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Retour sur l’affaire Karoui : Les pressions sur la justice ne serviront qu’à attiser les tensions

L’incarcération, vendredi 23 août 2019, du magnat de télévision Nabil Karoui, et accessoirement candidat à la présidentielle du 15 septembre prochain, continue de susciter la polémique dans les cercles médiatico-politiques dont les accointances et les proximités douteuses ne sont plus à prouver.

Par Ridha Kéfi

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Cela, dirions-nous, est tout à fait normal. Et pour cause : Nabil Karoui a ceci en commun avec le parti islamiste Ennahdha ou encore avec son allié de circonstance Hafedh Caïd Essebsi, il est «clivant». Aussi est-il difficile de trouver deux Tunisiens qui partagent la même opinion de cet homme.

Diable incarné pour certains, ange tombé du ciel pour d’autres, les uns soulignent son côté brigand des grands chemins, accusé d’évasion fiscale, de corruption financière, de blanchiment d’argent et d’autres joyeusetés (comme ses audios fuitées où il complote et prépare de sales coups contre ses adversaires). D’autres ne voient en lui que le bienfaiteur de l’humanité déshéritée sillonnant les campagnes et distribuant des paquets de macaronis et des boîtes de tomates en conserve pour les gens pauvres.

D’autres encore, qui par opportunisme (rarement pas conviction) se sont embarqués avec lui dans l’aventure de la création du parti Qalb Tounes, espèrent accéder dans son sillage au parlement ou au gouvernement.

Bref, qu’il énerve ou suscite l’admiration, Nabil Karoui ne laisse pas indifférent. En tout cas, il divise et oppose. Depuis l’annonce de sa mise en accusation et de son incarcération à la prison de Mornaguia, son frère et associé Ghazi Karoui, accusé dans la même affaire, ayant disparu dans la nature, les Tunisiens s’étripent sur les plateaux de télévision, les studios des radios, les médias papier et électroniques, ainsi que sur les réseaux sociaux.

Les «vaches sacrées» de la scène politico-médiatique

Entre les «pour» et les «contre», entre les «pro» et les «anti», entre ceux qui appellent à l’application de la loi à tout le monde sans exception, y compris aux «vaches sacrées» de la scène politico-médiatique, afin de rétablir l’Etat de droit, malmené par les hors-la-loi de tous bords, et ceux qui ne comprennent pas pourquoi on a tardé à le faire, pourquoi on le fait maintenant et pourquoi contre les frères Karoui et eux seuls.

Là, le débat est permis, sauf que, souvent, on a dépassé les limites de la décence intellectuelle et percé le mur de la démagogie en essayant de justifier l’injustifiable, allant jusqu’à accuser la justice d’être aux basques du chef du gouvernement et candidat à la présidentielle Youssef Chahed et, par conséquent, d’accuser ce dernier d’être devenu un dangereux dictateur et de le comparer à l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Ce qui est pour le moins exagéré.

D’autres, également fort en «théorie du complot», et dont l’imagination ne recule devant aucune énormité, sont allés jusqu’à accuser Ennahdha d’avoir instrumentalisé la justice pour faire arrêter Nabil Karoui et faire ainsi d’une pierre deux coups : écarter un redoutable concurrent face à leur candidat officiel (Abdelfattah Mourou) ou réel (Abdelkrim Zbidi). Cette thèse est développée, on l’a compris, par les partisans de M. Chahed, soucieux d’«innocenter» leur candidat.

Dans cette foire aux supputations, plus saugrenues les unes que les autres, l’essentiel a été sacrifié sur l’autel des passions exacerbées. Et l’essentiel réside dans le fait que nous sommes, ici, non pas dans une guéguerre politique où tous les coups sont permis, y compris les plus tordus, mais face à une affaire de justice.

Soyons clairs : M. Karoui n’est pas un militant de l’opposition muselé pour ses idées révolutionnaires par un pouvoir autoritaire à la Ben Ali (tout de même, ne soyons pas ridicules !), ni un candidat à la présidentielle et un chef de parti empêchés de concourir aux élections présidentielles et législatives.

Le fait est que ce candidat du dernier quart d’heure et son parti créé il y a quelques semaines seulement (et on imagine pour quel but inavouable) sont toujours en lice. Et l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a été claire à ce sujet : tant qu’il n’y a pas eu de jugement et de condamnation, M. Karoui est officiellement encore candidat et les listes électorales de son parti toujours en lice.

Ensuite, la question qui mérite d’être posée est la suivante : la justice doit-elle passer ou doit-elle tenir compte de la tête du «client» ? Pourquoi maintenant, s’interroge les partisans de M. Karoui. La réponse est pourtant évidente : le temps de la justice n’est pas celui de la politique et les exigences de la première ne doivent pas tenir compte des contingences de la seconde.

Le juge d’instruction du Pôle judiciaire financier a pris le temps nécessaire pour l’instruction du dossier de cette affaire, née d’une plainte déposée, en 2016, par l’Ong IWatch, spécialisée dans la lutte contre la corruption, à l’encontre des frères Karoui pour corruption financière et blanchiment d’argent. Il a dû ainsi consulter les mouvements des comptes bancaires des frères Karoui et de leurs nombreuses sociétés, en Tunisie. Il a dû aussi envoyer des commissions rogatoires aux justices de plusieurs pays étrangers où les Karoui possèdent des «sociétés écrans», selon les termes des accusations portées par IWatch. C’est là un travail technique très minutieux et qui exige beaucoup de temps et de patience.

Une atmosphère de guerre civile non encore déclarée

La mise en accusation des Karoui est survenue au moment où le dossier a été bouclé et où le juge a estimé être en possession de suffisamment d’éléments pouvant justifier l’accusation et la comparution des deux prévenus devant le juge. Ces derniers sont, certes, encore innocents, au regard de la justice, car bénéficiant du principe sacro-saint de la présomption d’innocence, mais de là à prétendre qu’ils sont victimes d’un complot planétaire, il y a un pas qu’un être censé se garde de faire.

Par ailleurs, faire douter de la justice, de la police, de l’armée, et de toutes les institutions de l’Etat, ne servira pas ceux qui alimentent cette atmosphère de guerre civile non encore déclarée qui règne actuellement dans le pays, car si l’Etat tombe, nous serons tous perdants, y compris M. Karoui et ses partisans, dont les excès de langage, notamment sur Nessma TV et El-Hiwar Ettounsi, sont une insulte à l’intelligence.

Alors, sachons raison garder et laissons la justice faire son travail, les pressions médiatico «politichiennes» ne servent à rien, sauf à attiser les tensions à la veille de scrutins importants pour l’avenir du pays.

En ce moment difficile que traverse notre pays, pensons surtout à laisser à nos enfants une Tunisie apaisée, pacifiée et, surtout, débarrassée des scories de la dictature, et de son corollaire, la corruption.

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