires culturelle. De tout le paysage culturel tunisien, on a choisi de désigner à la tête de cet important ministère une relique de l’ère Ben Ali, alors que ses faits d’armes se résument en une multitude d’actions accomplies dans le seul dessin de redorer le blason de son ancien suzerain.

Dans sa biographie qu’il a publiée sur Blogvie, il se targue d’avoir eu trois doctorats, aucune n’est publiée; et d’avoir organisé plus de 80 manifestations entre congrès, colloques et symposiums nationaux et internationaux en Tunisie bien sûr, aux États-Unis, au Canada, en Algérie, en Chine, en France, à Taiwan, en Suisse, au Maroc, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en Jordanie, en Égypte, en Italie, en Russie, en Pologne, en Tchéquie, en Grèce, en Grande Bretagne et même en Corée du Sud.

Quand on sait que la moindre critique envers le système Ben Ali valait une confiscation du passeport, monsieur, membre de l’establishment culturel, sillonnait le monde en VRP du régime pour louer ses «munificences» envers la culture et le monde culturel tunisien.

La première contestation fut presque immédiate : une pétition a circulé, fin août 2016, contre cette nomination intitulée «Pétition contre les sinistres de la culture, pour une politique culturelle qui tranche avec la propagande». Sa teneur est encore d’actualité, elle résonne toujours: «Il nous est très difficile de faire confiance à un ministre qui a mis son savoir au service de la dictature : les colloques qu’il a organisés à l’intérieur du pays et à l’étranger, ses articles, ses études et ses livres sont éloquents. Ils témoignent de son art de la flatterie et de la flagornerie. Son rôle dans l’accentuation de l’hégémonie du pouvoir autoritaire et du narcissisme de l’‘‘instigateur du changement’’ est sans conteste.»

La seconde grande réaction fut celle de notre professeur à tous, monsieur Abdeljalil Temimi à qui le ministre des Affaires culturelles a promis monts et merveilles pour l’achat juste et justifié des publications de sa fondation.

Lassé, il lui adressa une lettre ouverte le 10 mars 2017 lui annonçant son net refus de s’inscrire dans une politique de propagande pour le compte de son excellence monsieur Mohamed Zinelabidine, qui croyait que tous les gens sont vénaux et véreux. Il lui rappela que son excellence n’a pas respecté une convention en bonne et du forme passée entre son département et la fondation Temimi. Néanmoins, il lui signifia que tout compte fait il ne regrette pas son désistement.

La Lettre ouverte du professeur Temimi a été précédée par la démission fracassante d’Amel Moussa de la direction du Festival international de Carthage, le 6 mars 2017, à cause de l’ingérence outrancière de l’entourage de son excellence dans la gestion des affaires courantes de ce festival. Elle fut aussi secondée par la démission non moins fracassante de Fathi Bahri de la direction de l’Institut national du patrimoine (INP), le 17 mars 2017, qui se sentait persécuté par son chef hiérarchique.

Moi-même, le 31 mars 2017, j’ai demandé audience avec son excellence pour juguler les renoncements de son département à respecter les termes d’un contrat passé entre la société Exhauss Publisher, dont je suis le fondateur, et le ministère des Affaires culturelles. L’audience fut accordée le 3 avril 2017. Il m’a montré un grand respect pour l’action qu’on a entreprise dès 2006 pour la sauvegarde de la mémoire d’Ibn Khaldoun via notre site qui lui est dédié. Chevaleresque, il intima à sa directrice du cabinet du moment d’enrayer les entraves devant le versement de la deuxième tranche de la subvention allouée à notre site qui plus est vraiment dérisoire n’excédant pas ce que perçoit un apprenti chanteur nasillant dans un patelin perdu dans le cadre d’un festival d’été subventionné par notre auguste ministère.

Naïf, j’avoue que je l’étais en croyant aux saynètes de Son excellence qui se trouvaient être des berceuses pour faire capoter le site à feu doux. Preuve à l’appui, il a tout fait pour l’étrangler fut-il par l’usage de moyens pas trop catholiques. Bizarre posture prise par quelqu’un dont la mission est de protéger les productions culturelles de son pays, singulièrement celles qui comblent un trou béant que l’État n’a jamais comblé en l’occurrence un site consacré à Ibn Khaldoun. Qu’attendons-nous d’un ministère qui n’a pas su protéger son site du piratage et qui continue à utiliser un site de rechange grabataire consacré essentiellement au matraquage en faveur de la personne de son excellence.

Plus grave, il tue sciemment un site tunisien consacré à Ibn Khaldoun, en même temps il se démène pour inscrire la ‘‘Muqaddima’’ dans le Registre international Mémoire du monde; il croit, fallacieusement, que nous sommes des concurrents intrépides, alors que nous devons être des partenaires loyaux.

Dernièrement, deux démissions au ministère des Affaires culturelles ont défrayé la chronique. La première, voulue, celle de Hela Ouardi, directrice générale du livre, qui a claqué la porte suite à sa découverte de soupçons sérieux de malversation où le président de l’Association des éditeurs tunisiens serait impliqué, alors que son excellence aurait voulu étouffer l’affaire.

L’autre «démission», subie, celle de Moez Mrabet, directeur du Festival international de Hammamet, limogé parce, grâce à ses réussites, il commence à percer dans le paysage culturel tunisien. Son excellence en Procuste entaille tous les membres qui dépassent les limites de son lit. Il lui a même dressé un procès d’intention lors de la discussion du budget du ministère des Affaires culturelles à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), c’était vraiment ubuesque. Il faut dire qu’on a aujourd’hui deux Zine El Abdine en un, son excellence ayant de qui tenir en matière de procès staliniens.

Après plus d’un an de son mandat, son excellence n’a fait qu’accumuler les fiascos indéniables.

Le fiasco retentissant des festivités de Sfax capitale de la culture arabe qui a laissé une facture de 5 millions de dinars tunisiens (MDT) sans aucune contrepartie valable. Au lieu de créer une adhésion collective et un enthousiasme envers ces festivités, l’événement a provoqué un spleen collectif des Sfaxiens qui n’ont ressenti que de la poudre aux yeux; rien de tangible aux bénéfices de la culture locale et des habitants de la ville n’a été enregistré.

Le fiasco retentissant de la chose biscornue appelée bibliothèque numérique qui est en train de s’arroger le bâtiment historique de l’église catholique pour le défigurer en une chimère technique qui devrait coûter presque 30 MDT alors que sa valeur réelle ne devrait pas dépasser 300 dinars, le prix d’un smartphone, étant donné que tous les deux ont la même fonction; même si en terme de rapport qualité-prix, le smartphone est plus attrayant puisqu’il peut prendre des photos, ce que ne peut faire l’église catholique !

Le fiasco retentissant du projet fantasque des «villes d’arts» qui se résument en une multitude de places publiques éphémères inaugurées par son excellence, chacune coûtant entre 50 et 100.000 DT. Lesquelles, aussitôt, redeviennent ce qu’elles étaient auparavant; ici une friche, là un souk, là-bas une aire de jeux urbains…

Le fiasco retentissant du gavage à tout-va en subventions adressées aux arts du spectacle; bourrage qui n’a rien produit de spectacles mémoriaux à la manière d’‘‘El-Hadhra’’ ou ‘‘Nouba’’.

Subventions alimentaires pour racheter le silence de certains factieux des gens du spectacle, alors que la majorité, il faut dire, sont honnêtes, et végètent sans le moindre espoir de bénéficier un jour d’une subvention de notre majestueux ministère censé les aider à mener leur projet à bon port.

Le fiasco retentissant de la politique du compte-goutte des subventions allouées aux sections de l’édition papier et de l’édition numérique outre celles allouées parcimonieusement à la sauvegarde du patrimoine qui est en train de se déliter à vue d’œil tels les différents sites archéologiques disséminés dans les quatre coins du pays et les monuments séculaires tels les remparts de Sfax.

À chaque fois, l’occasion s’est présentée à monsieur Mohamed Zinelabidine pour présenter son programme en tant que ministre des Affaires culturelles, son excellence rate le coche. Ses réponses furent, toujours, d’une platitude déconcertante : aucun, une seconde fois aucun, projet mobilisateur ne s’en est dégagé. Les trois doctorats dont se prévaut son excellence n’ont produit aucun effet : on aurait aimé voir la quintessence de chaque doctorat se matérialiser en une mesure phare intelligente à effet certain sur le vécu culturel actuel ou sur le devenir culturel proche ou lointain.

Paraphrasant Alexandre Dumas, on conclut par la sentence suivante : l’homme le plus affublé au monde de diplômes ne peut donner que ce qu’il a; narcissique il se crée un microcosme déconnecté de la réalité…

* Directeur du site Ibn Khaldoun.

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