Accueil » ‘‘Le pardon’’ : Un rituel de la mort, en rupture avec ce monde si injuste

‘‘Le pardon’’ : Un rituel de la mort, en rupture avec ce monde si injuste

Pour décoder le langage cinématographique de la regrettée Najoua Slama, dans son film sorti récemment sur les écrans tunisiens, ‘‘Le pardon’’, il faut voir la vie, la mort et la justice d’un point de vue assez singulier, à travers un métissage culturel qui vise l’universel.

Par Kahena Abbes *

Le film ‘‘Le Pardon’’ réalisé par la regrettée Najoua Slama, présente l’itinéraire d’un juge qui ne parvient pas à rencontrer sa victime, pour être pardonné.

En effet l’histoire commence lorsque Faouzi apprend que l’examen radiologique révélant qu’il est atteint d’un cancer pulmonaire n’est pas le sien, mais celui d’un autre patient, que le médecin s’est trompé, en lui annonçant la mauvaise nouvelle quelques jours auparavant.

Soulagé, il va se poser cette question : qui est ce patient gravement malade, n’ayant plus que quelques jours à vivre?

À sa grande surprise, il découvre qu’il a eu affaire à lui lors d’un procès, ce fût un accusé du nom de Mastouri, qu’il l’a condamné injustement à dix ans de prison.

Richesse, réussite et pouvoir n’ont pas pu le préserver d’une grande crise de conscience, il décide dès lors de suivre Mastouri partout, en espérant pouvoir le rencontrer afin de solliciter son pardon.

Deux personnages, deux parcours, deux souffrances

Le film s’articule ainsi autour de ces deux personnages principaux, leurs parcours, leurs souffrances, Mastouri l’archéologue qui vient de quitter la prison, pour revivre la perte de sa femme, affronter la solitude l’injustice et la maladie.

Faouzi le juge, qui entame une remise en question de sa vie, de ses choix, son couple, sans avoir le courage d’aller jusqu’au bout, car il sera contraint à renoncer à son statut social assez avantageux, à sa femme, compromettre sa réputation en avouant son implication dans des affaires corrompues, et surtout oser voir Mastouri et lui demander pardon.

Deux vies se déroulent parallèlement, l’une est dans le silence le plus complet, aspirant à la découverte de l’essentiel face à un passé très douloureux, c’est celle de Mastouri, telle qu’elle se manifeste à travers la présence charismatique de l’acteur syrien Fahd Abed, l’économie de ses gestes et de ses mots, l’expression dramatique de son visage, l’acheminement de ses pas déterminés à avancer vers l’inévitable départ, en accomplissant ce rôle.

La deuxième est celle de Faouzi qui oscille entre culpabilité et fuite, elle se manifeste à travers l’hésitation et l’inquiétude de celui-ci, dont le rôle fût joué par l’acteur Mohamed Ali Ben Jemaa, son implication dans la corruption, en subissant l’influence de sa femme et de son beau-frère.

Une autre perspective de la mort

Cependant, ‘‘Le Pardon’’ de Najoua Slama a traité la corruption sous un angle privé, aucune explication ni réponse n’ont été données à propos de l’emprisonnement de Mastouri, sinon une déduction générale, en absence de toute précision, que la seule motivation de Faouzi à rendre un verdict aussi injuste fût d’ordre aussi bien matériel que familial.

Qu’importe, si l’histoire du film soit convaincante ou pas, du moment que son originalité consiste à nous offrir une autre perspective de la mort, en rupture avec celle communément admise aussi bien par la religion, que par la société.

Mastouri a organisé les rituels de sa mort : d’être accompagné par son seul ami, de viser l’éternité en bâtissant près de sa tombe un monument pharaonique, d’être enterré près de ses ancêtres, d’évoquer l’âme de sa femme décédée, d’écouter de la musique, d’être entouré de bougies jusqu’à la dernière minute, de saisir la dimension esthétique de l’existence.

Il aspirait ainsi à dépasser toutes les injustices du monde, pour accepter de partir, c’est à ce moment que Faouzi qui n’a pas eu le courage de le rencontrer, a été visé par le revolver d’un homme, probablement l’une de ses victimes, pour que la justice soit faite, à la fin.

C’est dire que pour décoder le langage cinématographique de la regrettée Najoua Slama, il a fallu voir la vie, la mort et la justice d’un point de vue assez singulier, à travers un métissage culturel qui vise l’universel.

* Avocate et écrivaine. 

‘‘Le pardon’’ : Le testament de la cinéaste Najoua Slama

Articles de la même auteure dans Kapitalis : 

Pouvoir et misère à travers ‘‘Subutex’’, le film de Nasreddine Shili

La paternité défaillante, thème central du cinéma tunisien actuel

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.